On entend souvent les experts du foot dirent que gardien de but est un poste très particulier, à part du reste de l'équipe. Un rôle qui exige une force mentale et un charisme exceptionnels. Ce n'est donc pas étonnant de retrouver dans les cages de cette Coupe du monde des gens qui ont dû galérer pour arriver là où ils sont aujourd'hui. Et parfois, beaucoup.
Voici cinq gardiens présents au Qatar et titulaires avec leur sélection qui ont des parcours de vie dignes des meilleurs récits hollywoodiens.
A 19 ans, à l'âge où beaucoup de ses confrères font leurs débuts professionnels, Edouard Mendy n'est que le troisième gardien du modeste Cherbourg, en troisième division française. Au bout de trois saisons, il devient enfin le numéro 1 dans la cage normande, mais en quatrième division puisque son club vient d'être relégué. Tout s'écroule à l'été 2014: Cherbourg coule administrativement au sixième échelon français. Le portier sénégalais n'a plus de boulot, pense arrêter le foot et doit pointer à Pôle Emploi. «Parfois, j’y repense et je ne souhaite ça à personne», avouait-il à Téléfoot en 2021.
Après une année de chômage, il finit par signer un contrat pro à l'Olympique de Marseille à l'été 2015, mais dans l'équipe réserve. Même s'il joue peu, cette expérience est un tremplin: il est engagé par Reims en Ligue 2, devient titulaire lors de sa deuxième saison, monte en Ligue 1 avec ce club et tape dans l'œil de Rennes à l'été 2019. Il réalise une excellente saison en Bretagne (3e place et joue l'Europa League), ce qui lui permet de signer à Chelsea seulement une année plus tard. Il chipe la place de titulaire à Kepa seulement un mois après le début de la saison et remporte la Ligue des champions en mai 2021. Il est élu gardien de la saison 2020-2021 par l’Uefa et meilleur gardien de l'année 2021 par la Fifa!
Le natif de Montivilliers (Normandie) n'est plus titulaire à Chelsea depuis septembre: dès son arrivée à la place de Thomas Tuchel, le coach Graham Potter a choisi Kepa comme gardien numéro 1. Jamais tranquille...
Avant le match contre le Sénégal, Andries Noppert n'avait tout simplement jamais joué avec les Pays-Bas! Un sacré coup de poker de la part du sélectionneur Louis van Gaal, qui fait donc confiance à un néophyte total dans la cage.
Mais le portier du SC Heerenveen mérite sa place. «Il est le meilleur gardien du championnat néerlandais et a réalisé de grands matchs», précise le site RMC Sport. Pourtant, il y a encore un an et demi, soit en même temps que le dernier Euro, absolument rien ne laissait penser qu'Andries Noppert serait le gardien numéro 1 des Pays-Bas. Flashback.
En juin 2020, celui qui doit se contenter d'un rôle de remplaçant en deuxième division néerlandaise est au chômage: son contrat avec le FC Dordrecht n'est pas renouvelé, après une grave blessure. Le géant de 203 cm doit attendre six mois avant de trouver un club. Il s'engage avec Go Ahead Eagles, en deuxième division, en tant que remplaçant. En janvier 2022, le titulaire s'en va, et Noppert en profite pour prendre sa place. Il enchaîne les bons matchs et contribue grandement à la promotion de son équipe en première division cet été. Son entraîneur qui, entre temps, a signé à Heerenveen – solide club de l'élite néerlandaise (8e de la saison dernière) – le prend dans ses bagages.
A Heerenveen, Andries Noppert continue sur sa lancée et réalise notamment deux grands matchs contre les cadors Feyenoord et PSV Eindhoven. De quoi attirer l'attention sur lui, et notamment celle du sélectionneur national. Ainsi, en dix mois, Noppert est passé de gardien remplaçant en deuxième division à titulaire des Pays-Bays au Mondial. Sacrée promotion!
Les images impressionnantes d'Alireza Beiranvand, sonné et le nez en sang, lundi contre l'Angleterre, ont fait le tour du monde. Le malheureux gardien iranien a été victime d'un violent choc avec un coéquipier et a dû sortir dès la 20e minute. Il devrait être de retour pour le troisième match de sa sélection, face aux Etats-Unis. Une chose est certaine: son parcours de vie a de quoi inspirer les romanciers et réalisateurs.
Il naît en 1992 dans l'ouest de l'Iran, au sein d'une famille kurde et nomade, éleveuse de moutons. Il a 12 ans quand ses parents décident de rester pour de bon dans la ville de Sarabias. Le pré-ado est déjà passionné par le foot et rejoint le club local. Il rêve de devenir pro. Mais ce n'est pas du tout du goût de son père, qui détruit ses affaires de foot, dont ses gants de gardien. Alors Alireza Beiranvand décide de quitter le domicile familial, à seulement 12 ans, pour tenter de vivre son rêve dans la capitale, Téhéran. Là-bas, il est d'abord SDF, contraint de dormir dans la rue et d'enchaîner les petits boulots, tels que nettoyer des voitures ou travailler dans une usine de vêtements. A côté, il a l'occasion de s'entraîner avec un petit club. Mais ça ne dure pas.
Il est engagé par une nouvelle formation, qui lui permet de dormir dans la salle de prières de la mosquée. Là encore, la solution n'est que temporaire et Alireza Beiranvand trouve un travail dans une pizzeria, qui lui offre le logement contre son labeur. Son coach, qui ne connaît pas sa situation précaire, vient un jour acheter une pizza. Honteux, le gardien refuse d'aller le servir, mais son boss l'y oblige. Beiranvand démissionne de la pizzeria et devient balayeur de rue.
S'en suivent une blessure et un départ dans une autre formation, où l'on ne croit pas en son talent. Mais l'un de ses anciens clubs, Naft, lui offre une seconde chance en 2010, à 18 ans. Il a enfin l'occasion de se développer dans un club pro et est appelé par la sélection iranienne U23. Le rêve est en marche. La carrière d'Alireza Beiranvand, actuel portier de Perspepolis, le mènera en Europe (Royal Antwerp et Boavista entre 2020 et 2022) et lui permettra de jouer deux Coupe du monde (2018 et 2022). Comme quoi, il faut toujours croire en ses rêves!
Guillermo Ochoa est entré dans les livres d'histoire au Qatar. Le gardien mexicain dispute sa cinquième Coupe du monde et rejoint un cercle très restreint de joueurs. Avant cette édition 2022, seuls quatre footballeurs avaient participé à cinq éditions (dont le gardien italien Gianluigi Buffon, entre 1998 et 2014, l'une des idoles d'Ochoa). Désormais, ce cercle s'est élargi à huit personnes: outre Ochoa, son compatriote milieu de terrain Andrés Guardado (36 ans) et les deux superstars Lionel Messi et Cristiano Ronaldo l'ont aussi intégré.
Au début de sa carrière, Guillermo Ochoa ne pensait pas avoir cette honneur:
Le portier aux 133 sélections dévoile le secret de sa longévité: «C'est la tête et du travail, du travail...» Le vétéran, qui est retourné en 2019 dans son club formateur, América, compte bien jouer encore quelques années: «Je veux jouer jusqu'à 40 ans, minimum. Je suis bien, à 100 % dans mon corps et dans ma tête. Je peux encore donner beaucoup à mon équipe. Quand je verrai que ce n'est plus le cas, comme numéro 1 ou numéro 2, alors j'arrêterai.» Son objectif? Prendre part à sa sixième Coupe du monde – ce qui serait un record absolu – dans quatre ans, à domicile.
Milan Borjan dispute sa première Coupe du monde avec le Canada. Et il en est spécialement fier. «C'est ma façon de rendre la pareille pour avoir accueilli ma famille pendant la guerre», expliquait-t-il au Hamilton Spectator. En 1994, le jeune Milan, 7 ans, ses parents, son frère et sa sœur sont contraints de fuir leur domicile de Knin (Croatie) à cause de la guerre d'indépendance croate. Et pour cause: la famille appartient à la minorité serbe. Après s'être réfugiée à Belgrade, elle traverse l'Atlantique en 2000 et s'installe au Canada. D'abord à Winnipeg, alors que Milan a 13 ans. Puis, une année plus tard, à Hamilton.
Le gardien canadien raconte ce moment douloureux:
A Hamilton, où sa famille vit toujours, Milan Borjan rejoint le club de foot local. Il y joue trois ans avant de partir en Amérique du Sud dès 2006, à 19 ans. D'abord en Uruguay, puis en Argentine. En 2009, il retourne dans son pays d'origine, la Serbie, en signant au FK Rad Belgrade. Il y reste deux ans. S'en suit un tour d'Europe de l'Est qui l'emmène en Turquie, en Roumanie, en Bulgarie et en Pologne. En 2017, il rejoint le prestigieux club serbe Etoile rouge Belgrade, où il est toujours titulaire et capitaine et avec qui il a remporté cinq titres consécutifs de champion de Serbie. Autrement dit, grâce au foot, Milan Borjan a pu réunir dans sa vie son pays d'origine et sa patrie d'adoption.
Le match à la Coupe du monde du Canada contre la Croatie (dimanche 17h00), qu'il a dû fuir à sept ans à cause de la guerre, risque d'être très émotionnel pour Milan Borjan. Qui porte, sur son mollet, un tatouage d'une feuille d'érable au milieu d'un extrait de paroles de l'hymne national, Ô Canada.