En refusant samedi de porter un maillot du PSG comportant un flocage arc-en-ciel, synonyme de soutien à la lutte contre l’homophobie, Idrissa Gueye a déclenché une vague de protestations en France et en Europe. Mais pas au Sénégal, où le débat s'est déplacé sur le terrain de la liberté d'expression. «Il a le droit le plus absolu de ne pas porter un maillot sur lequel sont inscrits des symboles dont il ne souhaite pas faire la promotion», a tenu à rappeler Mary Teuw Niane, ancien ministre de l'Education et ancien recteur.
Même le président de la République du Sénégal, Macky Sall, a apporté son soutien au joueur: «Ses convictions religieuses doivent être respectées», a-t-il notamment tweeté.
Je soutiens Idrissa Gana Gueye. Ses convictions religieuses doivent être respectées.
— Macky Sall (@Macky_Sall) May 17, 2022
Pour comprendre «l'affaire Idrissa Gueye» plutôt que la juger, pour savoir pourquoi le footballeur se retrouve depuis samedi «entre le marteau et l'enclume», selon l'analyse d'un confrère africain, il faut s'intéresser à la question de l'homosexualité au Sénégal, le pays dans lequel le footballeur est né, il y a 32 ans, et dont il a déjà défendu les couleurs à 90 reprises en sélection nationale.
L'Etat africain réprimande sévèrement «l'homosexualité». Un terme dont il ne fait d'ailleurs jamais mention, préférant évoquer un «acte contre-nature avec un individu de son sexe». L’article 319 du Code pénal punit cet acte d’un à cinq ans d’emprisonnement. Pour certains, c'est encore insuffisant. L'an dernier, un collectif soutenu par le rassemblement islamique du Sénégal entendait demander que l’homosexualité soit criminalisée dans ce pays très majoritairement musulman. La peine de prison passerait alors de cinq à dix ans.
Au pays, des vies sont brisées. Un ami sénégalais nous raconte l'histoire d'un homme qu'il a bien connu dans sa jeunesse et dont il a gardé un douloureux souvenir. «C'était un copain qui, comme beaucoup d'homosexuels dans mon pays, se cachait derrière une façade, une vie de famille bien rangée avec femme et enfants. Un jour, il a été surpris avec un homme. Il a été couvert d'opprobre. Il a déprimé, sombré. Il en est mort.»
Plusieurs fois par an, lorsqu'il se rend au pays pour défendre sa sélection nationale, Idrissa Gueye revient dans cette société que notre ami cité précédemment juge «hypocrite, car elle tolère l'homosexualité tant qu'elle n'est pas trop visible».
Le footballeur, dont on ne connaît pas la position sur le fond du sujet, puisqu'il ne s'y est jamais exprimé, retrouve en Afrique de l'Ouest une famille et des amis qui pourraient potentiellement être en danger s'il choisissait de mener un combat pour la cause LGBT en France. Sa carrière serait elle aussi menacée. «Il risquerait très gros. Le public condamnerait moralement sa position et il perdrait son soutien. J'en suis convaincu. Dans cette histoire, son avenir est en jeu», nous confirme un journaliste sénégalais fan de football.
Or, le public attend souvent d'un sportif, a fortiori quand il est aussi connu et médiatisé que Gueye, qu'il prenne position sur des sujets de société, même quand ils sont très éloignés de son champ d'action professionnel. De nombreux athlètes russes l'ont appris à leurs dépens après l'invasion de l'Ukraine par les troupes de Vladimir Poutine. Ceux qui ne se sont pas exprimés publiquement contre le conflit, peu importe la raison, ont été durement critiqués.
Idrissa Gueye a lui aussi fait le choix de ne pas porter un message, et c'est son droit, explique en substance Gorgui Wade Ndoye, journaliste sénégalais installé à Genève. «Est-ce qu'un individu peut encore choisir ses combats? Idrissa Gueye a-t-il insulté le moindre homosexuel?», interroge-t-il de façon rhétorique.
Notre confrère fait aussi remarquer que jusqu'à preuve du contraire, «aucun Noir ne s'est levé pour imposer à un chef d'Etat occidental, ou à un footballeur Blanc occidental, de marcher en faveur de ses droits fondamentaux».