Peu après que Wojciech Szczesny a admis griller une cigarette «de temps en temps» la semaine dernière, Viktor Gyökeres a été aperçu dans une boîte de nuit en train de fumer une chicha avec des coéquipiers. Ces deux évènements seraient passés complètement inaperçus si le premier cité n'était pas le gardien du FC Barcelone, et le second l'attaquant redoutable du Sporting Lisbonne. Deux footballeurs de haut niveau, donc, auxquels une partie du public reproche aujourd'hui le comportement.
Leur attitude n'est pourtant pas extraordinaire. Les footballeurs professionnels ont pour la grande majorité entre 20 et 35 ans. Or selon des chiffres de 2022 de l'Office Fédéral de la Statistique (OFS):
Sauf à penser que les joueurs ne sont pas des humains comme les autres, il n'y a pas de raison de croire qu'ils n'apparaissent pas dans les statistiques. Bien sûr, il est probable que le taux de fumeurs soit moins élevé dans les vestiaires que dans les sociétés de trading. C'est d'ailleurs ce qu'expliquait un ex-joueur dans So Foot en 2021: «A vue de nez, je pense qu’il y a un bon quart de fumeurs dans le foot». 25% donc. Un chiffre inférieur aux 33% recensés dans la vie civile qui est tout à fait compréhensible: les sportifs de haut niveau savent que la cigarette a un impact sur leur rendement à l'effort, et ne veulent pas en subir les conséquences.
Ces effets n'ont pas empêché de grands footballeurs de s'adonner au plaisir coupable de la nicotine, comme Paul Gascoigne, Fabien Barthez, Zinédine Zidane, Gianluigi Buffon, Andrea Pirlo, Wayne Rooney ou encore Marco Verratti. Ce n'est pas étonnant, car comme on l'a vu en début d'article, ils avaient l'âge pour le faire, mais aussi parce qu'ils ont grandi en voyant des publicités pour des cigarettes dans le sport.
Ils étaient trop jeunes pour se souvenir que Raymond Kopa était l'égérie de Camel et que Johann Cruyff posait cigarette entre les doigts, mais ils ont en revanche gardé des souvenirs des marques Marlboro ou Lucky Strike imprimées sur les monoplaces de Formule 1.
Ils ont aussi vu certains entraîneurs (Raymond Goethals, Marcello Lippi, Carlo Ancelotti, etc.) tirer frénétiquement sur leurs tiges pendant les matchs, avant que la pratique ne soit interdite sur les bancs de touche en Coupe du monde dès 1998, puis en Ligue des champions dès 2006. Cette année-là, le footballeur belge Radja Nainggolan avait 18 ans.
Quelques saisons plus tard, il a lui aussi a été grillé avec un paquet entre les mains. Le public lui en a voulu, mais pas son sélectionneur Marc Wilmots. «Je connais bien Radja. Il a besoin de fumer. Je ne sais pas combien de cigarettes, mais je m’arrange toujours pour avoir une chambre avec balcon pour lui», a-t-il posément expliqué en 2016, ajoutant une phrase qui semblait contradictoire avec la gestion des émotions dont doivent faire preuve des sportifs de haut niveau:
A l'époque, la psychologue et tabacologue belge Martine Reynders avait rappelé à l'AFP que la nicotine était un stabilisateur de l’humeur. On sait en effet de longue date que la cigarette calme une angoisse qui procède elle-même du manque...de nicotine.
Le stress induit par le métier de footballeur, ajouté à une sensation de manque, peut pousser des joueurs à fumer un peu, beaucoup voire passionnément, même si cela diminue leur VO2Max et réduit leurs choix de carrière.
On pourrait pourtant imaginer qu'un fumeur est un bon camarade, et c'est une autre raison permettant d'expliquer pourquoi des footballeurs fument: dans les sports collectifs comme en entreprise, la cigarette est un outil de sociabilisation. Il permet de se rapprocher de ses collègues, mais aussi d'élargir son cercle de connaissances en lien avec le travail. Un footballeur saint-gallois en avait fait l'expérience au début des années 2000, lors d'un déplacement à Lausanne. Inquiet à l'idée de faire le long voyage retour sevré de nicotine, il était allé taxer une cigarette au kop vaudois, qui avait joué le jeu.
La scène serait inimaginable aujourd'hui, d'abord parce que la cigarette est moins bien acceptée dans la société, ensuite parce que le joueur-fumeur serait affiché sur les réseaux sociaux, ce qui nuirait à sa réputation et entrerait en contradiction avec l'image qu'il vend parfois chèrement au public.
Et puis, le jeu s'est accéléré et le rythme des matchs a augmenté, si bien que les footballeurs ne peuvent plus se permettre de jongler avec leur briquet entre deux parties. Certains continuent malgré tout à jouer avec le feu, et parfois à se brûler les doigts: l’Agence mondiale antidopage (AMA), qui établit des rapports depuis 2012, a révélé il y a trois ans que des traces de tabac étaient prélevées sur 19% des footballeurs contrôlés chaque année, avant et après les matchs.