Sport
Tour de France

Biniam Girmay, le héros du Tour qui venait d'un «pays totalitaire»

Stage winner Eritrea's Biniam Girmay, wearing the best sprinter's green jersey, celebrates after the twelfth stage of the Tour de France cycling race over 203.6 kilometers (126.5 miles) with ...
Biniam Girmay, vainqueur d'étape à Villeneuve-sur-Lot. 11 juillet 2024Image: AP

Biniam Girmay, le héros du Tour qui venait d'un «pays totalitaire»

Suissesse originaire d'Erythrée, présidente d'une ONG oeuvrant dans les droits humains, Veronica Almedom raconte la face cachée du régime où son compatriote, premier vainqueur noir africain sur le Tour de France, a grandi. Les exploits du cycliste érythréen apaiseront-ils les tensions au sein de la diaspora vivant en Suisse? Interview.
13.07.2024, 11:4613.07.2024, 13:50
Plus de «Sport»

Née en 1989 à Rome de parents érythréens, Veronica Almedom est arrivée enfant en Suisse, où elle a grandi. Opposante au régime dictatorial du président Isaias Afwerki, cette entrepreneuse domiciliée dans le canton de Genève a fondé en 2015 l'ONG Information Forum for Eritrea.

Asmara, la capitale de l’Erythrée, était en liesse, jeudi, après la troisième victoire d’étape du coureur érythréen Biniam Girmay sur le Tour de France 2024. Le cyclisme est-il un sport populaire en Erythrée?
Veronica Almedom: Oui, le cyclisme est très pratiqué en Erythrée. C’est un sport qui fait partie de la culture du pays. Les exploits répétés de Biniam Girmay sur le Tour de France rendent fiers les Erythréens et les Africains de manière générale, étant donné la nature historique de ses victoires, celles d’un premier coureur noir africain dans la plus grande course cycliste du monde.

En 2019, Biniam Girmay a 18 ans. L’Union cycliste internationale (UCI) le repère pour ses victoires en Afrique et l’envoie dans son centre de formation en Suisse, à Aigle. L’Erythrée, qui est une dictature, entretient-elle des liens étroits avec des structures sportives internationales comme l’UCI?
Pas que je sache. Le gouvernement érythréen n’est pas connu pour favoriser le mentorat ou le financement du cyclisme. Le régime exerce des pratiques de surveillance même sur ses sportifs. On l’a vu multiplier les tracas à l’encontre de footballeurs se déplaçant à l’étranger pour y disputer des tournois. Cela se traduit notamment par la confiscation des passeports.

«Le gouvernement érythréen n’est pas connu pour mettre ses sportifs dans les meilleures conditions mentales avant une épreuve. La promotion des sportifs érythréens à l’étranger est le cadet des soucis du régime»

Comment expliquer que Biniam Girmay ait échappé à cette chape de plomb?
Parce qu’il est extrêmement talentueux, mais aussi déterminé. On le sent habité par la volonté de faire briller son pays, de donner de l’espoir à son peuple et globalement à l’Afrique. Cela s’est entendu dans ses propos d’après-victoires sur le Tour de France, des propos très panafricains. Le gouvernement érythréen ne va pas chercher à promouvoir proactivement ses athlètes, mais lorsque quelques-uns se signalent par leur grand talent, il ne leur ferme pas non plus la porte.

Veronica Almedom.
Veronica Almedom.image: dr

Savez-vous si le régime érythréen tire profit des victoires de Biniam Girmay sur le Tour de France?
Le régime ne peut qu’en être satisfait. En termes d’image, c’est bénéfique. Mais il va aussi chercher à taxer Biniam Girmay de ses revenus glanés sur le Tour de France comme dans d’autres courses.

«Il faut savoir que tout ressortissant érythréen vivant à l’étranger doit verser 2% de ses revenus à l’Erythrée. Comme Biniam Girmay a un pied dans le pays, il devra peut-être s’acquitter d’autres taxes encore»

Comment le régime s’y prend-il pour prélever ces 2% sur ses ressortissants installés à l’étranger?
Généralement, cela se passe lorsque les gens se rendent au consulat ou à l’ambassade pour renouveler des papiers ou obtenir un quelconque service. C’est très difficile d’y échapper, surtout lorsqu’on a gardé un lien avec le pays.

Vous-même, qui avez acquis la nationalité suisse mais gardé la nationalité érythréenne, êtes-vous soumise à cette taxe de 2%?
Oui, bien sûr. Mais j’ai choisi de ne pas m’en acquitter. Aussi parce que j’ai fait le dur choix de ne plus rentrer en Erythrée aussi longtemps que ce régime est en place.

Y a-t-il des représailles sur des proches restés au pays en cas de non-paiement des 2%?
Non. La pression s’exerce seulement sur les intéressés proprement dits. Il peut y avoir des représailles, mais pour d’autres formes de «trahison», j’emploie les guillemets.

«Un régime totalitaire»

Pouvez-vous rappeler la nature du régime?
C’est un régime totalitaire, régi par un seul parti, le Front populaire pour la démocratie et la justice (FPDJ), dirigé par un président qui n'a jamais été élu, Isaias Afwerki. Tout est entre ses mains. Il n’y a pas de séparation des pouvoirs. Afwerki a démantelé le parlement en 2002, fermé l'Université d'Asmara en 2001. C’est donc lui qui fait les lois, l’éducation et qui contrôle le secteur privé. Une fois que les jeunes, filles et garçons, ont accompli leur service militaire, c’est l'Etat qui les place dans les différents secteurs étatiques du pays.

Le portrait consacré par watson en 2022 à Biniam Girmay👇

Beaucoup tentent de fuir le pays pour échapper au service militaire. Qu’est-ce qu’il a de particulier?
Il a de particulier que c’est un service militaire à durée indéterminée. La première année est accomplie durant la dernière année de lycée. Cette dernière année de lycée s’effectue à Sawa, une région désertique située à plusieurs centaines de kilomètres des familles des jeunes.

«Une fois la première année terminée, l’Etat décide de qui poursuivra le service militaire, les autres étant affectés à des activités jugées utiles par le régime, sans la moindre perspective de développement personnel»

Savez-vous si Biniam Girmay a pu échapper au service militaire?
Je ne peux vous répondre avec certitude, mais je ne le pense pas. J’en serais très surprise.

Savez-vous si les parents de Biniam Girmay ont quitté le pays?
Là encore, je n’ai pas de certitude, mais je ne le pense pas. En règle générale, les parents de la génération de Biniam Girmay sont tous restés au pays. Les pères sont eux-mêmes encore dans le service militaire, leurs épouses s'occupent du foyer seules.

Les exploits de Biniam Girmay pourraient-ils avoir un effet apaisant sur les conflits qui opposent différents groupes de la diaspora érythréenne présente en Suisse?
Malheureusement pas. La discorde est beaucoup trop profonde. Elle touche à des sujets qui requiert un travail de médiation sur plusieurs années.

Pouvez-vous rappeler les raisons de cette discorde?

«Les jeunes qui sont arrivés d’Erythrée en Suisse entre 2014 et 2018 sont ceux qui ont vécu les pires atrocités dans le pays et dans la route migratoire, entre l’Erythrée, le Soudan, la Libye et la traversée de la Méditerranée»

Ce sont aussi ceux qui ont été accueillis en Europe dans des conditions de politique migratoire particulièrement durcies. Certains d’entre eux sont déboutés pour des raisons incompréhensibles au vu de la situation inchangée dans le pays. C’est donc parmi cette génération de jeunes des années 2014-2018 qu’on trouve ceux qui ont accumulé le plus d’injustices et qui essaient de se reconstruire. Ce sont précisément eux que vise le régime érythréen par des campagnes de provocation et d’incitation à la haine avec le relais d’une autre partie de la diaspora. D’où les tensions que l’on connaît en Suisse, les affrontements évités.

Ces jeunes personnes qui, comme vous le dites, ont accumulé des injustices, entendent protester contre des rassemblements organisés en Suisse, leur paraissant téléguidés par le régime, c’est bien cela?

«Oui. Ces rassemblements du régime sont de pures provocations. Ils n’ont pas d’autres buts»

Les personnes qui y participent sont plus âgées et loyales vis-à-vis du régime. Elles n’ont pas vécu les mêmes expériences tragiques lorsqu’elles étaient elles-mêmes au pays, puis sur la route migratoire. Elles ne parviennent pas à s’identifier à la souffrance de ces jeunes. Elles ont bien sûr aussi des intérêts à défendre dans le pays d’origine.

«Les mondiaux au Rwanda? Une très bonne nouvelle»

En 2025, les mondiaux de cyclisme auront lieu pour la première fois dans un pays africain, le Rwanda. Cela aura un grand retentissement sur le continent, non?
Je trouve que c’est une très bonne nouvelle que les mondiaux de cyclisme se passent sur le continent africain, qui plus est dans un pays subsaharien.

En dépit des critiques adressées au président rwandais Paul Kagamé pour son très long maintien au pouvoir, est-ce que le Rwanda fait figure de modèle pour le reste de l’Afrique noire?
Oui, incontestablement. C’est un modèle de développement économique. Et c’est un pays qui se positionne comme panafricain, notamment dans sa politique de visas. Toute personne africaine peut entrer au Rwanda sans visa, idem pour nous Suisses.

33 images générées par IA délicieusement bizarres
1 / 37
33 images générées par IA délicieusement bizarres
partager sur Facebookpartager sur X
Nouveau record pour la Wonder Woman du plongeon
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Jasmin Mathis n'aurait jamais dû devenir championne du monde
Originaire de Buochs, où Marco Odermatt a grandi, Jasmin Mathis est devenue ce samedi championne du monde juniors de super-G, après des mois de galère. Elle ne figurait pas dans la sélection initiale de Swiss-Ski.

Le ski suisse poursuit sa moisson de médailles mondiales. Après les excellents Championnats du monde de Saalbach, achevés avec 13 breloques dont cinq en or, les podiums tombent à Tarvisio en Italie, où se tiennent actuellement les Mondiaux juniors de ski alpin.

L’article