Comme pressenti et à «l'invite» de plusieurs gouvernements, l'Uefa a retiré l'organisation de la finale de la Ligue des champions à Saint-Pétersbourg. L'événement a été attribué à Paris, dans une bascule hautement symbolique.
Selon les révélations de L'Equipe, Emmanuel Macron a négocié cet accord en personne, entre deux coups de fil à Poutine et à l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (Otan). Les premières discussions auraient commencé mercredi matin, dans le plus grand secret, à l'initiative du président slovène de l'Uefa, Aleksander Ceferin.
Le choix d'Aleksander Ceferin s'explique par ses bonnes relations avec le président français.
— Actu Foot (@ActuFoot_) February 25, 2022
Le président de l’UEFA avait particulièrement apprécié que Macron soit le premier chef d'État à s'opposer au projet de Super League mené l'année dernière, relate @lequipe.
Officiellement, l'instance européenne ne fait pas de politique. Elle motive toutes ses décisions par des raisons de sécurité. C'est pour ces mêmes raisons que les équipes russes et ukrainiennes, sans aucune dérogation possible, sont désormais tenues de disputer leurs compétitions internationales sur terrain neutre, «le temps qu'il faudra».
Mais l'Uefa n'en demeure pas moins un outil de pression que la coalition anti-russe souhaiterait plus maniable. Objet de son attention, voire de son embarras: le contrat qui lie la fédération de football au géant énergétique Gazprom, détenu majoritairement par le pouvoir russe.
Gazprom est un partenaire commercial de l’Uefa depuis dix ans et s'est engagé à le rester jusqu'en 2024. Dix ans que la petite musique du géant russe* berce des millions de téléspectateurs ébaudis avant chaque soirée de Ligue des champions:
Le contrat rapporterait 40 millions d'euros par an à l'Uefa. Aucune raison de sécurité ne semble pouvoir l'(inter)rompre, mais il subsiste la raison d'Etat:
Le président Gianni Infantino se dit «choqué» et «préoccupé», mais il reste sur une ligne politique neutre (à ne pas confondre avec pleutre). Théoriquement, la Russie doit recevoir la Pologne le 23 mars prochain. Enjeu: les qualifications au Mondial 2022. Moins proactive que son homologue européenne, la Fifa temporise et annonce «des développements ultérieurs». Mais la Suède qui, elle aussi, pourrait affronter la Russie en barrages, a d'ores et déjà annoncé que ce scénario resterait «impensable». La Pologne et la République tchèque se sont jointes à son veto.
Le président de la fédération 🇵🇱 de football va aller plus loin et annoncer aujourd'hui que la Pologne n'ira pas jouer le match de barrage prévu à Moscou le 24 mars face à la Russie. Et ce avant même la décision de la FIFA [TVP SPORT]
— 𝗣𝗶𝗹𝗸𝗮 & 𝗡𝗼𝘇𝗻𝗮 🇵🇱 (@FootPolak) February 24, 2022
En Formule 1, l'écurie américaine Haas a ôté le logo d'Uralkali, son généreux sponsor russe, de toutes ses structures mobiles, à commencer par la monoplace qui a tourné ce vendredi aux essais de Barcelone.
Schalke 04 a également effacé Gazprom de ses équipements jusqu'à nouvel ordre. La firme russe était présente sur les maillots depuis quinze ans, malgré l'indignation têtue de nombreux supporters. En début de semaine, le club allemand s'est senti obligé d'exprimer officiellement sa volonté de prolonger l'entente. Mais cette position est devenue intenable: jeudi matin, Matthias Warnig, proche de Poutine et délégué de Gazprom dans le board de Schalke, également PDG de la société d'exploitation du gazoduc Nord Stream 2, a démissionné sous la pression populaire.
Après avoir laissé faire les qualifications, avec donc seulement 6 athlètes russes, la FIS a finalement décidé d'annuler l'étape russe de skicross. https://t.co/h1CyyibZ98
— Ski Chrono (@Ski_Chrono) February 25, 2022
Des pressions tout aussi soutenues, au sein même du sérail, ont convaincu Formula One d'annuler le GP de Russie prévu le 25 septembre prochain à Sotchi. Max Verstappen et Sebastian Vettel avaient déjà prévenu qu'ils ne seraient pas du voyage. Les deux champions du monde sont sur la même ligne:
Plusieurs mouvements sportifs militent pour que les championnats du monde de volley-ball, également programmés en Russie à partir du 26 août, soient délocalisés dans un autre pays, indépendamment de l'évolution du conflit ukrainien.
Le président Thomas Bach accuse Moscou d'avoir violé la trêve olympique, homologuée par un traité de l'Organisation des Nations unies (ONU). Les paralympiques commencent dans une semaine. Officiellement, la Russie en est déjà exclue après une condamnation au Tribunal arbitral du sport (TAS) pour dopage d'Etat. Mais cette mise au ban est relative puisque les athlètes russes peuvent concourir sous l'appellation ROC, pour «Russian Olympic Committee», et sous bannière neutre.
Le pays dont on ne prononce pas le nom, dont on ne mentionne pas la présence et dont on ne fredonne pas l'hymne (mais dont chacun reconnaît les goûts et les couleurs*), a trouvé d'autres moyens d'exister, notamment à travers le hashtag #WewillROCyou. Evoquer une violation de la trêve olympique est-il une façon habile, pour un Comité international olympique (CIO) agacé et rancunier, de préparer le terrain à des mesures plus coercitives?
Probablement puisque, vendredi, le CIO a encore exhorté toutes les fédérations à annuler ou délocaliser leurs événements prévus en Russie et en Biélorussie. Le Comité exécutif demande accessoirement que le drapeau de ces deux pays ne soit plus hissé et leur hymne national plus joué. Avant une exclusion provisoire des athlètes?
Interrogé au tournoi de Dubaï, où il vient d'acquérir le statut de n°1 mondial, Daniil Medvedev a déclaré qu'il était «pour la paix» (ouvrant ainsi un débat intéressant: pour ou contre la paix?), avant de préciser: «Je me suis réveillé avec beaucoup d’émotions».
En réalité, peu de sportifs russes ont affiché ouvertement leur opposition (et pas davantage leur soutien) à l'action de Vladimir Poutine. Un seul s'y est risqué à demi-mots: Fedor Smolov, 32 ans, 45 sélections en équipe nationale (pas sûr qu'il y en ai d'autres) et nouvelle recrue du Dynamo Moscou. Peu après sa publication, son post Instagram n'était plus qu'un carré noir.
A noter encore l'intervention d'Andrey Rublev (ATP 7) au même tournoi de Dubaï: « Je reçois de vilains commentaires sur les réseaux sociaux parce que je suis russe, des messages agressifs. Si je veux être tranquille, je dois montrer que je m’en fiche. Même s’ils me jettent des pierres, je dois montrer que je suis pour la paix. Ce qui compte, c’est qu’il y ait la paix dans le monde et que nous nous respections les uns les autres, que nous soyons unis».
Vitali Klitschko, maire de Kiev et ancien champion du monde des poids lourds, défendra son pays «les armes à la main s'il le faut», a-t-il promis à la presse ukrainienne. L'ex-candidat à la présidence est inscrit comme volontaire dans les troupes de réserve de l’armée, de même que son frère Vladimir, lui aussi boxeur.
Le footballeur Oleksandr Zinchenko prétend qu'Instagram a censuré une story dans laquelle il s'adresse à Poutine en des termes particulièrement précis: «J'espère que tu mourras de la façon la plus douloureuse qui soit, créature».
Ce vendredi encore, le défenseur de Manchester City a exhorté le peuple russe à s'indigner et descendre dans la rue:
Mircea Lucescu, entraîneur roumain du Dynamo Kiev, a offert sa solidarité. «L'activité sportive en Ukraine est suspendue pendant 30 jours. Je ne quitterai pas Kiev pour retourner en Roumanie, je ne suis pas un lâche. J'espère que ces gens sans cervelle arrêteront cette guerre.»
De très nombreux sportifs ukrainiens ont suivi le mouvement, dont la légende du football Andrey Shevchenko et la joueuse de tennis Elina Monfils-Svitolina.
My heart is bleeding… Another sleepless and terrifying night for Ukrainian people.. PLEASE HELP US TO STOP THE WAR 🙏🏼🇺🇦💙💛 #nowarinukraine #ukraine pic.twitter.com/3JnLXZXdnV
— Elina Monfils (@ElinaSvitolina) February 25, 2022
Vladimir Poutine aime le hockey sur glace dont il joue essentiellement avec ses ministres et officiellement très bien: il a mis huit buts à une sélection de VIP et d'anciennes stars de la Sbornaja en décembre dernier.
Mais Poutine est surtout un ancien judoka. Dans un récit autobiographique, il raconte que le sport en général, et le judo en particulier, l'ont sorti de la délinquance et du caniveau. Poutine a développé de nouvelles techniques de combat au sein du KGB où il a appris à tuer en deux gestes discrets.
Ceux qui l'ont côtoyé, dont l'ancien président de la Fédération internationale de hockey sur glace (IIHF) René Fasel, racontent un homme raffiné qui entretient son corps, follement épris de sport. Selon L'Equipe, Jean-Claude Killy figure parmi les rares personnalités étrangères à partager son intimité (du moins jusqu'à jeudi dernier).
Les quolibets du monde sportif ne dévieront certainement pas Poutine de ses objectifs géostratégiques, mais d'aucuns supposent que ces sanctions l'émouvront quand même un peu; entre deux missiles.