Romain Ntamack est entré par effraction dans notre coeur (sensible) de supporter le 17 juin dernier, lors de la finale du championnat de France entre Toulouse et La Rochelle. Un match grandiose, que l'on avait suivi en spectateur neutre, et qui avait vu la victoire de Toulouse (29-26) grâce justement à cet ouvreur français dont tout le monde parlait mais que l'on connaissait finalement si peu.
Le Toulousain, ce soir-là, s'était distingué d'abord en concédant un en-avant stupide puis en manquant une touche après avoir joué une pénalité de la plus haute importance. Il restait alors quelques minutes à disputer et le fils du grand Emile Ntamack, inconsolable, le visage tout entier enfoui dans ses mains, donnait l'impression d'avoir plombé les chances de son équipe. Il y avait quelque chose de touchant à voir ce robuste rugbyman soudain si seul dans l'immense Stade de France, mais il fallait que tout soit perdu à un moment donné pour transformer l'histoire en épopée.
Et de fait, tout avait changé dans les dernières secondes de la partie, lorsque ce jeune homme de 24 ans, écrasé par le poids des remords quelques instants auparavant, était allé aplatir le ballon dans le camp rochelais, réussissant «l'essai de la rédemption» au terme de ce que la presse française qualifiera de chef d'oeuvre d'esquive et d'élégance.
«Quand il rate son coup de pied en touche, t’as l’impression qu’il a loupé son match et en fait, le mec te met un essai de 60 mètres sorti de tu sais pas où», lui rendra hommage son coéquipier Thomas Ramos au micro de France 2.
C'était beau à voir parce qu'en quelques minutes, on avait assisté au condensé des émotions que peuvent vivre des sportifs de haut niveau sur des semaines, des mois ou parfois des années. On avait aussi vu un drôle de mécanisme à l'oeuvre, celui de la dernière chance, du «foutu pour foutu», quand tout semble cuit et que le corps de l'athlète soudain se libère de toutes les injonctions technico-tactiques pour ne répondre qu'à sa rage et à son instinct. Il n'y avait guère que Romain Ntamack, ce soir de juin au Stade de France, pour imaginer planter un essai de 60m à deux minutes d'une finale face aux doubles champions d'Europe en titre (La Rochelle). C'était impossible, alors il l'a fait.
On se réjouissait déjà de le revoir au même endroit, le 8 septembre en ouverture du Mondial face aux All Blacks. Il se serait passé quelque chose, c'est certain, car ce prodige a reçu en héritage de sa formation dans la plus belle école du rugby français (Toulouse) un savoir-faire et la conviction d'appartenir à l'élite de son sport. Il faut se souvenir de sa démonstration face aux Argentins, à 20 ans seulement, lors d'un match de la Coupe du monde 2019. L’ancien joueur de rugby Aristide Barraud en avait été tout retourné. Il avait écrit, pour Le Monde et depuis le Japon, ces quelques mots en forme d'éloge:
Un nouveau jour s'est levé lundi sur la carrière de Romain Ntamack et l'ambiance est nettement moins romantique. La France a annoncé le forfait de sa star pour la Coupe du monde qu'elle organisera du 8 septembre au 28 octobre. On se doutait bien que la sortie du numéro 10 sur blessure lors de sa 37e sélection, samedi soir en amical face à l'Ecosse, ne présageait rien de bon, mais le staff des Bleus s'était voulu rassurant le lendemain. C'est finalement le pire des scénarios qui s'est concrétisé puisque les examens ont révélé une rupture du ligament croisé du genou gauche.
Romain, on pense très fort à toi. 😢
— France Rugby (@FranceRugby) August 14, 2023
Tout le groupe est à ton soutien, on te souhaite un bon rétablissement ❤️🩹🙏@RomainNtamack #UnisPourUnRêve #NeFaisonsXV #XVdeFrance pic.twitter.com/lfj1UIHWPj
En l'absence de Romain Ntamack, c'est Matthieu Jalibert (Bordeaux) qui devrait être le numéro 10 titulaire lors de la Coupe du monde, mais ce ne sera pas pareil. Il manquera forcément quelque chose à ces Bleus et à ce Stade de France qui mettent si bien les héros de la nation en lumière depuis le doublé de Zinédine Zidane en finale du Mondial de football 1998.