Les chiffres d'abord: 26 buts en 99 sélections et quelques-uns de plus, on l'espère, ce lundi pour sa 100e contre la Bulgarie. Titulaire à 87 reprises, Xherdan Shaqiri a aussi délivré 26 passes décisives, le tout en 7437 minutes de jeu, ce qui signifie que le numéro 23 (encore un chiffre) est impliqué sur une réussite toutes les 143 minutes de jeu en équipe nationale.
Ces statistiques ne racontent toutefois presque rien de sa relation avec la sélection nationale, bien plus complexe qu'une série de chiffres. A quelques heures du très important Suisse-Bulgarie, on a choisi de vous raconter 7 épisodes qui, chacun à leur manière, racontent un peu de l'histoire commune entre un homme et son pays.
Les débuts de Xherdan Shaqiri en équipe de Suisse s'accompagnent d'une double déception, collective et individuelle. Le 3 mars 2010 à Saint-Gall, la Nati est soufflée 3-1 par l'Uruguay en match amical. Ottmar Hitzfeld avait décidé pour cette partie de titulariser le jeune Shaqiri (18 ans) sur le côté gauche de son très sage 4-4-2, mais le prodige n'a pas répondu aux attentes de son mentor.
«On n'a quasiment pas aperçu Shaqiri, et pas seulement à cause de sa petite taille», ironise Le Matin, en référence au physique de celui que le public appelle alors «le lutin bâlois» (169 cm). La presse alémanique est moins sévère. Elle souligne que, des trois nouveaux, c'est le phénomène aux mensurations hors-normes (60 cm de tour de cuisse et 41,5 cm de tour de mollet) qui s'en est le mieux sorti, faisant ensuite remarquer la prise d'initiative du néophyte: malgré son jeune âge et son manque d'expérience, Shaqiri a botté corners et coups-francs avant de sortir à la mi-temps, remplacé par Tranquillo Barnetta.
Le vécu commun entre la sélection nationale et Shaqiri débute vraiment un an plus tard. Le Bâlois a certes marqué un but superbe (mais inutile) face aux Anglais entre-temps, mais c'est le 6 septembre 2011 qu'il entre dans les archives nationales en claquant un triplé face aux Bulgares.
Ses statistiques ce soir-là sont éblouissantes: 7 frappes, 4 cadrées, 3 buts. Dans ses pages, Blick attribue au milieu offensif droit la note de 7...sur 6! «Car 6, ce n'est pas assez pour ce Shaqiri-là», précisera le quotidien alémanique.
Nous sommes quelques mois avant le Mondial 2014 au Brésil et un débat (éternel débat) agite cadres et suiveurs de la Nati: dans quelle position les qualités de Xherdan Shaqiri s'expriment-elles le mieux? Ottmar Hitzfeld a longtemps pensé que c'était sur le côté droit, où il trouvait son joueur très complice avec Stephan Lichtsteiner. Mais Shaqiri lui-même a souvent répété qu'il pouvait aussi évoluer comme meneur de jeu.
C'est sur le côté qu'il débute la Coupe du monde en Amérique du Sud, mais tout va changer lors du 3e match de poule face au Honduras. Le coach l'installe en numéro 10, en appui de Josip Drmic. Résultat final: 3-0 pour la Suisse. Trois buts de Shaqiri.
Sa performance est historique: il devient le premier joueur helvétique à inscrire un triplé au Mondial depuis 1954. Sepp Hügi l'avait réussi face à l'Autriche, mais ses trois pions avaient été inutiles; pas ceux de Shaqiri, qui propulse son équipe au prochain tour face aux Argentins. Le capitaine Ghökan Inler ne veut plus voir son coéquipier ailleurs qu'en meneur de jeu: «Xherdan change rapidement de direction. Il est imprévisible. C’est important pour l’équipe qu’il reçoive beaucoup de libertés. Or, c’est au milieu qu’il en a le plus.»
Le gaucher a marqué de très beaux buts, mais aucun n'est aussi joliment décisif que celui inscrit contre la Pologne en 8e de finale de l'Euro 2016.
Day 21.A goal Scored at an International Tournament? Shaqiri Vs Poland at Euro 2016 pic.twitter.com/OpXtdUct4z
— Hoofstorm (@Hoofstorm) June 8, 2020
Sans doute aurait-il mérité de vivre un peu plus longtemps dans l'esprit des supporters suisses, forcément déçus par la tournure des évènements immédiats: engagée en prolongations, la Nati ne parvient pas à faire la différence et s'incline aux tirs au but, échouant une nouvelle fois à briser le plafond de verre la séparant des quarts de finale. Rageant.
En mimant l’aigle bicéphale des Albanais lors de la victoire 2-1 de la Nati contre la Serbie au Mondial 2018, Xherdan Shaqiri et avec lui Granit Xhaka viennent de déplacer le football sur un champ d'expression politique.
Serbes et Albanais s'invectivent alors sur les réseaux sociaux, dans ce qui devient très vite une polémique nationale lorsque les UDC Natalie Rickli et Roger Köppel s'emparent du symbole pour intenter aux deux joueurs d'origine kosovare un procès en «suissitude».
Ich kann mich nicht wirklich freuen. Die beiden Goals sind nicht für die Schweiz gefallen, sondern für den Kosovo. Falls die Kosovo-Nati dereinst gewinnt, freue ich mich für sie, aber an der WM spielen und fänen wir für die Schweiz.🇨🇭#SERSUI
— Natalie Rickli (@NatalieRickli) June 22, 2018
L'affaire parasitera ensuite les esprits des footballeurs suisses pendant plusieurs jours, notamment lors du fameux 8e de finale perdu face à la Suède. «Nous n'étions pas libres dans nos têtes, avouera Granit Xhaka bien plus tard. Notre communication a manqué de clarté après le match contre la Serbie. Nous n'avons pas su évacuer toutes les ambiguïtés qui ont pu peser sur le climat de l'équipe. Sur le terrain face aux Suédois, j'ai senti comme un poids sur mes épaules.»
Fin août 2019, l'agence ATS annonce que Xherdan Shaqiri a «refusé de se mettre à la disposition de l'équipe de Suisse pour les matchs qualificatifs à l'Euro 2020 en Irlande et contre Gibraltar».
Une cassure apparaît entre le joueur et sa sélection. Le Matin dimanche interroge: «Shaqiri a-t-il moralement le droit de refuser de jouer pour son pays afin de se concentrer sur son club, Liverpool, où il chauffe le banc depuis le mois de février?» Deux camps se déchirent. Une partie du public le considère comme un traître à la nation, condamne un caprice de star en rappelant que le numéro 23 avait déjà manqué à ses devoirs au printemps 2018 pour les matchs amicaux contre la Grèce et le Panama. L'autre moitié des spectateurs se montre plus indulgente et compréhensive. Vladimir Petkovic intervient pour le défendre.
Par ses buts, son rayonnement et son implication dans tous les grands tournois que la Suisse a disputés dans son histoire récente, Xherdan Shaqiri est-il devenu le meilleur joueur de l'histoire de la Nati? Nous avons soumis la question à Joël Robert (radio) et David Lemos (télé), les deux voix de l'équipe nationale sur le service public. Voici leurs réponses: