Il y a tout d’abord eu cette belle surprise. Elle nous attendait là, majestueuse, juste à la sortie de la gare. Elle? La célèbre cathédrale de Cologne. Mais en ce début de mercredi après-midi, l’imposant monument gothique du 13e siècle (157 mètres de hauteur) n’était temporairement plus la star du lieu.
Non, sur cette place, les badauds – nous y compris – n’avaient d’yeux que pour ces milliers d’hommes en jupes à carreaux. Il faut dire que la Tartan Army, le nom donné aux fans écossais en référence au tissu de leurs kilts, en impose. Visuellement, d’abord. Eux seuls savent si bien combiner vêtement traditionnel et maillot de foot. Mais surtout niveau décibels. Il y a les beuglements isolés, qui suivent généralement une gorgée de bière. Les cling des chopes qui font «Cheers!» L’eau de Cologne, les Ecossais ne l’ont en tout cas pas eue dans leurs verres… Et puis des chants, des chants et encore des chants.
Ils sont lancés par un petit groupe et systématiquement repris par des dizaines de compatriotes. Dans les rues, le tram ou le stade, c’est pareil. A chaque fois, tout le répertoire y passe: l’hymne, Flower of Scotland, bien sûr, mais aussi des airs traditionnels ou des mélodies pop célèbres agrémentées de paroles improvisées, souvent minimalistes (elles le deviennent davantage à chaque pinte descendue). Le premier nous a d’ailleurs mis les frissons quand il a été entonné à pleins poumons avant le coup d’envoi par les quelque 15’000 Britanniques dans les tribunes.
Pour qui suit un peu le football, tout ça, c’était couru d’avance. Oui, les Ecossais – «on est 70’000 ici à Cologne», nous a assuré l’un d’entre eux – ont été fidèles à leur sympathique réputation. Les innombrables «Good luck!» et high five que nous ont adressés les compatriotes de William Wallace et Andy Murray en nous voyant dans nos maillots de la Nati sont venus embellir ce tableau déjà bien festif. En fait, c’est exactement dans cette ambiance qu’un match de l’Euro devrait se dérouler, hormis les trop nombreux déchets jonchant le sol laissés par les visiteurs.
Et les Suisses, dans tout ça? Moins présents physiquement et vocalement dans la ville que leurs adversaires, ils ont toutefois, au minimum, fait match nul dans les tribunes. Une marrée rouge s'est abattue derrière le but Sud du RheinEnergieStadion et dans la tribune Est, et ses vagues tumultueuses n’avaient rien à envier aux puissants chants adverses.
Mais, après le match et les burgers, l’une des deux seules options culinaires de ce coin de stade avec les bretzels – une offre étonnamment très restreinte pour un tel événement –, c’était soupe à la grimace pour les fans helvètes.
Ils n’ont pas accordé aux joueurs et au sélectionneur l’ovation que ceux-ci étaient venus chercher au bas des gradins après le coup de sifflet final. Logique: ce 1-1 face à l’Ecosse est une déception, surtout au niveau de la manière. On pouvait d'ailleurs sentir l’agacement des supporters de la Nati quelques minutes plus tôt déjà, quand ils ont par exemple sifflé Manuel Akanji, à l’arrêt avec le ballon alors que la situation exigeait de pousser pour aller marquer le 2-1.
Mais ce qui a le plus agacé les fans dont nous faisions partie, ce sont les trams de Cologne. Dans l’espoir de rejoindre rapidement la ville, nous nous sommes précipités vers l’arrêt le plus proche de l’enceinte. Sur place, des centaines de Suisses et d’Ecossais mélangés se ruaient dans les rames se succédant. Est arrivé notre tour. Violemment poussé dans le wagon, j’étais malgré tout content d’y avoir une place. Enfin, si on peut appeler les très rares centimètres carrés d’espace à ma disposition ainsi.
Après les images du métro de Tokyo avec ses célèbres pousseurs, celles de Patrick Sébastien chantant Les Sardines et les plus fascinants numéros de contorsionnistes m’ont traversé l’esprit. C’est simple: totalement coincé, je n’arrivais même pas à sortir mon téléphone de la poche de mon jeans, histoire de revoir les highlights du match. Les douleurs dans mes lombaires, causées par la pression exercée sur mon dos par les corps de mes voisins envahissants, m’ont confirmé que je n’étais pas fait pour pareilles acrobaties.
Et pourtant… on a tous dû tenir un sacré moment dans ces positions si inconfortables. Une demi-heure, précisément. Le temps que les haut-parleurs du tram, à l’arrêt depuis notre montée dans le wagon, crachent une voix dont les seules paroles compréhensibles ont été: «Dieser Zug ist defekt». En français: «Ce train est défectueux».
Je me suis tout à coup rappelé l’avertissement de Raphaël, un fan jurassien de la Nati croisé plus tôt à l’hôtel. «Samedi, c’était le chaos pour aller au stade à cause d’un tram qui est tombé en panne, j’espère qu’on n’aura pas de nouveau ça aujourd’hui», craignait celui qui avait déjà assisté au premier match des Suisses contre la Hongrie dans la même ville. Et bien oui, rebelote!
Après avoir évacué le tram, nous en avons trouvé un autre rapidement derrière. Légèrement plus spacieux et avec, évidemment, des Ecossais chanteurs. Mais même leurs joyeuses mélodies n’ont pas empêché notre colère quand ce second tram, après un trajet interminable causé par de nombreux stops, nous a déposés au beau milieu de nulle part en guise de terminus. Résultat? 30 minutes à faire à pied jusqu’à l’hôtel. A 33 ans et en bonne santé, ça ne pose pas trop de problèmes. Mais on a eu une pensée pour les personnes plus âgées ou qui ont davantage de peine à se déplacer…
Les responsables sécurité de l'Euro peuvent s’estimer heureux d’avoir eu affaire, ce soir-là, à deux publics pacifiques. On n’ose pas imaginer la situation si des problèmes de supporters violents s’étaient ajoutés à ce chaos logistique.
Contrairement aux trams colonais, les employés de la voirie ont, eux, fait le job. Tôt jeudi matin, il ne restait aucun détritus sur la place de la cathédrale. Celle-ci était redevenue la star de l’endroit. Pour nous, il est temps de lever une dernière fois la tête vers le sommet des tours de ce chef-d'œuvre architectural puis de prendre le train pour rentrer en Suisse.
Malgré les soucis dans les transports publics, nous garderons un excellent souvenir de cette virée. En espérant que les fans de la Nati qui se rendront dimanche à Francfort pour le match contre l'Allemagne pourront en dire autant.