Le meilleur et plus riche championnat du monde a entamé une nouvelle saison vendredi avec le duel entre Crystal Palace et Arsenal (0-2). Trente ans après sa création, la Premier League est tout simplement la ligue sportive la plus regardée sur la planète. Même la prestigieuse Bundesliga allemande, qui a aussi connu ses débuts ce week-end, ne lui arrive pas à la cheville.
Pourtant, en octobre 1990, lorsque tout commence, peu de choses laissent présager pareil succès. C'est l'époque où la mère patrie du football est au plus bas.
Trois événements tragiques ont durablement marqué le football britannique. Après la tragédie du stade du Heysel à Bruxelles en 1985, qui a causé la mort de 39 personnes en marge du match Liverpool-Juventus, tous les clubs anglais sont exclus des coupes d'Europe pour cinq années.
Un an plus tard, 56 spectateurs meurent dans l'incendie d'une tribune à Bradford et, en 1989, 96 personnes périssent piétinées et asphyxiées contre les grillages du stade bondé d'Hillsborough, à Sheffield.
Le salut du football britannique vient des chaînes de télévision. En octobre 1990, Greg Dyke, le chef de la chaîne sportive ITV Sport, invite à dîner. Ses convives sont les représentants des cinq grands clubs de l'époque: Manchester United, Liverpool, Arsenal, Tottenham et Everton. L'intention? Déséquilibrer le partage des recettes issues des droits TV, en octroyant davantage à ces cinq mastodontes par rapport aux 87 autres équipes de la ligue.
Autrement dit, ce top 5 veut tout simplement quitter ce qui était à ce moment l'élite, la Football League First Division. L'idée d'une ligue appartenant aux clubs et dans laquelle les recettes TV sont réparties différemment voit le jour. La Football League tente bien d'empêcher son lancement devant les tribunaux, mais elle échoue.
Le 15 août 1992, la Premier League entame sa première saison. Et l'argent des droits TV arrive en masse. Ce n'est pas ITV, mais la jeune chaîne Sky Sports de Rupert Murdoch qui s'est assuré les droits. Pour la somme, délirante à l'époque, de 60,8 millions de livres par saison (environ 70 millions de francs suisses).
Ainsi, cette chaîne payante verse d'un coup beaucoup d'argent aux clubs et jouit, elle-même, de nettement plus d'abonnés qu'auparavant. Un modèle de commercialisation qui sera copié dans le monde entier voit le jour.
D'autres changements s'inscrivent dans la même logique. Après les catastrophes dans les gradins, les stades sont modernisés, les places debout sont supprimées et les prix des billets augmentent. Après ces adaptations, les enceintes anglaises redeviennent sûres et se révèlent être des endroits idéaux où jouer au football et le regarder, à la fois pour les téléspectateurs et les spectateurs sur place. Les supporters sont plus proches du terrain, de quoi pouvoir aussi mieux sentir l'ambiance derrière son téléviseur.
La conséquence de tous ces progrès? Encore plus d'argent dans les caisses. Le nombre de spectateurs ne cesse d'augmenter. La saison dernière, il n'a jamais été aussi élevé, avec une moyenne de 39 472 personnes. En 1992/93, il y en avait à peine plus que la moitié (21 132 spectateurs).
Les premiers changements apparaissent aussi sur le terrain. Au début des années 90, la majorité des joueurs sont encore blancs, anglais, costauds et le football plutôt rugueux. Mais la qualité des footballeurs et coachs qui fait défaut en Angleterre va être importée de l'étranger.
Le Français Eric Cantona est la première grande star de Manchester United à jouer très différemment des locaux. Il devient le modèle d'un nouveau mouvement. Aujourd'hui, seul un joueur de Premier League sur trois est anglais. En 1996, c'est un entraîneur frenchy qui débarque sur l'île, Arsène Wenger. A la tête d'Arsenal, il amène le football anglais dans une autre dimension en termes de jeu.
Après les succès de Wenger, presque toutes les équipes de pointe font venir des coachs étrangers. Jusqu'à maintenant, aucun entraîneur anglais n'a jamais gagné la Premier League. Et ça ne changera pas cette saison. Tous les prétendants au titre ont un technicien étranger: les Allemands Jürgen Klopp (Liverpool) et Thomas Tuchel (Chelsea), les Espagnols Pep Guardiola (Manchester City) et Mikel Arteta (Arsenal), le Néerlandais Erik ten Hag (Manchester United) et l'Italien Antonio Conte (Tottenham).
Les propriétaires de clubs s'internationalisent aussi. L'oligarque russe Roman Abramovitch, par exemple, a connu un grand succès avec Chelsea. Tout comme le cheikh émirati Mansour bin Zayed Al Nahyan à Manchester City.
Depuis leur rachat, ces deux clubs ont connu une telle gloire que les supporters du pourtant très traditionnel Newcastle United jubilent quand des Saoudiens reprennent leur club en octobre 2021. Cette réaction n'est d'ailleurs pas la seule à avoir attiré les critiques à l'encontre du football anglais commercialisé.
Mais la Premier League reste un produit à succès depuis sa création il y a 30 ans.
La qualité élevée de son spectacle est maintenue grâce à l'importance des recettes télévisuelles, qui atteignent désormais 4,7 milliards de livres (5,5 milliards de francs suisses) pour les trois prochaines saisons et rapportent plus de 100 millions de livres (116 millions de francs suisses) par an à chaque équipe, même la plus faible. Et dans aucun autre championnat de haut niveau, le titre n'est aussi disputé qu'en Angleterre.
Non, la fin du conte de fées de la Premier League n'est pas en vue.
Adaptation en français: Yoann Graber