En devenant co-propriétaire du FC Rapperswil-Jona ce mardi, Xherdan Shaqiri (capitaine du FC Bâle) confirme une tendance: ces cinq dernières années, plusieurs footballeurs en activité ont racheté – en partie ou en entier – un club dans lequel ils ne jouent pas.
Le plus célèbre d'entre eux est Kylian Mbappé (Real Madrid), qui a acquis 80% du SM Caen (deuxième division française) l'été dernier. Avant lui, il y a eu Zlatan Ibrahimovic en 2019: le Suédois, alors joueur du Los Angeles Galaxy, a acheté 25% des parts d'Hammarby, dans son pays natal. On peut encore citer les exemples, en 2024, des stars sénégalaises Sadio Mané (Al-Nassr) et Kalidou Koulibaly (Al-Hilal), devenus respectivement propriétaires de Bourges et Sedan en France.
Si toutes ces vedettes peuvent acheter des clubs de football, c'est qu'elles en ont désormais les moyens. «Il y a quarante ans, les footballeurs étaient beaucoup moins payés. Pour préparer leurs carrières post-professionnelles, ils achetaient généralement des restaurants ou des bars», explique Jean-Pascal Gayant, économiste du sport, dans Le Monde.
Oui, pour un footballeur, investir dans un club, c'est s'assurer un avenir professionnel et financier une fois les crampons rangés. Et ce, de plusieurs manières possibles. Il y a d'abord l'opportunité de devenir dirigeant, ou en tout cas de s'entraîner à le devenir. C'est d'ailleurs la raison évoquée par Shaqiri pour justifier son rachat partiel – il est actionnaire minoritaire – du FC Rapperswil Jona:
Pour cette génération biberonnée aux jeux vidéo, la perspective de pouvoir vivre une partie de Football Manager grandeur nature a de quoi être très attirante. Bien plus, en tout cas, que celle de servir des bières ou se plonger dans la compta' d'un établissement public.
C'est aussi, pour certains, un moyen de sortir de leur «simple» condition de footballeur, un job pas toujours bien considéré malgré les millions qu'il permet d'empocher. «Les joueurs, au-delà d'être des stars de leur sport, veulent de plus en plus exister en tant qu'entrepreneurs», témoigne pour Franceinfo Yvan Le Mée, agent de Ferland Mendy (Real Madrid), entre autres.
Et puis, devenir le boss d'un club de football, c'est forcément s'offrir une belle vitrine, pour autant que ce dernier ait du succès sportif et demeure sain. En Valais, Christian Constantin ne dira pas le contraire. Il y a d'abord les retombées économiques positives dans une potentielle activité annexe. Mais pas que.
«Si Kylian Mbappé développe l'image du club de Caen, il peut améliorer sa réputation et sortir de sa considération parisiano-centrée», analyse Pierre Rondeau, spécialiste de l'économie du football, qui parle de «valorisation immatérielle». Si Shaqiri parvient à faire grandir le FC Rapperswil-Jona (actuel pensionnaire de troisième division), son image – déjà très bonne dans toute la Suisse – ne peut que s'embellir.
A première vue, les footeux célèbres ont toutes les cartes en main pour faire progresser et rayonner le club qu'ils achètent: leur expérience du milieu, leur réseau et leur nom. Ce dernier permet notamment d'attirer des joueurs et des sponsors. Et un club qui progresse, c'est intéressant économiquement pour le footballeur-investisseur: il peut espérer une jolie plus-value s'il le vend quelques années plus tard.
Dans cette perspective, les choix de Caen et Rapperswil sont judicieux, car il s'agit de deux clubs avec du potentiel: au regard de leur histoire (Caen a déjà joué en première division, Rapperswil en deuxième), ils aspirent à monter et, à leur échelle, ils sont suivis par un large public. Xherdan Shaqiri ne dit rien d'autre:
Surtout, ce sont deux clubs que Mbappé et sans doute Shaqiri – qui n'a pas communiqué le montant de son investissement ni le pourcentage de ses parts – ont pu s'offrir à un prix correct, puisqu'ils n'évoluent pas dans l'élite. L'Equipe estime à 18 millions d'euros la somme investie par l'attaquant du Real pour acheter 80% de Caen. En comparaison, Strasbourg, «petit» de première division française, a été vendu en 2023 pour 75 millions d'euros.
Et selon l'économiste du foot Pierre Rondeau, la conjoncture actuelle est particulièrement propice à l'achat de clubs:
Les footballeurs avides de bénéfices peuvent regarder un exemple qui a de quoi leur mettre des dollars dans les yeux: la superstar du basket, Michael Jordan, avait acheté l'équipe NBA des Charlotte Hornets pour 180 millions de dollars en 2010. En 2023, il l'a revendue pour... 3 milliards.
Mais les raisons financières ne sont pas les seules à pousser des footballeurs à investir dans un club. Il y a aussi, heureusement, celles du cœur et de la passion.
D'autres décident de donner un coup de pouce à leur club formateur, comme le Français Odsonne Edouard (Leicester City), qui va injecter plusieurs millions d'euros à Bobigny. Dans ce projet, l'attaquant voit même plus loin que le terrain: «Dès que je vais avoir du temps libre, on fera des événements pour se rassembler et sensibiliser les joueurs aussi pour avoir une citoyenneté responsable», s'enthousiasme-t-il dans L'Equipe.
On ne sait pas si Xherdan Shaqiri a l'ambition, à travers le football, de rendre les citoyens de Rapperswil meilleurs. Mais une chose est sûre: il a acté son achat dans les règles de l'art, en clarifiant le seul point qui pouvait poser problème quand un joueur investit dans un autre club. «Lorsqu’un joueur actif reprend des actions, ce n’est pas si simple. Beaucoup de choses juridiques doivent être clarifiées, notamment si les deux équipes viennent à s'affronter. Tout est réglé», fait savoir le capitaine du FC Bâle.
L'année prochaine, la Coupe de Suisse pourrait donc nous offrir une affiche cocasse si les Rhénans rencontrent le FC Rapperswil-Jona. «Dans ce cas, étant sur le terrain, je donnerai tout pour le FC Bâle», a assuré Shaqiri en rigolant, professionnel jusqu'au bout des orteils.