Björn Bruhin et Luca von Siebenthal sont chacun assis devant six écrans. Focalisés, absorbés par leur travail. Un silence absolu règne dans la pièce. Jusqu'au moment où von Siebenthal demande:
Je réponds «Loïc Meillard». Alors qu'ils apportent une contribution importante, les deux scientifiques du sport employés par Swiss-Ski, et restés au centre de commandement à Berne, ne voient pas grand chose de ce qui se passe à Sun Valley aux Etats-Unis, site ayant accueilli cette semaine les finales de la Coupe du monde.
Björn Bruhin (responsable du département Recherche et développement) et son équipe veillent depuis la Suisse à ce que Marco Odermatt et les autres Helvètes puissent fournir les meilleures performances possibles en course. Même si, Bruhin tient à relativiser son apport: «Notre travail consiste surtout à soutenir les entraîneurs sur place». Pour nous faire une idée, nous avons pu observer leur mission durant le géant de Sun Valley.
Il est écrit «Command Center» sur la porte du bureau bernois. Cela paraît mystérieux. Et c'est en partie le cas. Bruhin précise d'emblée qu'il ne peut pas nous révéler tout ce que son travail implique. «Veillez à ce que cette partie de mon écran ne soit pas visible sur vos photos», ajoute-t-il.
Avant la course, les deux hommes reçoivent chacun une liste d'ordres de la part des entraîneurs. On peut y lire: «Gate to gate», «Side by side» et «Overlay». Tout cela va devoir être traité presque immédiatement.
Dossard 1, Thomas Tumler est le premier à en terminer avec la première manche. Luca von Siebenthal visualise alors sa course, marquant manuellement chaque fois où il touche une porte. Le fameux «Gate to gate». Tumler réussit sa session en une minute et onze secondes. Von Siebenthal n'a besoin de son côté que de quatre ou cinq minutes pour analyser la manche du Suisse.
Les données sont intégrées dans un graphique qui montre le temps que Thomas Tumler et Marco Odermatt ont perdu à chaque porte sur le premier, en l'occurence Loïc Meillard. Mais n'est-ce pas ce que nous voyons aujourd'hui, à la télévision, avec les lignes vertes (pour les plus rapides) et rouges (pour les plus lents)? Pourquoi les scientifiques de Swiss Ski doivent-ils effectuer ce travail manuellement?
«Ce que nous voyons à la télévision n'est pas aussi précis que notre collecte de données. Les coureurs ont un capteur dans leur chaussure. Celui-ci envoie un signal à chaque changement de direction. C'est-à-dire lorsque le ski est à la verticale par rapport au sol. Mais comme le changement de direction varie localement selon la ligne, il ne s'agit pas d'un pointage exact. Nous, nous mesurons toujours au même endroit: à savoir lorsque le skieur passe la porte avec l'épaule», explique Björn Bruhin.
Pendant que von Siebenthal réalise le graphique «gate-to-gate», Bruhin monte les vidéos «side by side» (deux courses côte à côte) et «overlay» (deux coureurs l'un sur l'autre). Lorsque les 15 premiers skieurs ont franchi la ligne d'arrivée, les entraîneurs et les athlètes disposent déjà des comparaisons entre Meillard et Tumler ainsi que Meillard et Odermatt, sous forme de graphique et de vidéos.
Mais à quoi servent donc ces connaissances pour la deuxième manche? «Cela aide lorsque quelque chose s'est mal passé, notamment lors des mouvements de terrain. Souvent, les images et les données confirment la propre impression. Cela amène de la sécurité», répond Bruhin.
Exemple: le premier géant de la saison. Marco Odermatt est éliminé dès la première manche. Un tel faux pas ne laisse jamais indemne et «Odi» se met à cogiter. Mais Björn Bruhin peut le rassurer à peine quelques minutes après son échec. «Marco avait 1,4 seconde d'avance à l'endroit où il a été éliminé», révèle l'analyste.
Swiss-Ski ne serait pas un leader incontesté dans le milieu si l'instance se reposait sur ses lauriers. Elle songe donc à l'avenir et a déjà conçu cette saison des animations de tracés basées sur l'IA, pour les courses de vitesse.
Pour mettre tout cela en place, la piste doit être mesurée et photographiée à l'aide de drones. Il en résulte un Lauberhorn virtuel. Ensuite, un pilote artificiel est entraîné, explique Bruhin. «Grâce aux trackers GPS, nous savons où les coureurs se déplacent et à quelle vitesse. Nous équipons notre pilote avec ces données et nous le faisons descendre environ deux millions de fois, pour qu'il trouve la ligne la plus rapide.»
La simulation est déjà si avancée que le meilleur temps virtuel ne diffère de celui de la course que d'une demi-seconde. Mais quel est l'intérêt pour les skieurs? «Ils peuvent visualiser la trajectoire optimale avec des casques de réalité virtuelle», précise Bruhin.
Cela signifie-t-il qu'avec l'intelligence artificielle, les athlètes suisses seront encore plus difficiles à vaincre la saison prochaine? «Nous verrons bien. Ce n'est qu'après la saison que nous évaluerons où nous en sommes», répond le spécialiste. «De plus, c'est un projet coûteux. Et comme l'approvisionnement en neige et la mise en place du parcours varient d'une année sur l'autre, il faut produire une nouvelle animation à chaque fois, avec des images tournées la semaine précédant la course.» Mais chut, il ne faut pas trop en dire à ce sujet.