Tout à coup, Thomas Lüthi est de nouveau au cœur de la lutte pour le titre mondial dimanche après-midi lors de sa 319e et dernière course. Si Raul Fernandez gagne, la 12ème place suffit à Remy Gardner pour devenir champion du monde de Moto2. L'Espagnol l'emporte, Remy Garder doit alors dépasser «Tom-Tom». L'Australien y arrivera et terminera finalement 10e.
Une situation qui rappelle l'heure de gloire de Thomas Lüthi: le 6 novembre 2005, le Bernois avait assuré son titre de champion du monde 125cc sur ce même circuit du Grand Prix de Valence avec une 9ème place. Comme Rémy Gardner ce dimanche, il avait réussi à préserver son avance au classement général.
Nostalgie. Cette grande carrière s'est achevée ce 14 novembre 2021. Nos yeux sont maintenant rivés sur l'avenir. Mais que faut-il attendre des pilotes suisses après la retraite de «Tom-Tom»?
Pour imaginer ce futur, il faut toutefois regarder en arrière. Et plus précisément en 2002. Cette année-là, sur le circuit de Jerez en Andalousie, aucun pilote suisse ne participe aux tests officiels de pré-saison. La dernière victoire d'un Helvète (Jacques Cornu) remonte à 13 ans, le dernier titre de champion du monde (Stefan Dörflinger) à 17 ans. Le nom de Thomas Lüthi est encore inconnu dans les courses internationales. Une chaîne de télévision espagnole avait interrogé l'expert romand et consultant TV, Jean-Claude Schertenleib, sur les perspectives de la moto dans notre pays. Sa réponse:
La fin de l'histoire, pour ainsi dire.
Trois ans plus tard, en novembre 2005, Thomas Lüthi devient champion du monde (en 125 cc). Une nouvelle ère commence, qui amène également Randy Krummenacher, Dominique Aegerter, Jesko Raffin et Jason Dupasquier sur les Grand Prix. Oui, les choses peuvent aller vite. Depuis que l'historien américain Francis Fukuyama a proclamé la «Fin de l'Histoire» et la victoire finale de la démocratie en 1989 après la chute de l'Union soviétique, on sait que faire des pronostics est difficile.
Mais voilà, cette ère a pris fin après le départ de Dominique Aegerter vers le championnat du monde de Supersport, l'accident mortel de Jason Dupasquier au GP d'Italie en mai cette année, et la dernière course de Thomas Lüthi ce dimanche.
Les conditions sont différentes aujourd'hui de ce qu'elles étaient au début de la carrière du Bernois. La concurrence n'est pas seulement plus forte que jamais dans les trois catégories principales (MotoGP, Moto2, Moto3). Elle l'est également au bas de l'échelle, dans les catégories d'entrée du haut niveau. Jamais auparavant il n'y a eu autant de talents aux portes des Grand Prix et qui font leurs gammes dans des courses internationales juniors. Passer directement du championnat d'Allemagne au championnat du monde, comme ça a été le cas de «Tom-Tom», n'est plus possible aujourd'hui.
Une carrière en moto est encore plus difficile et coûteuse aujourd'hui, et la concurrence sur le paddock est devenue plus forte. La Suisse est l'un des pays les plus riches du monde, mais, dans notre pays aussi, financer ne serait-ce qu'un début de carrière est devenu davantage compliqué. Sponsoriser un sport automobile n'est plus aussi intéressant qu'il y a 20 ans, entre autres pour des raisons politiques. Restent donc les parents ou un mécène.
Même si un jeune pilote a des qualités indéniables, ça ne signifie pas pour autant qu'il pourra rouler. Pour obtenir l'une des rares places dans le championnat du monde de Moto3 – c'est là que commence une carrière en Grand Prix – des sommes à six chiffres sont désormais nécessaires. Aujourd'hui, le billet d'entrée pour disputer des Grand Prix coûte quatre à cinq fois plus cher que pour Thomas Lüthi à ses débuts.
Les catégories reines de la moto ressemblent de plus en plus à la Formule 1, alors les motards suisses deviennent comme leurs homologues en F1: des pilotes avec des moyens limités. Dans beaucoup de catégories, la gloire, les éloges et les prix suffisent. Mais pour le très haut niveau – les Grand Prix de moto et de Formule 1 –, il faut davantage que l'influence et l'argent.
Mais la moto suisse va garder un pied sur le paddock des GP après la retraite de Thomas Lüthi. La SSR va continuer à diffuser les courses en direct jusqu'à la saison 2025 comprise, soit la durée du contrat pour les droits TV. Pour la saison prochaine, la catégorie reine MotoGP, la Moto2 et la Coupe du monde de MotoE – si Dominique Aegerter y participe à nouveau – seront retransmises en live. Avec «Tom-Tom» comme consultant.
En plus de son rôle à la télé, le tout frais retraité des circuits va devenir directeur sportif de l'équipe allemande Prüstel, qui comprend les deux pilotes espagnols Xavier Artigas et Carlos Tatay, dans le championnat du monde de Moto3. Lüthi aura donc son mot à dire sur les choix des futurs pilotes. En plus de tout ça, l'Emmentalois coache le jeune talent Noah Dettwiler (16 ans), qui a terminé 17e de la Rookies Cup cette saison. Pas encore suffisant pour faire son entrée en Moto3. Le jeune Bâlois va maintenant donner ses premiers coups de gaz dans le championnat du monde junior.
Alors, à quand le prochain Thomas Lüthi? Un nouveau champion émergera-t-il aussi rapidement qu'après 2002, alors que Jean-Claude Schertenleib avait déjà annoncé la fin de l'histoire? Non.
Cette fois, il faudra plus de trois ans pour que la Suisse produise un autre vainqueur de Grand Prix et un champion du monde. L'attente peut même durer des décennies. Dans le meilleur des cas, Noah Dettwiler réussira à intégrer le championnat du monde de Moto3 en 2023.
Une chose est sûre: Jean-Claude Schertenleib n'ose plus faire de prédictions. Il concède, un peu bourru: «Je ne sais pas ce que les prochaines années nous réservent.»
Adaptation en français: Yoann Graber