C'est un grand record, un héritage encombrant que le tennis traine depuis des décennies et dont il espérait secrètement que Serena Williams le débarrasse: avec 24 trophées du Grand Chelem, Margaret Court est officiellement la référence de ce sport, la plus grande joueuse de l'Histoire. Une histoire que l'on évite de raconter aux petits enfants.
A 80 ans tout juste, «Maggie» est aujourd'hui une pasteure prosélyte dont les discours exaltés, prononcés la bave aux lèvres, font l'apologie de l'apartheid et du châtiment divin. Comme dirait une ex-joueuse française, «la vieille harpie passe son temps à casser du pédé». Le monde de tennis le sait bien et évite de l'inviter à ses réceptions officielles. Mais comment effacer son nom des tabelles?
C'est le plus grand non-dit de ses dix dernières années: depuis que Serena Williams a remporté son 23e titre du Grand Chelem, toute la tribune de presse, toutes les instances dirigeantes, soutiennent l'Américaine au plus profond d'eux-mêmes, en espérant qu'elle «pousse jusqu'au vingt-cinquième». Mais le corps n'y est plus.
Pour marquer les mémoires, le football a Messi et Ronaldo, la Formule 1 Hamilton et Schumacher, le basket Jordan et Johnson. Non moins attaché aux figures et aux symboles, le tennis redoute d'avoir Court et Djokovic. Deux personnalités certes incomparables en termes de norme sociale, mais tout aussi éloignées de leurs semblables par des positions élevées, ou voulues comme telles, sur ce qui touche à la religion et au spirituel.
Margaret Court est devenue pasteure pentecôtiste à Perth, d'où elle prétend que le tennis est infesté «de lesbiennes» et que les enfants transgenres sont «l’œuvre du diable». Avec les mêmes raideurs de mère supérieure, elle prie les jeunes filles d'aller se rhabiller. «Je ne pense pas qu’un court de tennis soit l’endroit idéal pour apparaître aussi peu vêtue. Les femmes n’ont pas besoin de s’exhiber ainsi.»
Martina Navratilova en a gardé un souvenir angoissé qu'elle partageait avec les médias à Roland-Garros 2015: «Margaret Court répétait que la Bible citait Adam et Eve, non Adam et Steve. J’ai pris sur moi et j’ai continué à défendre nos droits, ceux des homosexuels. Mais ce n'était pas toujours facile.»
«Maggie» n'est pas insensible à la colère des mécréants. «La façon dont on me traite est honteuse», a-t-elle protesté dans The Age. «J'exprime mon opinion qui est également la parole de Dieu. Tous ceux qui élèvent leur voix contre ma vision de la vie haïssent Dieu. Malheureusement, le diable est présent dans la presse, la politique, l'éducation et la télévision, qui essayent de tout contrôler.»
A l'Open d'Australie, un stade continue de porter son nom, malgré de nombreuses plaintes et pétitions. Margaret Court y est apparue en janvier 2017, plus en os qu'en chair, lorsque Serena Williams a remporté son dernier titre du Grand Chelem. Notre confrère Chris Clary (New York Times) l'avait interviewée dans les jardins. Plutôt cordiale, «Maggie» avait confessé un désintérêt croissant pour le tennis féminin, trop ennuyeux à son goût, et une certaine fascination pour «le service» de Serena Williams; avant d'ajouter, chipie: «Mais quand il ne fonctionne pas, tout le reste vacille.»
Surtout, Margaret Court avait soutenu avec force qu'elle «aimait les gens» et qu'elle mériterait «une plus grande attention dans le tennis». «Tout de même, je ne suis pas une idiote», avait-elle conclu. Depuis ce jour-là, un jour où elle a prié que son record ne soit jamais battu, plus personne ne l'a revue dans un stade.