D'ordinaire, quand il part faire du vélo, Guillaume ne suscite pas la moindre réaction de la part de ses proches. Mais tout est différent depuis la disparition tragique de Gino Mäder, mort après une terrible chute dans la descente du col de l'Albula jeudi. «Mes amis savent que je fais beaucoup de vélo, alors plein d'entre eux m'ont écrit samedi matin pour me demander d'être prudent dans les descentes, de ne pas aller au-delà des 50 km/h», relate le Vaudois de 45 ans, rencontré ce samedi au col des Mosses.
Guillaume reconnaît que cette sortie, au lendemain de la mort d'un cycliste sur une route suisse, «est un peu différente des autres». C'est aussi ce que nous dit Alain, un autre cyclotouriste croisé cette fois à Château-d'Œx, et qui s'excuse d'avoir un peu de peine à parler, saisi par l'émotion.
Le cyclotouriste connaît bien le col grison pour y avoir déjà posé ses roues par le passé. «J'ai fait la même descente que Gino et elle n'est pas vraiment dangereuse», assure-t-il. Ce constat est aussi celui de Dominique, un quinqua fribourgeois moulé dans un maillot rouge et noir.
«L'Albula, je l’ai justement fait il y a moins d’une semaine et je peux vous confirmer que la descente n'est pas périlleuse. Elle débute par un faux-plat descendant avant de proposer des virages sur des pentes à 11%, mais la route est relativement belle côté La Punt (réd: où était jugée l'arrivée du Tour de Suisse ce funeste 15 juin). À mon avis, si Mäder a chuté, c’est la faute à pas de chance.»
En quittant la maison ce samedi matin, Dominique a laissé sa femme et sa fille. «Mais elles ne m'ont rien dit», précise-t-il, ajoutant que lui-même avait eu une pensée pour Mäder au moment de donner son premier coup de pédale. Sa balade est pour lui aussi différente de toutes les précédentes.
Prudent, Alexandre l'est aussi. On l'aborde juste avant qu'il ne bascule du col des Mosses en direction de Château-d'Œx, vêtu du maillot arc-en-ciel de champion du monde. «Mais je n'ai que le maillot», prévient-il avec un sourire malicieux.
Cet habitant de Domdidier était devant sa télévision jeudi pour suivre la 5e étape de la boucle nationale. Il ne s'en est pas tout à fait remis.
Cet amateur de 56 ans, qui est resté très attaché à Lance Armstrong («un coureur avec énormément d'allure et de charisme»), sait d'expérience à quel point un cycliste peut être vulnérable quand il est sur un vélo en carbone: il s'est fait renverser par une voiture il y a deux ans. «Les véhicules qui me doublent m'inquiètent chaque jour davantage, surtout qu'ils sont toujours plus puissants et toujours plus silencieux. On ne les entend pas toujours arriver.»
«Personnellement, j'ai bien plus peur des voitures que de ma façon de descendre les cols, assène Eva (30 ans). Je me fais confiance, car je connais les limites de mon vélo. C'est pareil pour tous les cyclistes. Après, bien sûr, tout peut arriver.»
Gino Mäder était un professionnel réputé pour ses qualités de descendeur. Il est pourtant mort sur une route sans voiture et sans difficulté apparente, dans des circonstances que les autorités devront éclaircir. Ce qui est certain, c'est que sa disparition laissera une trace durable sous les casques des cyclotouristes.