Trois absurdités se cachent derrière le «prix de la paix Fifa» de Trump
Qui ne connaît pas cette exigence, si souvent répétée en football, selon laquelle la politique n’a rien à faire dans le sport? Les deux sphères devraient, dit-on, rester strictement séparées. La Fifa elle-même a consigné des règles à ce sujet: si la politique s’immisce dans les compétences d’une fédération, celle-ci s’expose à de lourdes sanctions.
Vendredi soir, la Fifa n’a guère tenu compte de ce principe et s’est, d’une manière encore jamais vue, complaisamment alignée sur le président des Etats-Unis, Donald Trump.
Et cela n’est pas peu dire, après que les dernières phases finales de Coupe du monde ont été organisées dans la Russie de Vladimir Poutine puis au Qatar. Là-bas, pour mémoire, un simple brassard arc-en-ciel était jugé encore trop politique en 2022 et a été finalement interdit.
Vendredi, il ne s’agissait plus d’un petit morceau d’étoffe porté au bras, mais d’un trophée massif, fraîchement créé et doré: le prix Fifa de la paix.
L’idée, en soi, est louable: distinguer des actions menées au service de la paix. Et cela existe d’ailleurs depuis plus de cent ans, c’est la raison d’être du prix Nobel de la paix.
Gianni Infantino estime néanmoins que la Fédération internationale de football doit, elle aussi, honorer cela au moyen d’un trophée. Que cette idée lui soit venue précisément pour le tournoi en Amérique du Nord et au début du second mandat de Trump? Avec son bon camarade qui, récemment encore, exigeait en vain et avec véhémence le prix Nobel de la paix pour lui-même? Pure coïncidence, bien évidemment.
«Un acte de connivence a-t-il jamais été aussi flagrant, aussi public?», s’est interrogé au début de la cérémonie le commentateur télé allemand Oliver Schmidt (ZDF). Une fois la représentation terminée, il a résumé avec justesse:
Trump divise au lieu de rassembler
Au cours des quelque douze minutes de son intervention, le président suisse de la Fifa a beaucoup parlé. Il a couvert Trump d’éloges, l’a cajolé. Sur les réseaux sociaux abondent bien d’autres métaphores décrivant les flatteries excessives qu’Infantino a prodiguées au président américain.
Ce faisant, il s’est parfaitement inscrit dans la ligne de ce dernier, reprenant ses thématiques. Ce qui revient à recourir à des demi-vérités, des vérités ressenties, des «c’est-la-copine-d’un-voisin-qui-me-l’a-dit» ou encore, parfois, à de purs mensonges. Vendredi, trois passages se sont particulièrement distingués.
Ainsi Infantino a-t-il lu dans un certificat que Trump recevait la distinction «en reconnaissance de ses mesures exceptionnelles visant à promouvoir la paix et l’unité dans le monde entier».
Indépendamment du nombre de guerres auxquelles le président américain a réellement mis fin ou de l’importance véritable de son influence dans ces processus, cette phrase soulève surtout deux questions.
Si Trump œuvre tant pour la paix, pourquoi envoie-t-il alors la Garde nationale contre ses propres citoyens dans des villes paisibles? En quoi incarne-t-il l’unité, lorsqu’il divise à ce point la population que ses partisans vont jusqu’à prendre d’assaut le Capitole en son nom?
D’autant que ce dernier point peut s’appliquer très concrètement au football: les interdictions d’entrée généralisées aux Etats-Unis doivent être étendues à 30 pays, dont au moins deux participants au Mondial: l’Iran et Haïti. Comment cela pourrait-il rassembler les supporters, si même les délégués de la fédération iranienne se battent en vain à obtenir un visa?
De l'irrespect envers beaucoup de gens
Poursuivant son discours, Infantino a ajouté ce qui distinguerait prétendument Trump:
Par son autosurexposition permanente, le président américain donne depuis des années l’impression qu’une seule personne compte vraiment à ses yeux: lui-même. Quant aux gens en général? Peut-être tout au plus ses compatriotes? Avec ses débordements de toutes sortes, il sape presque quotidiennement cette affirmation.
Le président américain de 79 ans traite des journalistes de «laides» ou de «cochonnes» et qualifie des personnes originaires de Somalie de «déchets». Trump est beaucoup de choses, mais certainement pas un philanthrope.
La Fifa ne représente pas les fans de foot
Dans son discours, puis encore une fois sur Instagram, Gianni Infantino a en outre affirmé à l’adresse de Donald Trump:
Rares sont les amateurs de football qui s’opposeraient à la paix; cela ne signifie toutefois pas qu’ils approuvent un soutien inconditionnel à Trump. Cela vaut également parmi les professionnels. L’ancienne internationale américaine Megan Rapinoe, notamment, s’est à plusieurs reprises opposée publiquement à Trump, le qualifiant de «sexiste», «obtus» et «raciste».
De nombreux groupes de supporters ont sans doute un avis similaire sur le président américain et ne se rangeront guère à ses côtés. Les propos d’Infantino reposent de toute façon sur un contresens: la Fifa ne représente pas l’intégralité du monde du football.
Sur le papier, cela peut paraître vrai; sur le fond, en revanche, la fédération mondiale, engluée dans ses scandales de corruption, dans sa quête de sources de revenus toujours plus vastes et dans sa complaisance envers les dirigeants politiques, s’est depuis des années éloignée de sa base.
D’autres acteurs du sport désapprouvent depuis longtemps la trajectoire empruntée par la Fifa. Joachim Löw a ainsi qualifié de «totalement démesurés» les projets visant à élargir encore la Coupe du monde. Le syndicat des joueurs, la FIFPro, a critiqué, après l’introduction de la nouvelle Coupe du monde des clubs, la surcharge qu’elle impose aux professionnels.
A tous les niveaux, la Fifa est l’objet de critiques. Mais Infantino s’en moque, et poursuit obstinément sa voie discutable. La prestation offerte à Washington n’en a été qu’une preuve supplémentaire.
Adaptation en français: Yoann Graber
