«Le relais de la flamme olympique est né à Berlin»
Après un premier relais de neuf jours en Grèce, la flamme olympique des JO d'hiver de Milan-Cortina 2026 entre ce samedi en Italie. Portée par 10 001 relayeurs, elle traversera le pays du nord au sud et d'est en ouest, avec des passages dans des sites emblématiques comme Sienne, Pompéi ou Venise. Elle est attendue à Milan le 6 février pour la cérémonie d'ouverture prévue dans le stade de football de San Siro.
Ce parcours ne dit toutefois pas tout des origines de la flamme et surtout du relais, inventé par le régime nazi lors des JO 1936. Pour remonter sa trace dans l'histoire, nous avons contacté Eric Monnin, ambassadeur de l'Université Marie et Louis Pasteur à Besançon et directeur du CEROU (Centre d'études et de recherches olympiques universitaires).
Eric Monnin, vous la connaissez bien, cette flamme olympique, pour l'avoir portée à plusieurs reprises.
Oui, une fois pour les JO de Tokyo 2020 et deux fois pour ceux de Paris 2024.
Est-elle lourde?
Non, pas du tout, car elle est adaptée aux athlètes handicapés moteur. Le but, c'est qu'elle soit au contraire très légère, de sorte à pouvoir être transportée sur un fauteuil roulant lorsque c'est nécessaire.
A quoi faut-il veiller quand on a la chance de pouvoir participer au relais?
Il faut tenir le flambeau bien droit et suffisamment haut, de telle manière à ce qu'il puisse être vu par tout le monde. C'est cela, le plus important.
En 2024, vous avez eu la chance de participer à l'allumage de la flamme à Olympie, sur le site des premiers Jeux de l’Antiquité, devant les ruines du temple d'Héra et avec des prêtresses vêtues d’habits inspirés de la Grèce ancienne. Cette cérémonie, qui était aussi visible pour le départ du relais de Milan/Cortina 2026, pourrait faire croire que la flamme olympique remonte à l'Antiquité. Or ce n'est pas du tout le cas...
Non, c'est vrai. Mais durant l'Antiquité, il y avait tout de même des relais, qu'on appelait des lampadédromies. Il s'agissait de courses de flambeaux généralement organisées en l'honneur de divinités rattachées au culte du feu, par exemple à l'occasion des Panathénées, les fameuses festivités d'Athènes.
Quel est le rapport avec les Jeux olympiques?
Il vient du fait que pour rénover les JO à la fin du 19e siècle, Pierre de Coubertin a choisi de s'appuyer sur la Grèce antique, avec toutes les traditions que je viens d'évoquer, plutôt que sur la Rome antique.
Certes, mais il n'y avait pas de flamme lors des premiers JO modernes organisés par Pierre de Coubertin. Il a fallu attendre ceux de 1928 à Amsterdam...
Oui, et c'est en quelque sorte une incompréhension qui va donner naissance à la flamme. Cette année-là, Pierre de Coubertin n'a pas pu se rendre aux Pays-Bas pour assister aux Olympiades. Il a donc envoyé une lettre disant ceci: «Je vous demande de conserver et d'entretenir parmi vous la flamme de l'olympisme rénové.» Les Hollandais en ont déduit qu'ils devaient allumer une vasque olympique pour symboliser ces Jeux, une habitude qui perdurera.
On ne parle pas encore de cérémonie d'allumage à Olympie, et encore moins de relais.
Non, mais il se produit une chose curieuse en 1928: les Hollandais ont créé une médaille commémorative sur laquelle sont représentés un homme et une femme munis d'une torche olympique, qui n'avait donc pas encore été inventée!
Mais qui le sera en 1936, lors des JO de Berlin organisés par le régime nazi.
Exactement. Lors de son arrivée au Reichstag en 1933, Adolf Hitler n'était pas du tout intéressé par les Jeux olympiques. Il n'en voulait pas. Mais son ministre de la propagande, Joseph Goebbels, et le secrétaire du comité d'organisation des JO, un certain Carl Diem, vont soutenir ce projet et soumettre l'idée de faire le lien entre l'Antiquité grecque et le monde moderne, les nazis étant fascinés par l'Antiquité. Pour la première fois de l'histoire, le 20 juillet 1936 à Olympie, la torche olympique a été allumée lors d'une cérémonie. Elle a ensuite été acheminée à Berlin par 3075 porteurs différents sur un trajet long de 3075 km.
Ce qu'on a vu récemment à Olympie, la cérémonie suivie du relais de la flamme des JO 2026, a donc été inventé par l'Allemagne dans les années 30.
Exactement. C'est une idée de Carl Diem, associé à Jean Ketseas, alors membre du CIO pour la Grèce, qui donne naissance au premier parcours du relais de la flamme olympique.
Et personne n'a jamais remis en question cette invention par la suite?
En tout cas, il y a bien eu un relais olympique après la seconde guerre mondiale, en 1948 lors des JO de Londres.
Cette fameuse flamme n'apparaît qu'en 1952 lors des JO d'hiver. Pourquoi si tard?
Parce que les Jeux d'hiver n'ont jamais été une priorité dans la première moitié du 20e siècle. Il faut se souvenir que lorsque Pierre de Coubertin crée les Jeux modernes, le programme comprend des disciplines d'été et d'hiver. En 1908 à Londres, on trouve par exemple des champions olympiques de patinage et en 1920, des hockeyeurs sur glace s'affrontent pour l'or. Mais sous la pression des Scandinaves, Pierre de Coubertin finit par créer une édition d'hiver qui s'installe tout doucement mais qui n'atteindra jamais la dimension universelle des JO d'été.
