Ce tournoi est la «Swiss League» du hockey européen
La compétition européenne de clubs, c'est soixante ans d’une histoire jalonnée d’échecs, de malchance et de couacs. Le premier tournoi a été disputé lors de la saison 1965–1966, sous le nom de Coupe d’Europe. L'épreuve est devenue depuis la Champions Hockey League (CHL), dans son format actuel instauré en 2014. Et elle fonctionne à peine mieux que l’ancien Europa-Pokal.
Il n’existe toujours pas, dans le hockey européen, l’équilibre sportif que l’on trouve dans le football. Les équipes issues de marchés télévisuels et publicitaires importants – Allemagne, Angleterre, France, Italie, Espagne – n’ont pratiquement aucune chance de rivaliser. L’un des scores les plus parlants: en 1978, le champion néerlandais Heerenveen avait balayé Bilbao 21–2 au premier tour. Et les 25 premières éditions, de 1966 à 1990, ont toutes été remportées par des équipes de l’URSS ou de la Tchécoslovaquie.
Le hockey européen ne connaît pas de véritable culture de clubs transfrontalière, contrairement au football. Dans ce dernier, les fans de tous les pays suivent les stars et les clubs des grandes ligues – Bundesliga, Premier League, Serie A, etc. En hockey, seules deux ligues intéressent vraiment: celle du pays et la NHL. À Berne, le huitième de finale contre Brynäs (Suède) n’a attiré que 4602 spectateurs, alors que le match contre la lanterne rouge Ajoie en a réuni 13'468.
S’ajoute à cela un problème d’agenda: dans les grands pays, les championnats nationaux comptent plus de 60 journées, ce qui laisse très peu de marge. La Champions League monopolise ainsi neuf dates dans le calendrier suisse, car aucun match de championnat ne peut être programmé les jours où un club dispute une rencontre de CHL à domicile.
La CHL souffre surtout d’un handicap économique: pour les clubs, elle est une affaire déficitaire. Les ZSC Lions, qui disposent de la plus grande expérience dans cette compétition – qu’ils ont remportée deux fois (2009 et 2025) –, en savent quelque chose. Selon leur directeur, Peter Zahner, la règle de base est claire: un club ne commence à gagner de l’argent qu’à partir des demi-finales. La faute principalement aux coûts de déplacement élevés, notamment aux vols charter souvent nécessaires pour se rendre en Scandinavie.
Quant au public, il ne commence généralement à s’intéresser à la compétition qu’à partir du dernier carré. Le directeur sportif d’un club majeur va même plus loin: il estime qu’il vaudrait mieux renoncer à la Champions League et réutiliser ces dates pour remettre en place une Coupe de Suisse, qui profiterait au moins aux petits clubs du pays.
Impossible toutefois de s’en écarter: les contrats liant les clubs à la Champions League — une société anonyme basée à Zoug — courent encore jusqu’en 2028. Les équipes qualifiées qui renonceraient à y participer s’exposeraient à une amende à six chiffres. Le mécontentement est pourtant devenu tel qu’en Suède et en Finlande, un retrait est désormais ouvertement évoqué. Certains clubs vont même jusqu’à aligner majoritairement des juniors pour certains matches. Tout comme la Swiss League est le problème chronique du hockey suisse, la Champions League est devenue le souci encore plus lourd du hockey européen de clubs.
Dans ces conditions, l’avenir de la Champions League est incertain. Tout dépendra de la capacité à revendre les droits télévisés et commerciaux — au moins au même prix — à Infront, l’agence internationale de marketing sportif elle aussi basée à Zoug, ou à un autre acheteur potentiel. Cette saison, la Suisse aligne quatre équipes dans la compétition: les ZSC Lions, Lausanne, Berne et Zoug. Aux trois qualifiés habituels s’ajoute en effet le tenant du titre, les ZSC Lions. Pour les clubs helvétiques, les billets d’entrée sont attribués au champion, au vainqueur de la saison régulière et au deuxième du classement général.
Il ne reste plus que Zoug en lice dans la compétition actuelle. Le club a perdu 3-1 son quart de finale aller à l’extérieur contre Lukko Rauma (Finlande) cette semaine (le match retour aura lieu le 16 décembre). Zoug, toutefois, n’est pas parmi les critiques de la CHL pour une raison bien particulière. Son directeur, Patrick Lengwiler, est le seul Suisse à siéger au conseil d’administration de la Champions League SA. Avec une certaine habileté, il a transmis nos questions sensibles directement au président, Jörgen Lindgren.
Le Suédois explique notamment que l’organisation «prend très au sérieux l’opinion publique» et qu’elle entretient un «échange constant et étroit avec les ligues et les clubs». Selon lui, ces voix critiques sont «importantes, parce qu’elles montrent que les acteurs s’intéressent à la Champions League et s’y identifient». Il estime donc qu’il ne faut pas les voir comme une menace, mais comme une opportunité de renforcer la compétition par l’action collective.
En vue d’une possible prolongation des contrats arrivant à échéance en 2028 avec les ligues et l’agence de marketing Infront, basée à Zoug, Jörgen Lindgren souligne qu’il existe «des besoins d’optimisation dans plusieurs domaines, notamment en matière de droits médiatiques et commerciaux ainsi que dans les structures de coûts». Il insiste sur l’importance d’«analyser avec précision les potentiels afin de pouvoir les exploiter de manière stratégique dans les années à venir». Et il affirme rester convaincu que la Champions Hockey League «perdurera au-delà de 2028».
Le dirigeant ne croit pas à un retrait des clubs suisses. «Nous travaillons en étroite collaboration avec la National League et les clubs, et nous n’envisageons pas de scénario dans lequel ils cesseraient de participer», assure-t-il. Des vœux qui, espère-t-il, seront entendus par les dieux du hockey.
