L'exploit réalisé par l'équipe de Suisse, lundi soir contre les champions du monde, ouvre une parenthèse géniale entre un passé douloureux et un futur incertain. La Nati a déçu pendant quinze ans, elle s'est fait éliminer le plus souvent sans gloire par des équipes qui n'étaient pas meilleures qu'elle. Vendredi, elle disputera un quart de finale sans son patron (Granit Xhaka est suspendu pour un second carton jaune) et contre une sélection espagnole dont le jeu de possession, historiquement, ne lui convient guère.
Mais en ce matin humide, où flottent encore les gaz d'échappement de ceux qui ont fêté la qualif à coups de klaxons et d'accélérations la veille, tout le monde s'en fout. Car entre cet avant et cet après, il y a ce chef-d'œuvre collectif face aux Bleus, l'un des plus grands exploits de l'histoire du sport suisse.
Un match hallucinant, un «truc de fou», n'ayons pas peur des mots (ni des fous), que personne ne manquera de raconter à ses petits-enfants, ni à ceux des autres d'ailleurs.
Mais que dire? Le football a souvent associé ses exploits aux villes dans lesquelles ils se sont produits. Il y a eu le miracle de Berne ou la nuit de Séville, il faudra trouver quelque chose pour ce Suisse-France, ce miracle dans la nuit de Bucarest. Mais tout ça, c'est encore pour plus tard. Maintenant, il s'agit simplement de «kiffer la vibe», comme on dit entre «L.A.» et Préverenges; d'aimer éperdument ces joueurs que certains trouvaient mal éduqués (ils ne chantent pas l'hymne), trop fortunés (ils roulent en bolide) ou exagérément coquets (ils se font des mèches entre deux matches), et de faire un gros câlin à Vladimir Petkovic.
Car l'instant est moins une étape qu'un accomplissement pour l'équipe de Suisse et ses supporters. La Nati rêvait de marquer l'histoire en atteignant les quarts de finale et elle y est parvenue de la plus belle des manières, avec un panache que nul ne lui soupçonnait, contre la plus prestigieuse équipe du tournoi et dans un contexte largement défavorable.
Notre sélection nationale n'est pas devenue la meilleure équipe du monde, et ses joueurs des titulaires en puissance dans les plus grands clubs de la planète. Il n'est même pas certain que l'Espagne la craigne plus que la France ne l'a redoutée, et elle n'aurait pas tort. Ce qui a changé, dans le fond, c'est moins le regard des autres sur la Suisse que le nôtre, et pas seulement à cause de l'alcool qui a circulé dans nos veines comme Gavranovic dans la défense française.
Granit Xhaka et ses coéquipiers sont devenus pour nous de grands joueurs, d'immenses footballeurs même, et on nous prêterait des champions du monde pour le quart de finale qu'on déclinerait poliment, parce qu'ils ont beau avoir deux étoiles sur le maillot, on en a un paquet dans les yeux.
On en est là, ce mardi matin, à trouver Seferovic plus grand que Mbappé, à préférer Xhaka à Kante, et à considérer qu'un Angleterre-Allemagne (ce soir) à Wembley n'atteindra jamais les mêmes sommets que ce Suisse-France, nouveau point culminant du pays.