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Robert Lewandowski et le syndrome du plombier polonais

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Robert Lewandowski et le syndrome du plombier polonais

Il voudrait partir. D'autres l'auraient libéré pour services rendus mais le Bayern a décidé de le retenir contre son gré. Et de toute façon, personne n'est prêt à le payer cher. C'est l'histoire d'un Polonais de service.
19.05.2022, 06:1419.05.2022, 07:53
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64 buts en une année, des records séculaires, des triplés légendaires, dix titres de champion d’Allemagne. Et pourtant, rien. Pas de Ballon d'or. Pas de proposition indécente. Pas de photographes qui en font un modèle (papa modèle d'une petite fille adorable, conducteur modèle d'une «Lambo» décapotable) ou qui le reluquent à la plage. Pas de diners en ville ni de campagne publicitaire: loin de tout, si loin. Presque oublié.

Robert Lewandowski a 33 ans, d'accord. Ce n'est plus le début, d'accord, d'accord... Mais comment expliquer qu'au moment où la moitié de l'Europe cherche un avant-centre, personne n'ose l'offre faramineuse qui sied à semblable CV? Barcelone n'a pas l'argent. Le Real pas envie. Et Manchester City n'y pense même pas. Seuls Paris et Chelsea seraient intéressés mais à condition de pouvoir retenir ou refourguer leur buteur actuel, respectivement Mbappé et Lukaku. Et encore, il faut discuter.

Sa célébration après un but. Fantaisie, quand tu nous tiens.
Sa célébration après un but. Fantaisie, quand tu nous tiens.

Robert Lewandowski a 33 ans et il reste le meilleur, l'employé du mois par excellence, l'homme qui occupe son poste depuis tant d'années, états de service impeccables, attitude irréprochable, sans aucun risque de le voir dévier de son but. Mais après?

Les propositions n'affluent pas sur sa boite vocale. Les regards ne trainent pas. On lui préfère des racailles banlieusardes et même des vieux beaux. Pis: Benzema et Ronaldo sont encore bien plus chers, plus âgés et plus compliqués. Lewandowski, lui, reste le roi des buteurs, le king size bipède (car en plus, il a les deux pieds); mais on le remarque à peine.

Clinique, chirurgical

La première erreur fut peut-être de l'appeler Robert, plutôt que de lui assurer un grand destin au Scrabble. Ses parents, Iwon et Krzysztof, avaient imaginé un prénom singulier, exportable à l'internationale, avec le secret espoir que les Anglais, un jour, lui donneraient du Bob - mais Robert n'a jamais joué en Angleterre.

Iwon et Krzysztof avec leurs deux enfants. Krzysztof fut un judoka et un footballeur de deuxième division polonaise. Il accompagna son fils sur tous les terrains avant de décéder subitement d'un AVC à ...
Iwon et Krzysztof avec leurs deux enfants. Krzysztof fut un judoka et un footballeur de deuxième division polonaise. Il accompagna son fils sur tous les terrains avant de décéder subitement d'un AVC à 49 ans, quand Robert en avait 16.

Faute de pouvoir chipoter sur les statistiques, on s'attaque volontiers à son physique. Petit et chétif, au début, monté sur des allumettes avec une tête bien rouge. Aujourd'hui, Lewandowski se distingue de ses «semblables» par un physique ordinaire, coiffé comme un garçon de café et entaché d'aucun tatouage, aucun piranha ni aigle royal dans le cou, tandis que le footballeur moderne ressemble communément à une fourgonnette du 9-3.

Pour expliquer le peu de convoitises qu'il suscite, So Foot a une théorie. Elle vaut ce qu'elle vaut: «Lewandowski est un buteur, certes. Sans doute le plus complet, sinon le meilleur, de la décennie écoulée. Mais c’est un buteur froid, implacable, clinique. Robotique. Il n’a pas l’élégance de Shevchenko, le dernier pur numéro 9 à avoir remporté le Ballon d’or (2004)».

Clinique et chirurgical: voilà qui suggère des instants joyeux. «Lewandowski est un finisseur, développe Miroslav Tlokinski, ancien international polonais. Il est à la conclusion des actions et on ne peut pas nier qu'il dépend beaucoup du collectif. Sur ce plan, bien sûr, Messi lui est infiniment supérieur. Il n'a besoin de personne pour marquer. Il peut changer le résultat d'un match à lui seul.»

Pas toujours élégant ni spectaculaire. Diablement efficace.
Pas toujours élégant ni spectaculaire. Diablement efficace.

«Mais si on parle d'un buteur, poursuit Tlokinski, il n'y en a jamais eu d'aussi prolifique dans toute l'histoire du football que Lewandowski en 2020 et 2021. Gerd Müller, lui aussi, était un finisseur. Il n'a jamais construit une seule action, jamais dribblé personne. On le considère pourtant comme une légende. Mais lui n'était pas Polonais.»

Nous voilà arrivé au coeur du sujet... La Pologne. Une certaine idée de l'ouvrier qualifié, aussi bon qu'un autre et corvéable à merci, représenté dans l'inconscient populaire par le fameux «plombier polonais», symbole du dumping social et de la main d'oeuvre bon marché (le raisonnement reste valable pour un footballeur à pied d'oeuvre).

Lewandowski est un peu cet archétype. Il est sous-coté dans des proportions inouïes, réduit à peu de lustre parce qu'il a percé sur le tard en sortant de nulle part, avec l'exubérance d'un nain de jardin. Quand il parle, forcément, il aggrave son cas.

Une autre erreur fut peut-être d'attribuer tous ses mérites à une épouse omnisciente, devenue une sorte de Madame Colombo en crop top. Anna Lewandowska, née Stachurska, gère toute la vie de «Lewy»: l'alimentation (au gramme près), la concentration, le sommeil (à la minute près), les séances de gymnastique et de team building intraconjugal (métaphore).

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Une dernière erreur, voire une erreur fatale, fut enfin de créer un compte Tik Tok, dans l'attente un peu déçue de paraître connecté et branché (devenir un vrai Bob). Or les internaute ont pété les plombs:

«C'est terrible! Lui serait-il possible d'avoir un minimum de charisme?»
«C'est tellement gênant. Oh la tristesse de ce que je viens de voir»

On en est là, entre deux voies sans issue. Après avoir tenté de lui trouver un remplaçant (Haaland) et refusé de prolonger son contrat (2023), le Bayern s'oppose farouchement à son départ. Lewandowski, lui, est prêt à diviser son salaire par deux pour rejoindre Barcelone. Mais même là...

«Certaines personnes disent que Lewandowski finira par prendre sa revanche, soupire Miroslav Tlokinski. On raconte même qu'il gagnera le Ballon d'or. Mais moi, je sais que ça n'arrivera jamais.» Il est et il restera Robert Lewandowski, le Polonais de service.

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