Le terrain de football au milieu des champs, les places de parc improvisées à côté, des affiches partout au village, les odeurs de saucisses et frites, les files interminables devant les rares tireuses à bière: la Coupe de Suisse a un charme qu'on ne retrouve dans aucun autre événement.
En faisant se rencontrer l'équipe du coin et les stars de Super League, cette compétition offre un contexte de fête au village et des oppositions inédites. Samedi (18h00), Le Locle (NE) vivra par exemple pareille ambiance. Les Neuchâtelois, pensionnaires de 2ème ligue, reçoivent le FC Zurich. Idem pour les Emmentalois d'Aemme (2e ligue bernoise), qui accueillent Lausanne.
Si ces duels sont particuliers pour les joueurs et les spectateurs, ils le sont aussi pour les arbitres. Et ça commence dès la prise de contact avec le club hôte, généralement le «petit». «Les arbitres s'occupent de tout, à savoir trouver une personne de référence, l'appeler, s'assurer qu'elle pourra nous accueillir deux heures avant le match, qu'on disposera bien des locaux et du matériel nécessaires ou encore que le club a une caisse suffisante pour payer sa part de rémunération aux arbitres», explique Sébastien Pache, ancien sifflet de Super League.
«Parfois, les places de parking sont à l'autre bout du village, alors on règle également ce genre de détails qui, habituellement, ne pose aucun problème», complète Ludovic Gremaud, lui aussi ancien arbitre dans l'élite.
Dans ce protocole à mettre en place, il est aussi question de sécurité. Parce que oui, dans les stades champêtres, la proximité entre le public et les directeurs de jeu est plus forte. Et ça peut parfois amener à des dérapages. On se souvient par exemple de Massimo Busacca, l'un des plus expérimentés arbitres suisses (une finale de Ligue des champions à son palmarès), qui avait craqué en adressant un doigt d'honneur aux fans de Young Boys après avoir entendu leurs insultes, en 2009 lors d'un match de Coupe à Baden.
Sébastien Pache et Ludovic Gremaud n'ont heureusement jamais vécu pareille mésaventure dans cette compétition. Au contraire, tous deux en gardent «de super souvenirs, dans une ambiance très festive». Mais le second a tout de même connu un petit incident. «C'était un match entre Collombey-Muraz (VS) et Young Boys en 2010», rembobine Ludovic Gremaud.
Les arbitres, que le public peut scruter de près même avant le match, doivent aussi faire particulièrement attention à l'image qu'ils dégagent. «Il ne faut absolument pas donner l'impression d'être arrogant et de prendre cet événement de haut. Sinon, les spectateurs nous assimilent à des starlettes qui vont siffler en faveur des stars, de la grande équipe», prévient Sébastien Pache.
Mais à écouter nos deux interlocuteurs, les plus grandes difficultés pour les directeurs de jeu dans ces matchs parfois très déséquilibrés se rencontrent sur le terrain. «L'engagement physique est plus fort en Super League, où les arbitres tolèrent par conséquent davantage les duels», observe Sébastien Pache.
Il s'agit donc de trouver une ligne de conduite, et parfois, il faut adapter le curseur. «On a tendance à prendre comme référence l'intensité de jeu de l'équipe de Super League, c'est donc à son adversaire de s'adapter», précise le Vaudois.
Mais avec la différence de rythme ou un enthousiasme mal canalisé, les joueurs de divisions inférieures – qui disputent souvent le match de leur vie – sont parfois poussés à faire des fautes maladroites à retardement. Elles risquent de devenir plus fréquentes au fil du match, avec la frustration causée par un score fleuve ou la fatigue. Car les amateurs sont moins bien préparés physiquement que les pros, d'autant plus au mois d'août ou septembre, quand ces derniers ont déjà repris le championnat depuis plusieurs semaines, au contraire des ligues plus basses.
«Même à 7-0 à la 90e minute, on peut voir un attaquant de Super League qui part seul au but se faire faucher par derrière, risquer une blessure, s'énerver et avoir un mauvais geste vengeur», met en garde Ludovic Gremaud. Avec Sébastien Pache, ils insistent, en chœur:
Et même si possible avant le coup d'envoi. Les deux anciens collègues sont d'accord sur un autre point: les dix premières minutes d'une rencontre sont cruciales. C'est déjà à ce moment que l'arbitre fait comprendre aux acteurs sa ligne de conduite, mais c'est aussi là qu'il doit observer, prendre la température, histoire de prévenir tout souci. «C'est d'autant plus vrai avec une équipe amateur, qu'on ne connaît pas et dont on n'a, par conséquent, pas pu analyser avant le match le système et le style de jeu», pointe Ludovic Gremaud.
Le Genevois se rappelle d'une autre subtilité quand il dirigeait des rencontres déséquilibrées.
Avec autant de choses à avoir en tête, les arbitres qui officieront ce week-end au Locle, à Aemme et dans les autres stades bucoliques n'auront sans doute pas le temps d'humer les douces odeurs de saucisses et frites au bord de la pelouse.
Cet article est adapté d'une première version publiée le 18 août 2023 sur notre site.