Mon nouveau maillot me pose un problème de conscience
Jusqu'à présent, j'avais l'habitude de courir avec de simples tee-shirts en coton et cela me convenait très bien. Je suis un runner amateur, je fais des sorties de 10 km en 1 heure, si bien que je n'ai jamais vraiment ressenti le besoin d'avoir un matériel très sophistiqué. Mais je me suis dit récemment qu'il serait peut-être sympa de courir avec un maillot de running, toujours à mon rythme, et je me suis mis à en chercher lorsque je faisais mon shopping dans les friperies.
C'est comme cela que, mi-août, en me baladant dans le «rayon» sport d'un magasin vaudois de seconde main, je suis tombé sur un superbe maillot gris clair. Avec ses manches vertes, le motif du Cervin plaqué sur la poitrine et le drapeau suisse situé juste au-dessus de l'inscription «marathon», je l'ai trouvé fabuleux. Comme il semblait neuf, qu'il était à ma taille et qu'il ne coûtait que trois francs, je l'ai acheté sans trop me poser de questions.
Mais un peu plus tard, lorsque j'ai décidé d'aller courir, je me suis demandé si j'avais vraiment le droit de le porter. Etait-ce moralement acceptable de revêtir le maillot d'une course à laquelle on n'a pas participé? La question se posait d'autant plus que l'inscription «finisher 2025» figure au niveau du col.
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Evidemment, je n'ai jamais franchi la ligne de cette course. J'en serais même bien incapable: le Gornergrat Zermatt Marathon est l'un des marathons de montagne les plus exigeants et spectaculaires d’Europe.
La distance (45,5 km) a déjà de quoi faire vaciller les mollets les plus endurcis, mais il faut en plus y ajouter le dénivelé positif (2458m) et l'altitude, l'arrivée étant jugée au sommet du Gornergrat (3089m).
Une imposture
Ce maillot, c'est certain, allait peser beaucoup plus que son poids sur mes épaules. Si j'acceptais de m'afficher avec en courant, j'allais devenir une sorte d'imposteur. Les personnes que j'allais croiser penseraient évidemment que j'avais participé à l'épreuve et je ne mériterais pas les regards admiratifs que je susciterais.
Et puis, ce tee-shirt avait déjà une histoire. Il avait appartenu à quelqu'un qui s'était entraîné dur, qui avait beaucoup transpiré et dont la ténacité et le courage avaient forcé le respect. Qui étais-je pour m'approprier la suite d'une histoire dont je me sentais forcément indigne?
D'un autre côté, l'aspect esthétique de ce maillot me plaît, je ne l'ai pas volé et le principe même de la seconde main est justement de donner une nouvelle vie aux objets. En cédant son tee-shirt gratuitement (c'est le règlement du magasin où je l'ai acheté), ce coureur mystère savait qu'il pourrait être porté par un autre que lui, et que les chances seraient grandes que ce nouveau propriétaire n'aurait jamais franchi la ligne d'arrivée du redoutable Gornergrat Zermatt Marathon.
Enfin, la course à pied est un sport ingrat et indéniablement répétitif. Se prendre pour un autre pendant une heure, laisser penser qu'on est plus fort qu'on en a l'air, pourrait rendre cette activité amusante, voire ludique.
Ceux qui voudront connaître la vérité la sauront de toute façon très vite: il leur suffira d'observer ma foulée pour savoir que si j'avais vraiment participé au Gornergrat Zermatt Marathon, le seul tee-shirt auquel j'aurais eu droit aurait été celui de bénévole.