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UTMB 2024: «Courir un marathon, c’est devenu presque banal»

Des athlètes en plein effort lors de l'Ultra Trail du Mont Blanc UTMB) le 28 août 2015, Chamonix, France. (Photo by Erik SAMPERS/Gamma-Rapho via Getty Images)
Des athlètes en plein effort, lors de l'Ultra-Trail du Mont Blanc (UTMB) le 28 août 2015, à Chamonix.Image: Gamma-Rapho
Ultra-Trail du Mont-Blanc

«Courir un marathon, c’est devenu presque banal»

L'ultra le plus mythique et peut-être le plus controversé du monde, l'Ultra-Trail du Mont-Blanc, prend le départ ce lundi 26 août. Pour l'occasion, nous avons passé un coup de fil au sociologue Olivier Bessy, spécialiste de la course à pied et auteur d'un nouvel ouvrage sur cette course de légende, pour décrypter ses enjeux.
24.08.2024, 07:02
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Pourquoi vous concentrer sur l’UTMB en particulier cette année?
Olivier Bessy: Au départ, je n’étais pas parti pour écrire un livre entièrement consacré à l’UTMB. Mais à force de voir comment cet évènement fait rêver toujours plus de monde, tout en suscitant de plus en plus la controverse, je me suis dit qu’il y avait quelque chose à faire pour comprendre cette évolution, pourquoi cette course a connu une telle croissance et un tel engouement aussi rapidement.

Justement, comment l’UTMB a-t-il évolué au cours des vingt dernières années, passant d'une course confidentielle réservée aux amoureux de la montagne, à l'un des ultras les plus populaires du monde?
L’UTMB, au départ, c’est une aventure. Lors de la toute première édition au début des années 2000, la météo était dantesque, épique. Ça a beaucoup contribué à la construction du mythe, qui n’a fait que s’accentuer au fil des éditions. C'était le grand début des ultras. En France, il n'y en avait que trois ou quatre. On se testait, on était mal équipé, on ne s’entraînait pas très bien. Puis l’UTMB est arrivé, c'est devenu une référence nationale, puis mondiale. Le nombre de coureurs, étrangers notamment, a explosé. Aujourd’hui, la densité de coureurs de haut niveau venus du monde entier à l’UTMB est inégalée.

L'UTMB, un véritable mythe
L'Ultra-Trail du Mont-Blanc, de son nom complet, est l’une des courses d’ultra-trail les plus prestigieuses au monde. Elle se déroule autour du massif du Mont-Blanc et traverse trois pays: la France, l’Italie et la Suisse. Les participants avalent quelque 170 kilomètres et 10 000 mètres de dénivelé positif. En 2023, près de 2800 coureurs ont pris le départ à Chamonix.

L'évènement a beau être mythique, il est aussi de plus en plus controversé, pourquoi?
Le système d'inscriptions et l’obligation pour les participants d’aller faire des courses à l’étranger dans le circuit «By UTMB» pose pas mal de questions sur le plan du développement durable. Il incite les coureurs à faire le tour de la planète pour récolter des «running stones».

«Si la fibre écologique n'empêche pas la majorité des gens d’aller faire l’UTMB, de plus en plus de coureurs se montrent critiques envers ce système»

La tentative de «boycott» de Kilian Jornet et Zach Miller, en janvier 2024, en est une démonstration. Toutefois, on n'écorne pas un mythe comme ça. Faire l’UTMB, c’est un rêve, avec des bénéfices symboliques incommensurables. Il faut en être, il faut y être. Les coureurs de haut niveau sont prisonniers d’un système. Ils doivent être présents vis-à-vis de leurs sponsors.

En parlant des coureurs... L’UTMB n’est-il pas un peu devenue une course pour citadins en mal de sensations fortes? C’est quoi le profil-type du participant, aujourd’hui?
Le profil-type du coureur de l'UTMB n’existe pas! Cependant, on constate des tendances. D'abord, les hommes sont beaucoup plus nombreux. Depuis vingt ans, ça n’a pas bougé: on est à seulement 10% de femmes sur la ligne de départ. Pour les tranches d’âge, contrairement à ce qu’on peut penser, même si Kilian Jornet a rajeuni l’image du trail en gagnant son premier UTMB à 18 ans en 2008, les jeunes de moins de 25 ans ne représentent que 5% des participants. Les quadras et les quinquas sont largement dominants. Mais on observe aussi une augmentation significative des plus de 50 ans.

La star mondiale du domaine, Kilian Jornet, a permis de rajeunir l'image de la discipline.
La star mondiale du domaine, Kilian Jornet, a permis de rajeunir l'image de la discipline.

Comment l’explique-t-on?
Parce que les plus de 50 ans d’aujourd’hui ont commencé l’ultra quand ils étaient plus jeunes, et ils n’ont aucune raison de s'arrêter si leur corps leur permet de continuer à se défier. Ils ont envie de se prouver qu'ils en sont encore capables, même s'ils ont 55 ou 60 ans.

Et pour l’origine sociale?
Pareil, pas de profil-type. On voit une représentation de tous les groupes sociaux. Toutefois, lorsqu'on analyse plus finement, on constate que les classes supérieures et favorisées sont surreprésentées: professions libérales, intellectuelles, cadres supérieurs... Les professions intermédiaires et employées sont nettement sous-représentées par rapport au poids qu’elles ont dans la population active.

Athlète, marathonien et ultra-traileur, Olivier Bessy est sociologue du sport et du tourisme spécialisé dans le domaine de la course à pied, et professeur émérite à l'université de Pau et des Pays de l’Adour. Dans son nouveau livre publié cette semaine, 20 ans d'UTMB: de la construction du mythe à l'incarnation d'un avatar de l'hypermodernité, il se penche sur l'évolution de cet ultra de légende, depuis son commencement, et sur son avenir, entre injonctions économiques, sociales et environnementales.

Ça semble plutôt logique, étant donné que les métiers libéraux sont ceux qui valorisent la compétition et la performance, non?
Exactement. Ces professions sont marquées par la culture de la performance. Sans oublier qu'elles profitent d'un avantage immense: elles sont maîtres de leur temps. Même si ces coureurs amateurs travaillent beaucoup, ils peuvent se permettre de s’entraîner, de poser cinq ou six jours de congé et d'aller faire l’UTMB. Cette autonomie financière et temporelle explique pourquoi cette catégorie est surreprésentée.

«Le nombre de kinés, médecins, chirurgiens, dentistes qui prennent part à la course est impressionnant»

Le trail est donc un sport super élitiste.
En effet. Vu le prix du dossard de l'UTMB à 450 euros, le coût de l'hébergement sur place et du transport, un coureur seul dépense minimum 1000 euros. En famille, la facture peut être multipliée par deux. Ça génère de grandes inégalités dans l’accès à l’évènement.

Vous disiez qu'on trouve beaucoup de médecins. C'est étonnant, quand on connait toutes les conduites dopantes, un véritable fléau chez les coureurs amateurs qui participent à l’UTMB...
Absolument. Les coureurs n’ont pas forcément recours à des produits dopants illicites, mais des produits dopants licites comme les AINS (anti-inflammatoires non stéroïdiens, ndr), qui ne sont pas interdits et que le coureur utilise au service de sa performance.

C'est quand même assez dingue. Pour les coureurs qui ne sont pas des professionnels, les enjeux ne sont pas les mêmes. Il devrait y avoir moins de pression...
Très juste. On pourrait considérer que les amateurs ont moins la pression que les coureurs de haut niveau. Sauf que pour les amateurs, ce n’est pas la même symbolique qui est recherchée. Au haut niveau, on se dope pour gagner.

«Chez les ultra-trailers 'ordinaires', on se dope pour être à la hauteur de ses ambitions»

Le coureur amateur se met une pression phénoménale sur l’image qu’il va renvoyer à sa famille, ses amis, son cercle social. Parce qu'il s’est tellement entraîné en amont, il a consenti tellement de sacrifices temporels, familiaux, financiers, sociaux, qu'il est hors de question que, pour un petit tendon enflammé, il n’aille pas jusqu’au bout. Alors, pour affronter la peur de ne pas y arriver ou éviter de vivre le cauchemar de l’abandon, il en arrive à se doper.

Qu’est-ce qu’ils viennent chercher dans l’UTMB, au juste, ces coureurs?
Il y a beaucoup d’ambivalences dans les attentes des participants. Les citadins en mal de nature vont venir chercher des paysages fantastiques, de très belles lumières du matin et du soir. Ils savent que tous les habitants seront là pour les encourager… Ils viennent aussi chercher un nouveau rapport à eux-même, aux autres, à l’environnement. Au temps, aussi. Le trail a un rapport au temps très ambivalent: on veut à la fois le maîtriser en courant le plus vite possible, mais aussi prendre son temps, lâcher prise par rapport au rythme du travail. Qui dit ultra, dit temps long. Enfin, les ultra-traileurs cherchent une expérience, des sensations, une forme d’intensité et une résonance avec soi-même, les autres et l'environnement.

Et de la souffrance, aussi?
En effet, la souffrance, dans ce cas, va déclencher de la joie. Elle se différencie du plaisir. Le plaisir est instantané, la joie est différée. Elle sera d'autant plus forte si l’effort et la souffrance ont été importants.

Sans oublier le bonheur de pouvoir se la raconter devant ses potes, genre: «Moi, je l’ai fait».
C’est exactement ça. Aujourd’hui, UTMB, ce sont quatre lettres magiques qui claquent. «Tu as fait l’UTMB? Wahou! Chapeau!» Il y a une forte valorisation sociale. Mais ce peut être extrêmement personnel, aussi. Une fierté qu’on va garder pour soi, tel un tatouage intérieur qui fait référence au fait d’avoir dépassé ses défaillances, ses limites, ses craintes.

«Faire un ultra, c'est une quête existentielle. Ça transforme les gens. C’est une métaphore de la vie, avec ses hauts et ses bas»

En parlant de haut et de bas... Quel avenir voyez-vous pour l'UTMB, ces prochaines années?
De part sa position géographique à Chamonix, son héritage sportif et touristique associé au Mont-Blanc, l’UTMB ne peut pas se contenter d'être un petit évènement. Il reflète cette ambition qu’a toujours eu Chamonix de briller. Chamonix, c’est là où sont organisés les premiers JO d’hiver en 1924, c'est un haut-lieu du tourisme, du sport, de l’alpinisme, de l’extrême, de l'innovation. C'est le mythe éternel du Mont-Blanc. L’UTMB est pris dans cette injonction du toujours plus. Plus de kilomètres, plus de dénivelé, plus de difficultés, de spectacle, de sensationnel.

«L’UTMB est devenu un colosse. Mais un colosse aux pieds d’argile»

Oui, on sent bien la surenchère constante... A l’apéro, dire qu’on a couru un marathon n’impressionne plus personne.
Courir un marathon, c’est devenu presque banal. C’est le mythe de Sisyphe, qui pousse un rocher mais qui n’arrive jamais au sommet, car la colline ne cesse de grandir. Le rocher finit par lui rouler dessus, pour dévaler la pente jusqu’en bas. C'est une leçon à retenir. Jusqu’où peut-on aller dans cette illusion qu’on peut aller toujours plus loin? Pourra-t-on, demain, continuer à organiser un évènement de cette nature, dans une société en proie aux tensions, à l’incertitude, au dérèglement climatique? Comme pour les Jeux olympiques, il faut commencer à réfléchir à un autre modèle.

Quel modèle?
Il faut retravailler un nouvel équilibre. Les intérêts économiques, sociaux et environnementaux sont décuplés, aujourd'hui. Il faut dire stop. Il y a trop de monde, trop de transports. L’empreinte écologique est monstrueuse. Et il y a des inégalités de genre et des inégalités sociales… Aujourd’hui, l’UTMB n’est pas un évènement populaire, c'est un évènement touristique, très élitiste, à la fois sportivement et socialement. Il doit se transformer en un évènement éco-responsable. C’est son grand défi pour demain.

Les participants sur le départ de l'UTMB, en 2018.
Les participants sur le départ, en 2018. Leur nombre a explosé au fil des éditions.Image: AP

Vous vous apprêtez à vous rendre à Chamonix pour assister au départ. Est-ce que ce livre risque de vous attirer quelques foudres, là-bas?
C’est déjà le cas! (Rires) Les organisateurs n’aiment pas être critiqués, et c’est compréhensible. Cet évènement, c'est leur bébé. Il y a une dimension affective très forte, très sensible. Mais mon rôle n’est pas de critiquer. Il est de comprendre. Ce que j’ai voulu, c’est d’éviter de tomber dans le discours béat de célébration qu’on entend trop souvent, mais aussi dans l’effet de dénonciation systématique des dérives marchandes, environnementales ou sociales. Même si elles sont bien réelles, elles ne doivent pas non plus constituer le seul centre d'attention. Ces deux prises de position manquent de nuance. L’objectif de mon livre est de montrer que c’est plus complexe.

«L'UTMB est soumis à des injonctions très contradictoires»

L'UTMB, c’est le produit d’un territoire, d’une société et d’un système économique. Quand on croise ces trois facteurs, on comprend mieux comment il fonctionne aujourd’hui et ce qu’il représente. Aujourd’hui, il se trouve sur une ligne de crête. A un tournant de son histoire.

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