Le plus souvent, lorsque vous tapez le nom d'Urs Kryenbühl sur internet, c'est sa chute terrible à Kitzbühel, le 22 janvier 2021, qui revient dans les premiers résultats. Son envolée et son atterrissage hantent encore les mémoires de beaucoup de fans de ski. Le Suisse se relèvera le corps meurtri: une sévère commotion cérébrale, une clavicule brisée et des ligaments déchirés au genou.
On craint la fin de carrière; on pense à Daniel Albrecht et son destin boxé et mis KO sous les coups de l'intraitable piste de la Streif. Il pansera ses plaies calmement avant de revenir au début de la saison 2021/2022.
Les sensations reviennent, les résultats aussi (de bons top 20 sur le circuit mondial), mais le Schwytzois ne joue plus le haut de classement. Il évolue loin de cette insoutenable légèreté, pour citer Milan Kundera, qui le caractérisait lorsqu'il a explosé aux yeux du monde en décembre 2019, sur la Stelvio, en terminant 2e - il remettait ça au même endroit, une année plus tard, finissant à la 3e place.
Mais le talentueux descendeur en mal de repères acceptait de faire un pas en arrière pour mieux rebondir. Alors qu'il conjurait le sort à Kitzbühel (19e), une année après son terrible accident, il commençait à retrouver de son ski, de son feeling parfois flamboyant, digne d'un chat sur les lattes.
Le skieur né en 1994 gagnait en confiance et claquait d'excellents résultats en Coupe d'Europe. Mais le sort s'en est une nouvelle fois chargé: alors qu'il mettait tout le monde d'accord lors du super-G à Saalbach, en Autriche, il tombait lourdement et retournait s'allonger sur un lit d'hôpital.
La poisse a choisi son camp et n'a plus lâché le Schwytzois. Une fois de plus de retour, tel un monstre de résilience, Kryenbühl se blesse encore sur les terres de ses exploits, à Bormio. C'est une nouvelle fois le ligament croisé antérieur du genou droit qui rompt.
Et en décembre 2024, il est prêt à en découdre, encore, mais son genou lâche une fois de plus lors d'un entraînement à Beaver Creek. La blessure de trop pour le sympathique Schwytzois.
Sa décision de stopper sa carrière le 4 avril 2025 est synonyme d'un grand ras-le-bol, d'une lassitude de sentir son corps fragilisé. Mais l'arrêt d'Urs Kryenbühl est surtout une nouvelle ligne au palmarès des grands talents de Swiss-ski aux carrières avortées. Le destin du descendeur d'Unteriberg rappelle l'horreur vécue par Daniel Albrecht, ancien champion du monde. Le Valaisan avait tout donné pour revenir, avant de comprendre que son corps, après avoir plongé dans un coma artificiel en raison d'un grave traumatisme crânien, ne pouvait répondre aux exigences du sport de haut niveau.
Pour le cas Kryenbühl, lui-même avouait en 2021 à watson:
Au courage, il poussait son corps et son mental pour retrouver les sommets. Il s'était reconstruit psychologiquement et disait «avoir accepté la chute», tout en concédant que «des événements comme celui-ci laissent toujours des traces sur une personne».
S'il s'en est mieux sorti qu'Albrecht, l'histoire semble bégayer lorsqu'on jette un coup d'oeil dans le rétro du ski suisse. Les réminiscences de l'accident effroyable de Silvano Beltrametti, devenu paraplégique après son crash à Val d'Isère, en 2001, sont encore prégnantes. On pense également au grand espoir Werner Elmer, 19 ans, mort lors d'une descente FIS à Verbier en 2002.
Chez les hommes, la liste s'est allongée pour les talents abîmés chez Swiss-Ski avec ce nouvel arrêt. Cette saison, la fédération suisse de ski avait vu un autre grand espoir, Yannick Chabloz, lui aussi la carcasse meurtrie, ranger la combinaison. «Mon inconscient me freinait», confessait Chabloz, lors d'une interview accordée à Blick. Une chute sur à Bormio a eu raison de son instinct de compétiteur.
Les destins de ces athlètes soulignent que le ski alpin est une discipline qui ne pardonne rien. La liste des talents helvétiques qui sont restés sur le carreau est longue; des oubliés du sport de haut niveau qui collectent des séquelles physiques, des bleus sur l'âme en prime.