Jeter bébé avec l'eau de la Seine pourrait bien devenir une nouvelle expression à la mode. Depuis les premières compétitions de triathlon dans le fleuve de tous les dangers, c'est comme si les courses et les résultats passaient en second plan. Le nerf de la guerre est ailleurs: qui va tomber malade? Comment? Quand? Le 31 juillet, après un premier report et une crainte d'annulation, les épreuves féminines et masculines catapultaient leurs premiers nageurs dans cette eau régulièrement impropre et sous haute surveillance.
Mais alors que l'on pensait les craintes reléguées dans le tiroir des anxieux, dimanche 4 août, patatras. Le monde apprend que la triathlète bruxelloise Claire Michel est malade depuis «quatre jours», terrassée par la bactérie E. coli. Autrement dit, depuis sa nage dans la Seine.
Le Comité olympique belge et sa fédération de triathlon commettront un communiqué suffisamment flou pour que l'on comprenne bien qu'ils sont fâchés: «Nous espérons que les leçons seront tirées pour les prochaines compétitions de triathlon aux Jeux olympiques». Quelles leçons? Sans que la qualité de l'eau ne soit évoquée, ces quelques mots suffiront à enflammer le débat.
La veille, la délégation suisse annonçait moins bruyamment la défection d'Adrien Briffod, atteint d'une «infection gastro-intestinale». Dimanche, cette même délégation se verra dans l'obligation de dévoiler que son remplaçant, Simon Westermann, est lui aussi aux prises avec une «infection gastro-intestinale». Détail qui aura très vite toute son importance: Westermann n'a jamais mis un seul orteil dans la Seine.
La goutte qui fera déborder la polémique viendra d'un média belge annonçant l'hospitalisation de la sportive belge qui n'a... jamais été hospitalisée. Une information, hélas, reprise par la plupart des médias généralistes et qui fera frémir les réseaux sociaux, quelques heures avant le départ du relais mixte, ce lundi matin. Parce que personne ne semble vouloir nager dans le doute.
Enfin, les orages qui se sont abattus sur Paris ces derniers jours viendront corser la baignabilité de la flotte parisienne et annuler deux entraînements. La fin d’un long fleuve tranquille?
Même si les deux délégations refusent désormais d'incriminer publiquement la qualité de la Seine, la psychose est bien installée au cœur de la capitale. Le Suisse Sylvain Fridelance, qui a remplacé Simon Westermann, qui devait lui-même remplacer Adrien Briffod lundi matin, a donné son sentiment sur la qualité de l'eau, au micro de RMC Sport. Bien avant que l'on sache s'il était déçu ou non de leur 7e place. Les priorités sont connues.
Si le remplaçant du remplaçant relativise, il admet aussi que «c’est normal de se poser la question et se demander si ça avait du sens de faire la natation dans la Seine, sachant qu’on savait que ça allait être limite». En gros, impossible de ne pas penser au sujet qui fâche. D'autant que le vomi plane harmonieusement sur les épreuves de triathlon.
Le 31 juillet dernier, sur le ponton d'arrivée de la course masculine, le Canadien Tyler Mislawchuk a régurgité «une dizaine de fois» après sa neuvième place. Pour les plus vigousses des détracteurs de la nage en Seine, ce sera l'énième preuve d'une eau dangereuse. Un démenti du champion n'y fera (presque) rien:
Manitoba’s Tyler Mislawchuk 🇨🇦 truly gave it his all in the men’s triathlon.
— Marley Dickinson (@marleydickinson) July 31, 2024
Ninth overall.
“I didn’t come here to come top 10 but I gave it everything I had. I went for it, I have no regrets—vomited 10 times.”
📸: @NickIwanyshyn / @TriMagCan pic.twitter.com/3xuQpixWL4
Pour couronner le tout, une nouvelle propagande s'est évidemment emparée de la psychose ambiante pour salir une énième fois cette eau qui n'en a pas besoin. Ce week-end, une fausse une de Libération faisait état d'une véritable épidémie de malaises dûs à la mauvaise qualité de l'eau.
Une députée partage une fausse information fabriquée par la propagande russe et visant directement les Jeux Olympiques de Paris.
— Random OSINT (@osint_random) August 5, 2024
J'ai rarement été aussi énervé.
Je n'ai même pas les mots pour décrire une telle incompétence. pic.twitter.com/0u50MQIzT5
Des publications parfois partagées par des élus de la nation, à l'image de la députée Insoumise Ersilia Soudais, qui finira par supprimer sa publication. Selon plusieurs enquêteurs qui travaillent en open source, mais aussi l'agence AFP, «le thème comme le modus operandi de ces allégations évoquent les codes habituels des opérations de désinformation attribués aux réseaux pro-russes».
Il faut dire que depuis une bonne semaine, la Seine est sujette à une impressionnante quantité de fake news.
Dites à votre moitié que l'œuf qu'elle vient de manger était avarié et les toilettes seront soudain prises d'assaut. Ne serait-on pas bloqué au beau milieu d'une psychose collective? Alors que la qualité de la Seine est au cœur du débat olympique, il faut avouer que personne (hormis les organisateurs?) n'est réellement rassuré par l'aspect caca-pas-frais de la flotte parisienne.
Le fait que les tests soient parfois encourageants ne permet pas aux plus sceptiques d'ignorer la fosse septique. Et dans cette catégorie d'êtres humains, on retrouve quasi tout le monde, des internautes cyniques aux fédérations de triathlon, jusqu'aux pessimistes et aux anti-Macron.
En clair, nous sommes sans doute nombreux à redouter/vouloir/espérer inconsciemment que la menace de l'eau contaminée se concrétise sous nos yeux. Une réponse logique à tout le tintamarre que le fleuve suscite depuis deux longues années.
Aurait-on à tout prix besoin d'un récit catastrophe, dans ces JO de Paris qui se déroulent dans une allégresse et une euphorie mondiale? Peut-être.
Bien sûr, l'estomac des triathlètes, en course lundi matin, n'est pas encore hors de danger et tous les regards sont désormais tournés sur les épreuves de nage en eau libre, qui devraient se dérouler les 8 et 9 août prochain. Sans oublier qu'un bilan devra être fait en fin de manifestation, histoire de se demander si tout cela fut bien raisonnable.
Mais, pour l'heure, une chose est sûre, si le fleuve parisien n'est pas près de quitter la scène, aucun athlète n'a encore fini aux urgences à cause d'un résidu de caca qui flotte. De quoi tirer la chasse et évacuer les rumeurs.