Inutile de la chercher sur les réseaux sociaux. Sa dernière apparition remonte à deux ans et à une communication urgente sur Instagram: «Right at the moment I‘m HAPPY😊» Depuis, plus rien. Lara Gut-Behrami n'a que des comptes dormants.
Ses interviews sont à peine moins rares, réservées à une élite choisie. Lara Gut-Behrami a pris ses distances, selon ses propres mots en français, et ce recul l'emmène dans des stratosphères très privées, accessibles d'elle seule. Huis clos familial avec un père entraîneur, une mère protectrice et un frère skieur; mais aussi huis clos conjugal avec un mari footballeur.
La championne a souvent pensé qu'elle était incomprise, avec de tels malentendus que c'en devenait une hantise. Auprès de Valon Behrami, elle a entériné le principe que seul un sportif pouvait la comprendre, comme elle l'insinuait déjà quatre ans avant leur rencontre, lorsque nous l'interviewions un jour d'été à New York: «Il existe une connexion entre nous, les athlètes. D’une certaine manière, nous nous connaissons tous. Au bout de deux minutes, nous parlons le même langage, nous discutons des mêmes problèmes, des sensations, des relations… Tout ce que les gens normaux ne peuvent pas comprendre.»
Leur couple en est la preuve vivante: ils se sont rencontrés chez le physio et ont sympathisé au cours d'une discussion sur les ligaments croisés. Lara Gut de conclure (quand elle ne s'appelait pas encore Behrami): «Les échanges profonds, je les ai toujours eu avec des athlètes.»
Est-ce pour cette raison, cet état de symbiose, qu'elle semble si posée, si sereine, à quelques jours des Championnats du monde, une période où elle est généralement fuyante et mal lunée? Ou est-ce seulement la conséquence de ses «supers sensations à ski» et des résultats qui, en plus de lui donner confiance, lui offrent un totem d'immunité?
Toujours est-il que Lara Gut-Behrami n'écarquille plus des yeux de lémuriens, et ne toise plus comme le chien des Bakersville, lorsque des journalistes obtus et monomaniaques lui demandent combien de médailles elle pense rapporter à la Suisse (parce que, comme disent les paysans vaudois, faut que ça rapporte).
Dans une excellente interview à Gaëlle Cajeux, dimanche dernier, sur la RTS, la jeune femme décrit un sentiment de paisible ambivalence. «A 30 ans, je reste très émotive, très sensible aux résultats. Si une course ne fonctionne pas, je ne suis pas moins énervée qu'à 17 ans. Mais j'ai réussi à prendre une certaine distance. J'ai appris à dire non et à trouver un équilibre entre le ski et la vie.»
Elle avait 16 ans lorsqu'elle a débarqué en Coupe du monde, petit chrysalide brûlée à la lumière des projecteurs. «Toute cette attention est arrivée brusquement. C'était un choc: je n'y étais pas du tout préparée. Moi, je pensais naïvement que skieuse de compétition, c'était enchaîner des courses. Pas donner des interviews, faire des photos, rencontrer des sponsors. Soudain, je n'ai presque plus eu le temps de skier. Mes deux seules minutes de liberté, c'était pendant la course.»
16 ans et déjà des critiques plein les dents: elle a dû assumer une part de jeunesse frondeuse, une structure privée, un père, des idées carrées et un esprit libertaire. «J'ai passé toutes ces années à me justifier.»
Eviter l'espace public lui permet aujourd'hui de ne rien dire... mais surtout de ne rien entendre. Donc de ne pas perdre son calme et son influx. Elle le glisse délicatement dans presque toutes ses interviews: ne pas être au courant, branchée, représente une grosse économie d'énergie.
Comment ne pas la comprendre? Si elle a pu se montrer désagréable et avoir des réactions de chipie, Lara Gut est rompue depuis toute jeune aux reproches et aux remarques désobligeantes (outre ce surnom malencontreux dont l'affuble les ménestrels du cirque blanc, «La bombe de Comano»).
On lui a dit quelle devait porter une tenue adéquate (Swiss-Ski), qu'elle devait faire la bise aux vieux messieurs quand elle reçoit une médaille (Marius Robyr), qu’il faut faire le singe sur une tyrolienne en saluant le public et en criant «yahou» quand on est une gentille fille (Crans-Montana), qu'il faut pleurer à la télé quand on a gagné un titre mondial (Cortina), qu’il ne faut pas bouder sur un podium olympique quand on est troisième et qu'une copine a gagné, même si on pensait occuper sa place (Sotchi).
«J'ai passé mon temps à le répéter: je n'étais pas énervée parce que Dominique (Gisin) avait gagné mais parce que moi, j'aurais dû faire beaucoup mieux. Et je savais qu'il faudrait attendre quatre ans pour recommencer. Je l'ai dit cent fois.» Incomprise ou mal entendue?
Ceux qui, aujourd'hui, la côtoient de plus ou moins près, ne se hasardent pas à évaluer son apparente sérénité. Trop de distance. Mais tous sont d'accord sur un point: si des voix continuent de s'élever contre sa façon de faire, Lara Gut-Behrami, dans sa stratosphère privée, ne les entend presque plus. (Right at the moment she's VERY HAPPY 🤗 ).