Lui était coureur. Elle était distante. Si éloignés l'un de l'autre. Andre Agassi et Steffi Graf viennent pourtant de renouveler leurs vœux, avec robe blanche et sourire immaculé, l'amour-propre de ceux qui ont 50 ans et quelques balais: elle peut parler de tout, il peut tout entendre.
Lui, avec son gros brushing de guitariste métalleux, occupé à empiler les conquêtes et les bouteilles de whisky dans sa chambre de l'académie Bollettieri, devenu auprès d'elle un vieux sage, jeans sans trou, réputation sans tache, tonsure de bonze tibétain. Elle, seule et abandonnée, un rien paumée, s'est bizarrement «retrouvée en lui». Au milieu coule une carrière:
Les champions, plus ou moins consciemment, fuient la compassion des ignorants pour chercher la compréhension (une passion un peu moins con) de leurs semblables. Certains en viennent à penser que seul un autre champion est capable de les comprendre, de les percer, éventuellement de les endurer et les aimer. C'est d'autant plus vrai dans les sports individuels, dans ces vies de grande solitude où, par nature, les instincts sont plus égoïstes et sauvages.
Nous avions eu cette discussion avec Lara Gut en 2016, sur le toit d'un hôtel de Manhattan, tandis que la championne passait des vacances méditatives. Elle n'avait pas encore rencontré Valon Behrami.
Car il s'agit de tout accepter, et c'est un tout, sans aucun doute. Accepter les absences et les voyages. Accepter les siestes et les couchers tôt, puisque même dormir fait partie du job. Accepter la presse, la pression, jusqu'à l'oppression. Accepter les états d'âmes perpétuels: joie, doute, parano, perte de sensation, mal quelque part, ras-le-bol général. Accepter qu'il n'y ait pas d'autre but, aucune autre priorité, pas d'autre monde autour.
Roger Federer, 21 ans au bras de Mirka, l'avait expliqué un soir où il avait fini tard, à l'US Open, tandis qu'il répondait à la presse suisse (en français):
Mirka Vavrinec a renoncé à sa carrière pour lui. Elle a tout géré (un grand tout): ses relations publiques, sa garde-robe, ses contrats, ses chantiers immobiliers, même ses errements tactiques. «Elle est le cerveau», nous glissait un membre de son proche entourage. «Elle connaît parfaitement le tennis et elle connaît celui de Roger mieux que personne. Elle voit tout, elle devine tout. Parfois, elle le débriefe; parfois, elle le gronde. Il l’écoute toujours et leurs discussions peuvent durer des heures.»
L’histoire dit qu’il était timide avec les filles, que beaucoup de gens l'ont dissuadé de «s'accrocher à cette Mirka», une créature de l'ambition, diva des clubs huppés où elle trainait des effluves de Coco Chanel et des cliquetis de ferraille coûteuse, mais l'histoire dit aussi qu'il a trouvé en elle des vertus dont il était dénué, la ténacité, la confiance, la force de travail, la paix, l'amour. (Tout. Elle est tout pour lui).
Sans elle, il aurait «arrêté le tennis depuis longtemps» (Wimbledon 2015), il n'aurait pas gagné autant de trophées et d'argent, pas développé des talents et des goûts aussi sûrs. Ils sont devenus associés d'affaires, puis aussi indissociables, dans l'inconscient populaire, que Laurel et Hardy, Black et Mortimer, Marre et Chaussée.
A l'exemple de Roger Federer, Gaël Monfils se dit plus impliqué dans le tennis depuis qu'il partage sa vie, et davantage encore sa carrière, avec la bûcheuse Elina Svitolina.
Au très haut niveau, peut-être plus qu'ailleurs, ceux qui se ressemblent s'assemblent. Les autres préfèrent souvent le célibat. Ou les histoires sans lendemain – parce que demain, il y a match.
Cet article a été publié une première fois le 11 novembre 2021