Cinq médailles d'or, treize breloques au total: les Suisses ont cartonné aux Mondiaux de ski alpin de Saalbach. Le président de Swiss-Ski, Urs Lehmann, en est forcément fier. Interview.
On imagine que vous êtes très heureux avec ce bilan suisse à Saalbach.
URS LEHMANN: C'est vraiment un sentiment agréable. C'est une satisfaction d'avoir livré la marchandise et réalisé quelque chose d'historique. Ces derniers temps, nous nous sommes souvent améliorés et avons atteint de nouveaux sommets. Mais ces Championnats du monde à Saalbach, ce que nous avons vécu ici, c'était le point culminant jusqu'à présent.
Presque comme aux Mondiaux de Crans-Montana en 1987, où la Suisse avait remporté quatorze médailles.
Nous ne parlons jamais de médailles à l'avance. Mais le fait que nous ayons pu en remporter treize dépasse toutes les attentes. C'est très agréable d'avoir fait partie de cette aventure. C'est le sentiment que j'ai eu pour tous ceux qui ont travaillé pour Swiss-Ski.
Il y a aussi eu ce rasage de crâne légendaire chez les hommes. Il vient d'où, cet incroyable esprit d'équipe?
Il y a plusieurs points de départ. Il y a bien sûr Marco Odermatt, un sportif du top niveau et une figure d'intégration absolue. Et puis il y a un axe extrêmement fort. Avec Tom Stauffer, l'entraîneur principal des hommes, en tant que maître d'œuvre et stratège en chef. Avec Franz Heinzer et son équipe, en tant que formateur de haut niveau en Coupe d'Europe. Mais aussi avec Reto Nydegger, l'entraîneur de descente.
On ressent aussi cette harmonie dans d'autres équipes suisses que celle de vitesse masculine.
Ça déborde naturellement, car tout le monde voit ce que peut amener un esprit d'équipe. Quand je pense par exemple à Lara Gut-Behrami et Wendy Holdener dans le combiné par équipe, à la manière dont elles se sont comportées l'une envers l'autre, c'est pour moi quelque chose de nouveau, quelque chose de très émotionnel.
Lara Gut-Behrami avec un esprit d'équipe: pendant longtemps, on ne pouvait pas l'imaginer.
Oui, exactement. Pendant si longtemps, on a dit: «Dommage que Lara ne skie jamais pour l'équipe». Désormais, elle l'a fait.
A vos débuts chez Swiss-Ski, vous avez été fortement remis en question. Ce succès, c'est une revanche personnelle?
Non, il faut voir la situation de manière rationnelle. On m'a fait venir à la fédération après les Mondiaux sans médaille de 2005 à Bormio (réd: pas encore en tant que président). En tant qu'athlète et par la suite, j'étais déjà un grand critique de la fédération, car je disais qu'elle n'exploitait pas assez son potentiel. Alors on m'a dit: «Eh bien, maintenant, tu dois prendre tes propres responsabilités».
Certaines de vos décisions n'ont pas plu à tout le monde.
Lorsqu'on procède à un redressement, quand des personnes méritantes, qui étaient là depuis toujours, ne correspondent plus à la nouvelle stratégie, il est évident que l'on heurte certaines personnes. C'était désagréable.
Nous avons fait des erreurs, je l'assume. Mais j'ai travaillé de manière conséquente à créer la structure de mes rêves.
C'est-à-dire?
Je voulais le meilleur homme ou la meilleure femme à chaque poste. Et ça a été un processus. Prenons Tom Stauffer: il m'a fallu six ans pour le convaincre de nous rejoindre. Pour Walter Reusser (réd: aujourd'hui CEO de Swiss-Ski), il en a fallu sept.
La patience est donc payante.
Oui, et chez les employés aussi. Un exemple: Reto Nydegger voulait devenir entraîneur en chef chez nous pendant la crise de 2013. Mais je lui ai dit: «Tu as du potentiel, mais tu n'es pas encore prêt». Il s'est alors fâché, mais il a été cohérent et est parti chez les Norvégiens. Mais nous sommes toujours restés en contact. Et puis il est revenu chez nous.
Vous avez parlé de la structure de vos rêves: vous en êtes proche aujourd'hui?
Très proche. Mais on a déjà un prochain défi: certaines personnes sont à leur poste depuis longtemps et ont peut-être envie de faire quelque chose de différent. C'est pourquoi nous devons prendre grand soin de cette structure.
Depuis que vous êtes devenu président en 2008, le budget de Swiss-Ski a quadruplé. On parle d'environ 100 millions de francs par an. C'est vrai?
Si on additionne toutes les domaines, on s'en rapproche.
Swiss-Ski doit-elle continuer à grandir ou a-t-elle atteint son sommet?
Il faut qu'elle continue à grandir. Nous avons toujours une stratégie sur trois ou quatre ans. Actuellement, nous voulons augmenter le budget de dix millions de francs. Nous avons un plan clair pour y parvenir. Et nous devons le faire. J'ai moi-même été sportif: si tu ne te mets pas au travail chaque jour avec l'ambition de t'améliorer, les autres te dépassent tôt ou tard.
A part peut-être l'Autriche, il n'y a plus de nation qui peuvent rivaliser avec la Suisse. Avoir un ski alpin à deux vitesses, ça vous préoccupe?
C'est un sujet important.
D'après mes calculs, nous avons remporté, avec l'Autriche, environ 60% des médailles. Ça nous rend euphoriques. Mais si nous voulons faire progresser le ski, le rendre plus grand, et donc nous aussi, il faut de la concurrence. Il n'y a rien de pire que la domination écrasante. Prenons le ski de fond, le produit a beaucoup moins de valeur aujourd'hui qu'il y a dix ans, à cause de la domination des Norvégiens.
La descente est un bon exemple: de nombreux pays n'arrivent plus à former de bons descendeurs ou bonnes descendeuses.
Effectivement. Et nous travaillons à y remédier. Les autres nations profiteront également du nouveau partenariat stratégique entre Swiss-Ski et Zermatt. Zermatt est la station de ski sur glacier la plus haute d'Europe et dispose des meilleures conditions pour les entraînements de vitesse. C'est donc une bonne nouvelle pour l'ensemble du monde du ski que Zermatt et Swiss-Ski aient conclu un accord à long terme jusqu'en 2034.
Ces Mondiaux de Saalbach ont rappelé que le ski est un produit des Alpes. Il en est presque prisonnier. Ce sport peut-il vraiment se développer mondialement?
Dans les cinq à dix prochaines années, ou peut-être plus, l'épicentre continuera à être l'espace alpin. Avec l'objectif d'intégrer et de renforcer davantage les Etats-Unis et le Canada. Mais à long terme, nous devons conquérir le marché asiatique et l'intégrer dans nos plans. La Fédération internationale de ski (FIS) n'y est pas parvenue jusqu'à présent. Il y a pourtant un énorme potentiel.
Pourtant, jusqu'à présent, aucune tentative de pénétration de l'Asie n'a fonctionné.
Il faut une tournée en Asie. J'ai vu de mes propres yeux le potentiel qui existe là-bas. Si nous nous fermons à cet immense marché, ce serait de la négligence.
C'est quoi, votre plan?
Nous avons besoin de la Corée du Sud, de la Chine et éventuellement du Japon. Il faut aller les chercher. Ces marchés ont actuellement le plus grand potentiel commercial.
Mais les athlètes se plaignent déjà du programme chargé de la Coupe du monde.
L'Amérique du Sud et la Nouvelle-Zélande ne poseraient pas de problème. La plupart des équipes s'entraînent dans l'hémisphère sud à la fin de l'été. On pourrait sans problème y faire des courses.
Et l'Asie? Là-bas, c'est l'hiver en même temps que chez nous.
Pour être tout à fait honnête, je n'ai pas encore de recette miracle. Ce qui est sûr, c'est qu'il faudrait une tournée sur deux ou trois semaines, histoire qu'elle soit durable.
Vous critiquez le fait que la FIS n'en fait pas assez. Les relations avec elle sont-elles toujours aussi tendues?
Il est indéniable que nous ne sommes pas satisfaits de la situation actuelle de la FIS. Mais je suis d'avis que nous devons enfin cesser de faire de la politique et commencer à travailler ensemble. Nous devons faire avancer les sports de neige, sinon ça ne se passera pas bien.
Traduction et adaptation en français: Yoann Graber