L'ATP (Association of Tennis Professionals) a publié un texte aussi inhabituel que surprenant lundi sur son site web. L'instance du tennis mondial y annonce avoir lancé une enquête interne sur Alexander Zverev. La raison? Les déclarations de son ex-petite amie Olga Sharypova, qui accuse le joueur allemand d'avoir été violent physiquement avec elle plusieurs fois.
La jeune femme de 24 ans avait fait ses premières déclarations fin 2020, accusant notamment Zverev de l'avoir étouffée lors de l'US Open 2019 et frappée dans une chambre d'hôtel à Genève pendant la Laver Cup quelques jours plus tard.
En août dernier, Olga Sharypova a relaté dans le magazine américain Slate de nouvelles violences, cette fois lors d'un événement directement chapeauté par l'ATP, le Masters 1000 de Shanghai en 2019. Le champion olympique l'aurait saisie à la gorge dans la salle de bain, plaquée avec force contre le mur et frappée avec les poings.
De quoi faire donc réagir l'instance du tennis, qui souhaite désormais «garantir que tous les adultes et les mineurs impliqués dans le tennis professionnel soient en sécurité et protégés contre les abus.» Et qui a surtout pris de cours la justice dans le cas Zverev, puisqu'Olga Sharypova n'a pas porté plainte.
Dès lors, même si elle se veut louable, la démarche de l'ATP interroge. Pour une première raison: a-t-elle l'autorité pour mener une enquête sur une affaire privée qui concerne un joueur et prendre d'éventuelles sanctions?
Oui, selon Jorge Ibarrola, avocat spécialiste du droit du sport. «Si l'association dispose d'une base légale et qu’il y a une infraction, son propre règlement est indépendant de la justice, explique le Lausannois. Je ne vois rien qui empêcherait les associations sportives d'adopter ce genre de règlement.»
Dans le sien, l'ATP n'a pas (encore) d'alinéa spécifique concernant les violences conjugales. Pourtant, plusieurs points ont de quoi inquiéter Alexander Zverev s'il est reconnu coupable. «A mon avis, ce qui lui est reproché est de l'ordre du pénal», s'avance Jorge Ibarrola. Or, le Rulebook de l'ATP stipule que l'instance peut sanctionner «un joueur accusé d'une violation d'une loi pénale ou civile de toute juridiction». La peine maximale: 100 000 dollars d'amende et/ou une suspension de trois ans.
Intéressant de constater que ce point de règlement se trouve dans la rubrique «Conduite contraire à l'intégrité du jeu». Et c'est logique: si l'ATP réagit fortement, c'est aussi (surtout?) pour soigner son image et celle du tennis plus généralement. «Les comportements reprochés à Zverev ont un impact négatif pour l'ATP, et elle ne peut pas le tolérer», valide Jean-Philippe Rochat. Pourtant, le Vaudois, avocat spécialiste du sport, n'adhère pas à la démarche de l'instance:
Selon un officiel de l'ATP que cite Slate, les hôtels – où Zverev aurait agressé son ex – sont pourtant considérés comme faisant partie des tournois. Pas suffisant pour faire changer de position Jean-Philippe Rochat: «Le lien avec le sport est ténu», tranche-t-il.
En plus de la déplorer, l'avocat avoue que cette enquête le surprend. «En général, les instances sportives calquent leurs décisions sur celles de la justice. Ici, il y a une nouveauté: L'ATP entreprend une action sur une affaire d'ordre extra-sportif avant la justice.»
Il n'y a pas longtemps, l'ATP assumait encore totalement son repli derrière les institutions étatiques. Elle écrivait dans un communiqué en novembre 2020: «Dans les cas où des allégations de violence ou d'abus sont formulées à l'encontre d'un membre du Tour, les autorités enquêtent (...) puis nous examinons les résultats et décidons de la marche à suivre.»
Un attentisme qui avait permis par exemple au Géorgien Nikoloz Basilashvili, accusé par son ex-femme au printemps 2020 de l'avoir battue, de ne pas être inquiété sportivement.
Nikoloz Basilashvili arrêté en Georgie après avoir agressé sa femme: il risque jusqu'à 3 ans de prison ou 400 heures de travail d'intérêt général (Mise à jour) https://t.co/rjINBXnx2U pic.twitter.com/vuRoMU7jtY
— DH les Sports + (@ladh) May 24, 2020
Mais contrairement au joueur du Caucase, Alexander Zverev est un tennisman de premier plan, connu du grand public et brillant sur les courts ces dernières semaines. «La très bonne forme actuelle de l'Allemand, avec sa médaille d'or olympique à Tokyo en août, n'est sans doute pas étrangère au timing de ces nouvelles révélations», appuie Jean-Philippe Rochat.
Aussi, le souci de prendre des dispositions contre les violences conjugales devient un vrai thème dans les travées du Circuit. Des joueurs comme Novak Djokovic, Andy Murray, John Millman ou l'ex-entraîneur de Simona Halep, Darren Cahill, ont fait part de leur souhait de voir l'ATP plancher sur un règlement spécifique à ce sujet.
L'instance a donc empoigné le problème. En parallèle de l'enquête sur Alexander Zverev, elle a reçu un rapport commandé en début d'année sur les moyens de protéger toutes les personnes concernées de près ou de loin par le Circuit contre la violence domestique. Après avoir étudié ce rapport, elle veut «développer une stratégie à plus long terme».
De son côté, Alexander Zverev joue cette semaine le tournoi d'Indian Wells, où il fait partie des grands favoris.