De l'extérieur, le chemin des Crêts 8b ne présente ni charme, ni intérêt. Ce n'est qu'un large bâtiment aux murs délavés et aux portes de garages usées, rejeté au fond d'une petite cour du centre-ville de Bulle.
Mais il suffit d'en franchir le seuil pour découvrir qu'un trésor se cache à l'intérieur, et que ce drôle d'endroit ne ressemble à aucun autre. Car ce qui était l'ancien entrepôt d'une distillerie abrite depuis 2009 une salle de «bloc» (un type d'escalade qui se pratique sur des parois de faible hauteur).
Les murs sont constellés de prises roses, rouges, jaunes ou encore vertes, vissées sur des parois en bois conçues pour mettre au défi les grimpeurs. Au sol, d'épais tapis servent à amortir les atterrissages, encourageant ainsi les visiteurs à atteindre des sommets.
Il n'y a pas de pratiquants, ce samedi matin, lorsque nous pénétrons un peu par hasard dans le bâtiment, mais puisque des voix résonnent sous les combles, nous décidons de poursuivre l'exploration jusqu'à découvrir Noé et un de ses collègues au sommet de l'escalier — car l'endroit possède un étage. Ils nous expliquent que la salle est ouverte à tout le monde mais, surtout, qu'elle va bientôt fermer.
L'accueil joyeux cède la place à une incompréhension teintée d'amertume. C'est que «DBloc» (le nom particulièrement bien trouvé de la salle) est leur bébé. Noé et les autres, ils sont dix jeunes au total, y travaillent bénévolement depuis plusieurs années. Réunis en association (IDEE), ils ont fait de cet endroit un lieu mythique du sport bullois, le repaire de toute une génération de grimpeurs.
Noé est «équipeur». Son rôle, c'est de poser les prises. Sa mission, de permettre à un maximum de monde, quelque soit son niveau, de pouvoir s'entraîner dans l'ancien entrepôt. «Ces dernières années, nous avons accueilli beaucoup de jeunes de la région, dit-il. Les enfants de la crèche des Zoubilous, les élèves du primaire, du collège ou encore de l'école professionnelle sont venus, tout comme les pensionnaires d'un institut pour personnes handicapées.»
Lorsqu'elle a ouvert en 2009, «DBloc», qui a les idées très claires, était la première salle de la discipline accessible au grand public en Suisse romande. Avec le temps, d'autres ont suivi, mais la pionnière a gardé son rôle social, permettant à chacun de s'essayer à l'escalade, indépendamment de ses compétences et, plus important encore, de ses revenus.
Le prix n'a rien à voir avec ceux pratiqués dans les grandes salles d'escalade (comptez entre 17 et 20 francs) dont l'offre, il convient de le préciser aussi, est bien plus vaste. Ce sont autant de concurrentes pour Noé et ses amis. L'une d'elles, appelée «L'entrepôt», a d'ailleurs récemment vu le jour à Bulle. «Jusqu'à son ouverture il y a quatre ans, on faisait parfois jusqu'à 50-60 entrées par semaine, rapporte Noé. Mais depuis l'arrivée de ce giga centre de loisirs, nous n'avons plus qu'une dizaine d'abonnés par mois, et quelques autres utilisateurs en semaine. Les gens savent qu'on va fermer, donc ils sont en train de se détacher du lieu.»
L'association IDEE (qui compte un peu plus de 1000 inscrits) a appris en décembre dernier qu'elle devrait quitter les lieux cet été. La nouvelle est arrivée par courrier postal. Noé, qui est le plus vieux de la bande (il a 26 ans), raconte:
Joint par watson, le directeur de la Croix-Rouge du canton, Charles Dewarrat, explique que «ce sont les grimpeurs eux-mêmes» qui l'ont alerté ces dernières années sur les différents problèmes liés au bâtiment, «notamment au niveau du toit ou des poutres. Je ne pouvais plus prendre le risque de laisser des jeunes utiliser un endroit potentiellement dangereux. J'en ai parlé au comité directeur et nous avons pris ensemble la décision de fermer la salle.»
Le bâtiment, qui date des années 50 ou 60 selon son propriétaire, servira de lieu de stockage dès le mois d'août. «Mais il sera sans doute voué à la destruction par la suite», ajoute M. Dewarrat.
Où iront Noé et ses amis? «Cette association fait un travail formidable, reconnaît la Croix-Rouge fribourgeoise. Nous avons parlé d'eux à nos différents contacts, mais nous n'avons pas trouvé de solution.» La commune peut-elle intervenir? «Vous m'apprenez la fermeture du lieu, répond Jérôme Tornare, responsable des Sports à Bulle. Ces jeunes étaient des acteurs sympas du sport local. Il faut qu'ils viennent vers nous, et nous regarderons dans quelle mesure nous pouvons les aider. Mais c'est une situation délicate, car la commune ne doit pas se substituer à une structure privée.»
Noé trouve la réponse «étrange».
L'association admet qu'il est très difficile de trouver un local de 4 m sous plafond et d'une superficie d'au moins 70 m2 au sol. Mais les grimpeurs ne baissent pas les bras, car ils savent mieux que personne que lâcher prise les fera chuter.