Quand il apprend le nom de son nouvel entraîneur, le public a toujours une première lecture émotionnelle. Son sentiment général dépend souvent des réponses à ces trois questions:
C'est parce qu'il avait remplacé le très populaire et charismatique Ottmar Hitzfeld, après les refus de Lucien Favre et Marcel Koller, que Vladimir Petkovic avait dû se défendre de n'avoir gagné qu'une seule Coupe d'Italie lorsqu'il a été nommé à la tête de la Nati en 2014. Or ce procès en légitimité est depuis samedi soir celui de Murat Yakin. Le coach du FC Schaffhouse a été choisi après que plusieurs techniciens de renom comme Joachim Löw, Arsène Wenger ou Lucien Favre (encore) ont refusé, et ce ne sont pas ses deux titres avec le FC Bâle qui seront de nature à inverser sa courbe de popularité.
Sur notre page Facebook, vous êtes nombreux à interroger le choix de l'Association suisse de football. «On n'est pas le 1er avril», grince Stéphane, alors que les emojis d'André pleurent de rire: «Avec tous les grands entraîneurs qui ont soi-disant postulé, on prend un entraîneur de Challenge League!»
Ceux qui ont participé à notre sondage ne sont guère plus rassurés: vous n'étiez que 21% dimanche matin à penser que Yakin saura relever le défi.
C'est amusant parce que cette opposition populaire assez marquée tient aussi du fait que le public avait fini par apprécier Vladimir Petkovic et qu'il ne souhaitait pas le voir partir. L'ancien sélectionneur suisse aura mis sept saisons pour que son travail soit reconnu, et on se dit que tout le monde gagnerait du temps si Murat Yakin pouvait au moins avoir le bénéfice du doute dès le départ.
Surtout que le technicien de 46 ans possède des qualités qu'il serait injuste de ne pas lui reconnaître.
La première de ces qualités, qu'il partage avec son prédécesseur, est sa fine connaissance du football suisse. Murat Yakin écume depuis 30 ans les terrains du pays. Il a vu grandir la génération de joueurs actuels et en a même entraîné certains par le passé. Un bagage précieux, on le sait, depuis qu'Artur Jorge a fait n'importe quoi avec la Nati parce qu'il ne connaissait pas assez bien notre culture, ni notre football (quand la presse lui demandait ce qu’il pensait du niveau du foot suisse, sa réponse était toujours la même: «Il y a de bons joueurs et des moins bons.»)
Murat Yakin n'a certes jamais été sélectionneur mais Petkovic non plus, et cela ne l'a pas empêché d'obtenir les meilleurs résultats de l'histoire à ce poste (1,79 unité de moyenne par match). De toute évidence, entraîner un club et diriger une sélection nationale sont deux métiers distincts, et c'est tant mieux pour Yakin, qui n'est pas réputé pour sa gestion quotidienne des affaires footballistiques.
Le Bâlois (qui est attendu demain au siège de l'Association suisse pour y signer son contrat) est en revanche un affamé de ballon et possède une mentalité de gagnant que lui a toujours reconnu Christian Gross. Les internationaux seront certains d'évoluer sous les ordres d'un sélectionneur qui les connaît, les apprécie pour leurs qualités et souhaite les voir triompher. Un triptyque en forme de prérequis idéal pour booster sa confiance.
Murat Yakin a pour lui son amour du jeu et sa quête de perfection, mais aussi sa superbe carrière de joueur. Les footballeurs actuels connaissent son vécu, certains l'ont vu jouer, ont peut-être rêvé un jour de l'imiter et, eux aussi, de donner la victoire à leur équipe en Ligue des champions, d'une cacahuète à 40m sur le terrain de l'Ajax d'Amsterdam.
Quand Murat Yakin parlera de jeu, de tactique (il avait une excellente lecture du terrain) ou de pression à gérer, il sera crédible et légitime auprès de ses hommes, parce qu'il a vécu tout cela. Stéphane Henchoz nous avait dit un jour: «Durant ma carrière de joueur, les entraîneurs issus du terrain m’ont toujours un peu plus inspiré dans leur discours. Ils avaient le ressenti d’un footballeur, et dès lors un peu plus de légitimité.»
Tout est réuni pour que cette équipe de Suisse s'inscrive dans une forme de continuité, que le vestiaire reste soudé et animé par les mêmes objectifs et que les jeunes talents aient une chance de progresser (une des forces du nouveau sélectionneur). Choisir Yakin permet de réduire le temps d'adaptation et c'est tant mieux car du temps, la Nati n'en a pas: elle affronte les champions d'Europe italiens dans moins d'un mois, déjà, en qualifications pour le Mondial 2022 au Qatar.
Avant cela il y aura un match amical contre la Grèce, le 1er septembre à Bâle, dans la ville où Murat Yakin a grandi. Et ce n'est peut-être pas fini.