Ancien champion cycliste, dirigeant de coureurs prestigieux qui ont remporté sept Tours de France, Cyrille Guimard n'est pas complètement convaincu par les thèses évoquées jusqu'ici (malchance, vitesse excessive, revêtement piégeux etc.) pour expliquer la disparition tragique de Gino Mäder dans le col de l'Albula il y a huit jours. Interrogé par la radio RMC, celui qui se fait appeler «le Druide» a relevé que personne encore n'avait osé parler de plusieurs éléments qui auraient pu perturber le Suisse dans sa descente et précipiter sa chute.
Le Français de 76 ans, c'est important de la préciser, ne dit à aucun moment qu'il sait ce qu'il s'est passé. L'accident n'a pas été filmé et la police a ouvert une enquête afin de rechercher d'éventuels témoins. Mais Cyrille Guimard envisage plusieurs pistes qui toutes révèlent les dangers auxquels sont exposées les stars du peloton.
Dans l'émission «Grand Plateau», il évoque par exemple un problème généralisé d'ergonomie.
Joint par téléphone, un ancien coureur cycliste suisse reconnaît que la position des stars du vélo interroge, mais il estime qu'elle n'est pas due à la taille des cadres. «Les vélos sont adaptés, ce sont les coureurs qui choisissent leurs positions sur la selle dans le but d'obtenir un meilleur aérodynamisme, et donc de gagner des watts. Or pour une meilleur pénétration dans l'air, il faut baisser l'avant et avoir un guidon plus étroit, ce qui peut avoir des conséquences sur l'équilibre.»
Même le plus élémentaire des gestes requiert une habileté technique. Comme freiner, par exemple.
Les disques permettent aux coureurs de freiner plus tard, donc de descendre plus vite. Encore une fois, il s'agit d'une innovation au service de la performance, mais ce progrès peut rendre certains hommes plus vulnérables lorsqu'ils sont engagés à vive allure dans les descentes, juchés sur leur machine en carbone de 7 kg. «Je ne dis pas que ce sont les disques qui ont causé la chute de Gino Mäder, entendons-nous bien, mais il y a tout un ensemble de choses...», insiste le «Druide» pour pointer du doigt ensuite les GPS.
Car les coureurs roulent avec un navigateur sur leur guidon. Or il suffit que Mäder ait posé son regard sur l'écran rien qu'un instant, jeudi sur les pentes de l'Albula, pour avoir été déstabilisé. La télévision a filmé la descente de Juan Ayuso ce jour-là et révélé que le Barcelonais était à plus de 100 km/h. Cette vitesse correspond à 28 m par seconde. C'est énorme.
Cela pourrait expliquer pourquoi un coureur professionnel, de surcroît excellent descendeur, a chuté sur une route en bonne condition et alors que la visibilité était optimale.
On sait qu'aucun reproche ne peut être fait aux organisateurs. Rien n'indique non plus que des voitures non autorisées aient pu se trouver sur le parcours ou qu'une erreur ait été commise par un véhicule d'assistance. Les causes du drame sont donc à chercher ailleurs, mais il convient de rester prudent. Il a été suggéré que la tendance des coureurs à ne plus se déplacer pour reconnaître les parcours (la plupart des «recos» se font sur ordinateur) pouvait être une explication, mais elle ne peut être retenue dans le cas de Gino Mäder, qui connaissait très bien la mythique descente de l'Albulapass, comme le rappelait récemment le Tages Anzeiger.
Il reste un cas de figure que «personne n'a imaginé», relance une dernière fois Guimard: il est possible que «juste avant l'accident, un directeur sportif ait pu parler dans l'oreillette et déconcentré le coureur». Le Français se souvient qu'avant de chuter et de mourir sous les roues d'une moto lors de Gand-Wevelgem en 2016, le Belge Antoine Demoitié (25 ans) avait été sollicité par le directeur sportif de son équipe dans l'oreillette. «Il est tombé la seconde qui a suivi», ajoute-t-il.
Cette hypothèse laisse songeur l'ex-pro suisse que nous avons contacté. «Dans une descente, un directeur sportif ne dit pas grand-chose. Il ne fait que donner des consignes de précaution lorsque c'est nécessaire.» Notre interlocuteur précise qu'en règle générale, les communications se font sur le canal de l'équipe, si bien que tous les coéquipiers les entendent, que le message soit adressé au groupe ou à l'un d'entre eux.
Il faudra encore du temps et plusieurs investigations pour tenter de connaître les causes exactes du drame qui a ému le monde du cyclisme et tous les pratiquants de ce qui, en 2023, est devenu un sport extrême.