Quand Kylian Mbappé a décidé de rester au PSG, alors que le Real Madrid l'attendait avec un petit bouquet d'églantines un contrat record, Nasser Al-Khelaïfi a répandu la nouvelle solennellement, triomphalement, dans des postures de stratège. «C’est très important pour nous, pour la France. C’est un signal fort: nous gardons le meilleur joueur du monde.»
Chacun pouvait saisir à cet instant la portée géostratégique d'un contrat qui, loin de lier un footballeur à son club, unissait la France à un partenaire privilégié: le Qatar. Un départ de Mbappé au Real Madrid, le rival historique, le bastion d'une vieille aristocratie européenne conservatrice et hautaine, aurait été un désaveu pour l'émir, réputé susceptible. Un politicien français évoquait un enjeu diplomatique majeur, rappelant que le Qatar possède (notamment) la moitié des Champs-Elysées. Ce fut la première erreur de Kylian Mbappé: croire que Nasser Al-Khelaïfi s'intéressait à son passement de jambes.
Puisqu'il s'agissait tout de même de football, le président du PSG a immédiatement expliqué que «Kylian reste ici car Paris le met dans les dispositions pour être le meilleur du monde». Ce fut la deuxième erreur de Mbappé: croire que le PSG pouvait subitement atteindre la sagesse, l'osmose et l'érudition footballistique.
On lui a promis de mettre fin aux friponneries nocturnes de Neymar et même de le déloger de sa zone préférentielle, un peu à gauche de l'attaque, quitte à le pousser vers la sortie. On lui a promis un attaquant qui lui servirait d'appui. On lui a promis trois renforts de classe mondiale. On lui a promis qu'il serait au centre du projet, et non au centre d'un trio mal accordé où il serait commis au rôle de pivot. On lui a promis qu'il tirerait les penalties et c'est Neymar, toujours lui, toujours là, qui lui arrache le ballon des mains avec un air fripon, en toute impunité.
Mbappé aurait dû le savoir: comme tout président soumis à un processus de réélection, Nasser Al-Khelaïfi est rompu aux fausses promesses. Il rêve d'une équipe totalement parisienne mais les jeunes n'ont aucun avenir au PSG, aucune ouverture. Il annonce un nouveau cycle, une nouvelle ère, la fin du flashy et du bling-bling, et ainsi de suite tous les trois ans. Il dément avoir eu le moindre contact avec Zidane alors que le Français l'a tout bonnement éconduit. Il convainc Neymar de passer six années supplémentaires à son service, avant de le proposer au plus offrant. Il dit de Leonardo qu'il est «mon gars. Il est incroyable. J'ai une confiance totale en lui.» Avant de le licencier.
Comment Mbappé a-t-il pu croire en l'affection d'un président qui n'a jamais manifesté que de l'amour-propre?
Mais le président Al-Khelaïfi ne fut pas le seul à user de son pouvoir, peu importe que ce soit un pouvoir de séduction ou de nuisance. Dans une interview au «New York Times», Kylian Mbappé révèle la teneur de sa conversation téléphonique avec Emmanuel Macron, au plus fort de ses négociations avec le PSG.
«Il voulait que je reste. Il m'a dit: "Je ne veux pas que tu partes maintenant, tu es tellement important pour le pays. Tout le monde va être content si tu restes, tout le monde t'aime ici et tu as le temps avant de partir. Tu peux rester un peu plus". Bien sûr que quand le Président te dit ça, ça compte. (...) Je n'aurais jamais imaginé parler de mon futur, du futur de ma carrière avec le Président.»
Emmanuel Macron a confirmé cette version auprès d'un consortium de médias régionaux: «J'ai eu une discussion avec Kylian Mbappé en amont, simplement pour lui conseiller de rester en France. Quand il est sollicité de manière informelle et amicale, c'est le rôle d'un président de défendre le pays», a-t-il justifié dans un sourire, sans renier ses penchants pour l'OM.
Puis ce fut Nicolas Sarkozy, habitué de la loge royale et grand allié de la candidature qatarie au Mondial. «Un simple coup de fil amical», selon la version officielle. Brusquement, Mbappé s'est senti investi d'une mission. Avec «les accents gaulliens» (Le Monde) de la France cocardière, il a commenté sa prolongation de contrat dans un style presque martial:
Emmanuel Macron lui a remis la Légion d’honneur en 2018 et lui aurait promis à demi-mots de porter la flamme olympique aux JO 2024. Il l'a érigé en symbole du savoir-faire français, au même titre que le Camembert et l'Airbus A 320, et a loué le patriote exemplaire, «loin des dérives» de la célébrité, engagé «pour la vaccination» et «contre la violence».
ll n'y avait plus personne en France, ni parmi les cols blancs, ni parmi les gilets jaunes, pour dénoncer son salaire de 120 millions d'euros annuels, un nouveau record du football capitaliste. Mbappé cumule à lui seul les revenus d'une douzaine de patrons du CAC40, sans qu'à aucun moment sa rémunération ne fasse débat. Il porte beau, chic type en complet-cravate, mais tout le monde ne voit que son élégance naturelle. Il a un rapport décomplexé à l’ambition dans un pays qui, historiquement, a toujours prêché une certaine vulgarité du résultat. Il trouve autant de qualités à son jeu que Nabila à sa répartie. Il a conduit davantage de révoltes que Mélanchon de 4x4. Or personne ne lui en tient rigueur.
«Le football est l'un des rares sujets qui parle à toutes les classes sociales, et Mbappé est plus qu'un footballeur, explique Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport et coauteur de «La République du foot», sur Eurosport. «Mbappé a un poids politique que les autres stars n'ont pas. Il est le visage d'une jeunesse qui gagne et vient des quartiers. Il fait partie de ces joueurs qui transcendent leur condition de footballeurs.»
Les politiques ont bien compris les bénéfices qu'ils avaient à tirer d'une image aussi valorisante. Personne n'a oublié la sympathie que suscitait Jacques Chirac lorsque, scandant des noms qu'il ne connaissait pas et qu'il finissait par marmonner en play-back, il s'imaginait en héros de buvette, lui aussi.
En outre, Jean-Baptiste Guégan croit savoir qu'Emmanuel Macron a présenté la décision de Kylian Mbappé sous l'angle des relations franco-qatarienne et du péril énergétique: «Son propos laissait entendre qu'à l'heure de la guerre en Ukraine et de la crise énergétique, il avait aussi, en tant que "français d'exception", une responsabilité.» Celle de ne pas vexer l'ami qatari.
Macron a préféré garder Mbappé en France plutôt que d acheter de l essence pour son pays c est ça notre président… #essence #penuriecarburant
— 19 (@MinooIce) October 10, 2022
Mbappé en est presque devenus messianique, assigné à la grandeur de la France, sa prospérité et son destin industriel. Aujourd'hui, il comprend que ce n'est pas Macron qui fait la composition d'équipe. Ni les transferts. Ni les passes de but. Ce n'est pas Macron qui appellera Galtier pour exiger qu'il tire les penalties, que le flanc gauche lui soit rendu sans délai, au nom des intérêts supérieurs de la France.
Dans toute cette affaire, ses voltefaces, ses supposés caprices d'enfant prodige, Mbappé est souvent accusé de ne penser qu'à lui. C'est lui faire un faux procès. En réalité, il aurait plutôt trop écouté les autres. Des gens bien plus opportunistes et narcissiques que lui.