A quelques heures de France-Maroc, ses quintes de toux sont aussi scrutées que les interventions d'Eric Zemmour. Un peu pour les mêmes raisons: tous deux prétendent à l'équilibre de la France, Adrien Rabiot au milieu, Zemmour très à droite.
20minutes.fr n'y va pas mollo: «Upamecano et Rabiot incertains, inquiétude dans les rangs!», titre le site d'information. Cette peur bleue est d'autant plus étrange qu'il y a peu encore, Rabiot aurait pu s'étrangler avec sa toux que personne en équipe de France n'aurait levé le nez de son Banania. Mais il parait que l'indésirable est devenu «indispensable» (on cite la quasi-totalité de la presse française).
La Juventus, elle non plus, ne voulait plus de son fils, mais Véronique Rabiot ne s'en laisse pas conter: en tant que mère, et bien plus encore, elle protègera les intérêts d'Adrien contre toute forme d'ignorance. Avec une force dont même Didier Deschamps, aussi gainé soit-il, a pu craindre le contrecoup.
Véronique Rabiot a rembarré la Juventus comme on éconduit un quémandeur de bonbons à Halloween. Elle n'a que faire de l'ingratitude d'une Vieille Dame décatie dont les ressources s'épuisent, trop faible et pâle pour rattraper son passé. L'été dernier, elle réclamait une augmentation de salaire (9 millions d'euros nets par an) à quiconque engagerait Adrien, avec une petite prime en sus pour payer les clopes et la facture de gaz (9 autres millions). Manchester United a pris contact mais il a fini par comprendre que «Véro» ne plaisantait pas.
Dans le milieu du football, elle est la mère supérieure: haute opinion de sa lignée, exigences élevées. Supérieure, parfois, jusqu'à la caricature, dressée sur ses ergots de mère poule et le caquet toujours ouvert. Redoutée des pères et des experts: même Wilfried Mbappé a essuyé ses reproches sans broncher, un soir de France - Suisse à l'Euro 2021.
A de nombreux égards, et quitte à en manquer, Véronique Rabiot a changé les codes du «bien-vivre» à la française: elle place la réussite, notamment économique, au-dessus de toute considération galante ou patriotique. L'intérêt supérieur, encore. Mais comment le lui reprocher?
Le problème, c'est la manière, disent nos confrères français. Cette manière de considérer son fils comme un petit miracle de 27 ans, de parler à sa place, de le suivre partout, de sermonner ses patrons, de trouver qu'il mériterait une meilleure note dans L'équipe, un meilleur professeur que Massimo Allegri, de rouspéter, de gronder, de faire capoter un transfert avec «des revendications obscènes», selon les échos de Manchester United, et de tout tourner au tragique.
Forcément, Adrien Rabiot a fini par croire au miracle. Quand il décline une convocation en équipe de France, avant le Mondial 2018, indigné par le statut de réserviste que lui adjuge Deschamps, tout le monde comprend qu'il est trop couvé. Quand il explique en Bulgarie que la motivation est difficile à trouver sous une pluie froidasse, petit poussin devient poule mouillée.
On l'appelle «Le Duc» mais personne n'est dupe, ce n'est une référence ni à John Wayne ni au Big Lebowski. Sa seule incartade est une sortie en boîte de nuit après une élimination en Ligue des champions, ce qui lui a valu un peu de placard dans la réserve du PSG. Mais là où le Big Lebowski aurait demandé une cigarette, Adrien Rabiot a réclamé sa maman. Sortez les mouchoirs:
Véronique Rabiot a encore interpellé les ministres des Sports et du Travail pour que les droits de son fils soient respectés, peut-être d'autres institutions encore - le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) n'a pas donné suite à nos appels.
En un sens, son indignation est celle de tout parent qui, chaque week-end, sur des terrains de campagne ou de quartier, constate qu'un enfant mal dégrossi n'a pas eu la sagacité de passer le ballon à sa virtuose progéniture, faisant échouer une action d'anthologie. Sauf qu'Adrien Rabiot n'est plus en juniors D.
Avec toute la prudence requise, Bixente Lizarazu a suggéré un jour que s'il restait agrippé aux jupes de sa mère, il courrait à sa perte. La matrone proteste: «L’image du petit garçon à sa maman ne reflète pas du tout la réalité. Je suis une personne autoritaire, c’est vrai, mes enfants me l’ont souvent reproché. Mais pas celle qu’on décrit dans les médias.»
Certains reportages se donnent du mal pour abonder dans son sens. Ici, «Véro» sauve l'US Alfortville, ancien club d'Adrien, avec plein de donations et de goodies. Là, elle découvre un documentaire sur Jean-Marc Bosman et file en Belgique lui donner 12 000 euros (Bosman, seul et fauché après avoir fait la fortune de plusieurs milliers de footballeurs, soit dit en passant).
Ici encore, «Véro» évoque son défunt mari (2019) et ses douze années à l'état paralytique, la peine pour Adrien et ses frères, des instincts de mère poule face à la rapacité humaine. Ce n'est pas faux, en somme: Véronique Rabiot déploie un sens du devoir que bien d'autres agents, parfois d'autres pères, revendiquent fièrement comme le sens des affaires. Une mère poule parmi les coqs (cocasse?).
Le problème, c'est la manière, encore. Cette manière de suivre les entraînements avec l’œil de John Wayne, l'humeur du Big Lebowski, comme pour protéger l'Elu d'un mauvais coup, ne serait-ce qu'un coup de froid. Cette manière de faire des offres d'emploi à 9 millions d'euros (+ 1 de prime) quand la Juve se morfond d'en payer 7. Cette manière de tout tourner au vaudeville, façon famille Kardahsian.
Manchester United l'aurait qualifiée de «folle». Mais au fond, le plus fou ne serait-il pas d'aller à Manchester quand, outre la pluie, on déteste autant les difficultés?
Adaptation d'un article paru le 18 août sur watson