Et dire qu'il y a quelques jours encore, on trouvait scandaleux que Vladimir Petkovic rappelle Xherdan Shaqiri en cours de match face aux Gallois, et qu'Haris Seferovic n'en fasse pas une de bonne contre les Italiens. Alors que tout était prévu, savamment planifié, judicieusement anticipé! 😇
Vladimir Petkovic savait qu'en sortant sa vedette pour laisser le Pays de Galles égaliser (1-1), puis en acceptant sans broncher la domination italienne quatre jours plus tard (0-3), son équipe se qualifierait ensuite pour les 8es de finale contre la très faible Turquie (3-1) en tant que meilleur troisième. Une position qui permettait à la Suisse d'éviter un adversaire à sa portée, ce qui ne lui a jamais convenu ces quinze dernières années dans les matches décisifs:
Petkovic et ses joueurs ont donc habilement laissé l'Autriche aux Italiens, et le Danemark aux Gallois, en 8e de finale, pour avoir la chance de se mesurer à un leader de groupe, une formation redoutable, ce qu'on appelle un gros poisson. Le voici, fraîchement pêché la veille: la France.
Les Bleus naviguent certes dans des profondeurs inconnues de la Suisse. Ils sont champions du monde en titre, possèdent des joueurs qui font des merveilles dans les plus grands clubs du monde. Mais il n'y a que des avantages, pour les Helvètes, à affronter un adversaire aussi prestigieux.
Championne des attentes déçues, la Suisse ne peut que surprendre face aux Bleus. Une défaite serait considérée comme logique, une victoire comme fantastique, le rapport de forces étant largement à l'avantage de son adversaire. C'est bien simple: aucun footballeur suisse n'aurait sa place dans le onze tricolore, articulé en 4-3-3, en 4-4-2 en losange ou en 4-2-3-1.
Ce n'est pas la première fois que la Nati rencontre un géant en 8e de finale, et ce ne serait pas la première fois qu'elle le regarderait dans les yeux: lors du Mondial 2014 au Brésil, elle avait défié du regard l'Argentine de Messi jusqu'à la 118e minute et l'unique réussite du match signée Di Maria. La presse avait trouvé nos joueurs «rigoureux tactiquement, intelligents, culottés, solidaires et généreux». Ils sont cinq (Schär, Rodriguez, Xhaka, Shaqiri et Seferovic) à être sur la pelouse sept ans plus tard et à n'avoir rien oublié de cette soirée héroïque.
La Suisse, historiquement, résiste bien aux grandes nations en phase finale. Ces vingt dernières années, elle a renversé le Portugal (2-0 en 2008) et le futur champion du monde espagnol (1-0 en 2010). Elle a aussi pris un point contre la Croatie (0-0 en 2004) et le Brésil (1-1 en 2018), et même deux contre la France (0-0 en 2006 et 2016).
Les Tricolores ne manqueront pas d'atouts lundi, mais de quelques certitudes, oui.
Quand les Helvètes entreront sur la pelouse de Bucarest, lundi prochain, ils auront le teint frais, des jambes de feu et des poumons gros comme des pastèques. Ils auront eu sept jours pour soigner les organismes et peaufiner les automatismes. C'est trois de plus que les Français, opposés mercredi soir au Portugal (2-2).
La Suisse, bien sûr, a beaucoup voyagé entre Bakou et Rome durant la phase de groupes. Elle est même la sélection avec le plus de kilomètres au compteur (10 012), loin devant la France et ses 6 344 bornes. Mais les Bleus ont beaucoup souffert physiquement, parce que ses adversaires (Allemagne, Hongrie et Portugal) lui ont mené la vie dure, et parce qu'il a fait très chaud à Budapest, où la France vient de disputer ses deux derniers matches.
Les grands matches subliment, transcendent. Les Suisses y ont déjà souvent goûté par le passé, en club et en sélection, mais beaucoup moins cette saison. Yann Sommer a été le plus mauvais gardien de Bundesliga, Granit Xhaka s'est fait insulter par ses propres supporters, Xherdan Shaqiri a chauffé le banc de Liverpool et Haris Seferovic n'a pas disputé la Ligue des champions avec Benfica.
Ces quatre tauliers ont une revanche à prendre, et quelle plus belle opportunité de le faire qu'un soir d'été, en prime-time, dans un magnifique stade et face à une grande nation?