Le temps n'altère pas seulement les souvenirs; il déforme aussi la lecture des évènements. En voyant Francesco Totti empiler les buts pour son club de toujours pendant un quart de siècle, on avait tous fini par croire que la relation entre le joueur et la Roma était une prodigieuse évidence. Or ce n'est pas tout à fait vrai. Un documentaire diffusé dimanche soir sur la Rai et intitulé «Mi chiamo Francesco Totti» («Je m'appelle Francesco Totti») est revenu sur un épisode qui aurait pu tout changer dans la carrière du mythique trequartista giallorosso.
Nous sommes en février 1997. Francesco Totti a 21 ans et il est déjà l'une des plus belles promesses du «calcio». Mais ce n'est pas l'avis de Carlos Bianchi, alors aux commandes de l’équipe romaine. Le technicien argentin ne se satisfait pas de son jeune talent et aimerait beaucoup le remplacer par le Finlandais Jari Litmanen. La suite, c'est Totti qui la raconte dans le documentaire ainsi que dans le magazine France Football.
Francesco Totti n'aurait pas dû disputer le Torneo città di Roma, car la compétition se tenait lors d'une fenêtre internationale. Il s'attendait donc à être appelé par Rossano Giampaglia, le sélectionneur des M21 italiens, pour affronter l'Angleterre. Mais curieusement, le coach ne l'a pas fait. Pourquoi? Dans le documentaire, plus de 20 ans après les faits, Totti ne le sait toujours pas.
Le joueur est donc sur le terrain pour affronter le joueur préféré de son entraîneur. La compétition amicale se compose de trois matchs d'une durée de 45 minutes chacun. Ils sont programmés ainsi: Ajax-Borussia à 19h30; Roma-Borussia à 20h30, et enfin le match que tout le monde attend: Roma-Ajax à 21h30, à l'heure où les enfants son couchés.
Les giallorossi réalisent un sans faute ce jour-là, remportant leurs deux parties (3-0 et 2-1). Et devinez qui sort du lot? Francesco Totti, évidemment, auteur de deux réussites. Une dans chaque match. Lors du premier, il passe en revue la défense allemande avant de terminer son action par une merveille de ballon piqué. Lors du second, il expédie le cuir sous la barre d'une frappe sèche à 20m. Le commentateur en est alors certain:
Plus encore que par ses buts, c'est par sa technique et sa vision du jeu que l'apprenti champion impressionne, éteignant Litmanen. «Il faisait un tournoi normal. Moi, deux parties stratosphériques», résume Totti dans le doc.
A la fin de la compétition, il n'y a plus de débat possible.
Le président de la Roma Franco Sensi est interrogé sur le bord du terrain. La partie vient de se terminer. Les projecteurs sont encore chauds, les tribunes bruyantes. Le journaliste demande au dirigeant où va s'écrire le futur de Totti. Sensi est presque étonné. Il coupe, péremptoire:
Bianchi se vexe et pose un ultimatum à ses dirigeants: «c'est Totti ou moi». Le coach argentin est congédié deux mois plus tard.
Le reste appartient à l'histoire. Francesco Totti, qui aurait pu aussi signer au Real Madrid en 2004 (de son plein gré cette fois), est resté fidèle au club de la Louve. Avec 307 buts inscrits et 195 caviars délivrés en 786 matchs, il est devenu tout à la fois le meilleur buteur, le meilleur passeur et le joueur le plus capé de l'histoire de son club.
Un palmarès que Jari Litmanen, qu'on aimait beaucoup aussi, n'aura jamais: il ne s'est imposé nulle part après avoir quitté l'Ajax d'Amsterdam.