Sport
Football

Coupe du monde 2022: Sepp Blatter milite contre le Qatar

Sepp Blatter est de nouveau au centre de l'attention des médias avant la Coupe du monde au Qatar.
Sepp Blatter est de nouveau au centre de l'attention des médias avant la Coupe du monde au Qatar.image: Andrea Zahler

Blatter: «Mes poumons ne fonctionnaient plus, j'ai déjà vu les anges»

L'ex-président de la Fifa Sepp Blatter (86 ans) semblait au bout du rouleau fin 2020. Chassé de son poste, poursuivi pénalement, sa vie était menacée. Aujourd'hui, il milite pour sa réhabilitation et contre la Coupe du monde au Qatar. On l'a suivi en train jusque dans les Grisons.
12.11.2022, 08:5512.11.2022, 12:08
François Schmid-Bechtel, Patrik Müller / ch media
Plus de «Sport»

Mardi, 8 heures, gare centrale de Zurich, voie 9. Il attend là, comme convenu. Sepp Blatter, costume bleu foncé bien coupé, écharpe élégante. Malgré ses seulement 171 cm (d'après Wikipédia), il ne passe pas inaperçu au milieu des pendulaires. Quelques personnes se retournent: «Parfois, des gens veulent faire une photo avec moi», précise-t-il.

Cette fois, il y a trop peu de temps pour ça. La composition du train est différente de celle annoncée sur le panneau d'information. Peut-être parce que c'est un train ICE de la Deutsche Bundesbahn qui emmène Blatter dans les Grisons? On marche le long des wagons avant d'enfin atteindre celui avec notre compartiment réservé, en tête de train. Blatter taquine: «On est déjà à Landquart?» On monte à bord, le train démarre.

Sepp Blatter est actuellement un homme très demandé. Ça s'explique par le fait que le coup d'envoi de la Coupe du monde de football au Qatar sera donné dans quelques jours, le 20 novembre. Ce sera sa dernière Coupe du monde. Plus précisément: la dernière dont il est responsable de l'attribution en tant que président de la Fifa. Et comme le Qatar est fortement critiqué depuis des années pour les milliers de travailleurs immigrés morts sur les chantiers, pour la discrimination des femmes et des homosexuels et pour bien d'autres choses encore, les projecteurs sont tournés vers cet homme qui, en 2010, a présenté au monde entier, avec une mine dépitée, le fameux papier sur lequel était écrit «QATAR».

FILE - FIFA President Joseph S. Blatter announces that Qatar will be hosting the 2022 Soccer World Cup, on Thursday, Dec. 2, 2010, during the FIFA 2018 and 2022 World Cup Bid Announcement in Zurich, S ...
Sepp Blatter lors de l'annonce du choix du Qatar, en décembre 2010.image: keystone

Ça fait maintenant douze ans et Blatter n'est plus président de la Fifa depuis longtemps. Il a désormais 86 ans. Ses yeux brillent toujours, mais ils ne dégagent plus la force machiavélique qui l'a mené, lui qui était journaliste sportif, jusqu'à la plus haute fonction de la fédération sportive la plus importante du monde. Non, Blatter n'a plus l'aura du pouvoir, c'est désormais une aura joviale. Ce qui reste, ce sont son espièglerie et son charisme. Sepp Blatter a quelque chose d'un grand-papa.

Il est invité à un événement à St-Moritz (GR), le soir il rentrera à Zurich et passera la nuit dans son nouvel appartement, où il ne vit que depuis un mois. Blatter a encore déménagé à un âge avancé. Pas par choix. Après 18 ans, il a dû quitter son appartement du Sonnenberg. Il appartenait à la Fifa, dont Blatter était le président depuis 1998, jusqu'à ce qu'il soit suspendu en 2015 dans un grand fracas et avec des suites judiciaires. La Fifa a alors vendu l'appartement. «Parce qu'elle a besoin d'argent pour son combat en justice contre son ex-président», grince-t-il.

Un musée, un cœur fragile et des mots perdus

L'ancien boss de la Fifa vit donc désormais dans un autre quartier, dans un appartement plus petit, avec vue sur le lac. Un jour, il veut retourner en Valais, dans sa patrie. Mais c'est encore trop tôt pour ça, explique-t-il: «Je dois d'abord tout terminer à Zurich». Il fait référence à son combat juridique. Après avoir été acquitté en juillet par le Tribunal pénal fédéral de Bellinzone pour un paiement de deux millions de francs à Michel Platini, de nouveaux ennuis le menacent, quasiment devant sa porte.

Il s'agit du musée de la Fifa à Zurich, qui connaît certes un grand succès auprès des visiteurs mais qui, selon l'estimation actuelle de la Fifa, est trop cher. «La Fifa veut m'en rendre responsable», peste Blatter. C'est vrai, le musée a été initié pendant son mandat, mais il n'a été ouvert qu'après sa suspension de la présidence. Le Valaisan se défend:

«La construction du musée a été une décision de la Fifa et non de moi seul. Et si le nouveau président s'est moqué du musée au début de son mandat, ce n'est pas ma faute»
Sepp Blatter

Le nouveau président? Gianni Infantino. Blatter évite de prononcer son nom.

FILE - In this Feb. 1, 2016 file photo FIFA Presidential Candidate Gianni Infantino speaks to the media as he unveils his 90 day plan that he will implement if he is elected FIFA President, at Wembley ...
Gianni Infantino a succédé à Sepp Blatter à la présidence de la Fifa.image: AP/AP

Le lac de Zurich défile derrière la fenêtre. Pourquoi Blatter s'impose-t-il, à 86 ans, toutes ces apparitions, tous ces rendez-vous médiatiques, y compris à l'étranger (comme par exemple sur la chaîne allemande ZDF)? Il s'agit pour le Valaisan de se réhabiliter. Mais pas que. «C'est bien qu'il se passe quelque chose», s'enthousiasme-t-il. Les rendez-vous avec les journalistes mettent de l'animation dans sa vie. «Ça me permet de me rafraîchir la mémoire et de faire travailler ma tête.»

Fin 2020, sa vie ne tenait plus qu'à un fil:

«J'étais très atteint dans ma santé, j'ai déjà vu les anges»
Sepp Blatter

Il ajoute: «C'est mieux de voir quelque chose de blanc au lieu de ne voir qu'un trou noir». Le Valaisan raconte sans détour qu'il n'était pas seulement à terre physiquement, mais aussi psychiquement. «J'ai subi de violentes attaques», avoue-t-il.

C'était le cœur. «Justement l'organe que je pensais être plus fort que tout le reste de mon corps.» Les médecins lui ont posé trois pontages, mais il y a eu des complications. Un mois plus tôt, il avait eu le Covid, qui n'avait apparemment pas eu de conséquences dans un premier temps. Mais lorsque l'ex-président de la Fifa a dû être hospitalisé pour une opération du cœur, ses poumons ont cessé de fonctionner. Avec, forcément, des séquelles:

«Je suis resté deux semaines dans un coma artificiel et, quand je me suis réveillé, je ne pouvais plus parler»
Sepp Blatter

Dieu, une citrouille et Sarkozy

Franchir la montagne, se relever, retrouver la parole: sa foi en Dieu l'a aidé. Tout comme un tableau de l'artiste bernois, Rolf Knie. Blatter se souvient qu'à l'hôpital, tout était terriblement stérile et blanc. Son agent, Thomas Renggli, journaliste sportif et auteur de sa biographie, a mis de la couleur dans la chambre. Il est allé chercher le tableau le plus grand et le plus coloré de la collection de l'artiste et l'a installé dans la chambre d'hôpital. «A partir de ce moment, les choses se sont améliorées», rembobine Blatter. Le tableau est désormais accroché dans son appartement de Viège (VS).

Le Valaisan a hérité de son père sa volonté de se battre. «Il disait toujours: "Nous, les Blatter, nous nous battons"», se remémore l'ex-président de la Fifa. «Je n'ai pas de talent particulier. Mais ce que j'ai, c'est une volonté irrépressible.» Cette volonté a été mise à rude épreuve début 2021. Après son réveil du coma, le plus dur a été de ne plus pouvoir parler. Ensuite, ce sont d'abord des mots en dialecte haut-valaisan qui lui sont revenus aux lèvres. Ce n'est qu'au bout de deux mois qu'il a pu à nouveau s'exprimer correctement, y compris dans des langues étrangères. «Si je ne m'étais pas remis, je serais assis ici comme une citrouille.»

Der ehemalige FIFA Praesident Sepp Blatter praesentiert sein Buch " Sepp Blatter - Mission und Passion Fussball" in Zuerich am Donnerstag, 21. April 2016. (KEYSTONE/Walter Bieri)....Former F ...
Sepp Blatter présentant sa biographie écrite par Thomas Renggli. Image: KEYSTONE

Il a gagné la bataille pour sa vie, mais il s'apprête maintenant à poursuivre son «combat pour la justice». Un combat là encore pour sa propre cause, pour son héritage.

Blatter dénonce actuellement partout l'«erreur» selon laquelle il aurait été favorable à l'organisation de la Coupe du monde au Qatar. Il a toujours trouvé que c'était une faute d'attribuer le Mondial à un petit pays comme le Qatar. «Sur ce sujet, je m'engage corps et âme pour remettre les choses à leur place, mais aussi pour que les gens du monde entier me comprennent mieux et comprennent mieux mes actions», ajoute-t-il.

Le Valaisan ne se dégage pas de sa responsabilité. Il était président de la Fifa en 2010, au moment de l'attribution, et il n'a pas réussi à mettre le comité exécutif de son côté:

«J'étais pour les Etats-Unis en tant qu'organisateur de la Coupe du monde 2022, et il y a longtemps eu aussi un consensus au sein du comité pour que la Coupe du monde revienne aux Etats-Unis»
Sepp Blatter

L'idée était de laisser les deux grandes puissances, la Russie (2018) et les Etats-Unis (2022), se succéder.

Or, juste avant l'attribution, des rumeurs racontaient que trois membres de l'exécutif s'étaient fait corrompre par le Qatar. Le résultat du vote a été de 14 à 8 pour l'Etat du Golfe face aux Etats-Unis. Si ces trois membres avaient voté pour les Etats-Unis, le résultat aurait été de 11 à 11, et Blatter aurait pu attribuer la Coupe du monde aux Etats-Unis grâce à sa voix prépondérante.

Sepp Blatter dans le train qui le mène aux Grisons, pendant l'interview.
Sepp Blatter dans le train qui le mène aux Grisons, pendant l'interview. image: Andrea Zahler

Aurait-il donc pu lui-même empêcher la tenue du Mondial au Qatar, en excluant les membres qui étaient soupçonnés de corruption? Non, répond-il, parce qu'il n'était alors pas au courant de ces accusations. Ce n'est que quatre ans plus tard que le rapport Garcia a été publié. Et les soupçons concrets à l'encontre de ces trois membres de l'exécutif ont été soulevés bien plus tard, par la justice américaine.

En revanche, il tient pour responsable le président de l'Uefa de l'époque, Michel Platini. Celui-ci l'a appelé quelques jours avant l'attribution de la Coupe du monde. Sepp Blatter rembobine:

«Platini m'a informé: "Ecoute, ça ne marche plus comme on l'avait imaginé." J'ai demandé: "Pourquoi?" Il m'a répondu qu'il avait été convoqué par le président de la République française Nicolas Sarkozy pour un dîner à l'Elysée. Le prince héritier du Qatar était également assis à la table. Sarkozy lui aurait confié, à lui Platini, la mission de veiller à ce que le Qatar obtienne la Coupe du monde. Avec trois de ses acolytes, Platini a ensuite changé d'avis. Et vous savez quoi? Six mois plus tard, le Qatar a acheté des avions de combat aux Français pour 14,5 milliards de dollars.»
Sepp Blatter

Un sentiment d'injustice et un hélicoptère fantôme

Le Qatar n'aurait-il pas pu être évité malgré tout? Plus le temps a passé, plus les rapports sur les conditions de travail sur les chantiers de la Coupe du monde se sont multipliés. Blatter en a également pris connaissance. C'est ainsi qu'il a annoncé en 2014: «On peut retirer la Coupe du monde au Qatar à tout moment». Seulement, personne ou presque n'a pris cette menace au sérieux. On soupçonnait en effet que les demandes de dommages et intérêts du Qatar pourraient mettre la Fifa en faillite.

Aujourd'hui, l'ex-président de la Fifa dément:

«On avait à l'époque environ 1,5 milliard de dollars de réserve. Croyez-moi: on aurait pu assumer financièrement une nouvelle attribution à un autre pays»
Sepp Blatter

Mais ça n'a pas été le cas. Blatter a dû quitter son poste peu de temps après et «mon successeur a été très clair lors de son premier congrès en tant que président de la Fifa: "On reste au Qatar"».

Blatter a-t-il honte aujourd'hui d'avoir désigné le Qatar comme organisateur? «Pas du tout», balaie-il. En 2010, on ne savait rien des mauvaises conditions de travail pour les migrants et des autres problèmes. Il était contre le Qatar pour des raisons pratiques: le pays est trop petit et trop chaud pour y jouer au football en été. Malgré tout, il suivra la Coupe du monde à la télévision dans son appartement zurichois.

The former president of the World Football Association (Fifa), Joseph Blatter, surrounded by media representatives, gives statements in front of the Swiss Federal Criminal Court in Bellinzona, Switzer ...
Sepp Blatter lors de son procès à Bellinzone, en juillet dernier. Image: Keystone

C'est désormais le lac de Walenstadt (SG) qu'on voit sur notre gauche. «Monsieur Blatter, votre réputation a énormément souffert, la Fifa a été qualifiée d'organisation mafieuse par la justice américaine...» Dans les yeux du Valaisan brille à nouveau cette espièglerie, et avant qu'on ait fini de formuler la question, il coupe: «Là, je suis content que vous ayez pris le train pour me rejoindre!»

Un documentaire Netflix accablant sur la Fifa vient de sortir👇

Depuis son acquittement devant le Tribunal pénal fédéral, sa mission de réhabilitation bat son plein. Sa recette a toujours été de se tenir debout, ne pas se cacher. Contrairement aux dirigeants déchus de Swissair ou des grandes banques, il ne s'est jamais caché. A aucun moment, il n'a été chahuté dans la rue ou dans les gares, fait-il savoir.

Il s'est d'ailleurs souvent déplacé en train. «Je vais vous raconter une histoire amusante à ce sujet», sourit Blatter.

«Il y a de nombreuses années, j'ai pris le train de Berne à Zurich. Je vois le conseiller fédéral Moritz Leuenberger assis dans le compartiment et je lui demande si je peux m'asseoir avec lui. Etonné, il me dit: "Bien sûr, je ne m'attendais pas à vous. J'ai toujours pensé que vous voyageriez en hélicoptère".»
Sepp Blatter

L'ex-homme fort de la Fifa ne s'est jamais senti mis au ban de la société, mais traité injustement, y compris par les médias. Même si pour lui, ancien journaliste sportif, il est clair que «les journalistes sont en fait mes amis. Autrefois, je jouais au football avec eux». A Zurich, Blatter, qui vit seul, est bien intégré. Il est membre de plusieurs associations et a son restaurant préféré où il va manger une fois par jour.

Le programme complet de la Coupe du monde 2022👇

Elisabeth II, Poutine et harcèlement

En l'écoutant, on a l'impression d'un homme qui a trouvé l'équilibre entre la lutte et la réconciliation, qui est en paix avec lui-même. Parfois, il fait des digressions, parle du passé, de sa rencontre avec la reine Elizabeth II, avec Nelson Mandela – personne d'autre ne l'a plus impressionné. Il évoque aussi son ancienne proximité avec le président russe Poutine, pour se distancier du chef de guerre actuel: «Il est devenu un tout autre homme», affirme Blatter.

FILE - In this file photo taken on Sunday, July 13, 2014, FIFA President Sepp Blatter, left, and Russian President Vladimir Putin hold a soccer ball during the official ceremony of handover to Russia  ...
Sepp Blater (à gauche) avec le président russe Vladimir Poutine, en 2014.image: AP/RIA Novosti Kremlin Press Servic

Ce n'est que lorsqu'il est question de son successeur à la présidence de la Fifa que l'amertume transparaît. Sepp Blatter se sent traité injustement, marginalisé, voire même harcelé par Gianni Infantino, son compatriote valaisan. Et il lui reproche d'affaiblir le site de Zurich, sentant même des projets de vouloir transférer le siège de la Fifa dans un autre pays. Ce qu'Infantino a nié à chaque interview.

«Monsieur Blatter, qu'est-ce que votre successeur a contre vous?» «Je ne sais pas», répond-il.

«La conseillère fédérale Viola Amherd voulait nous réunir en Valais. Mais il n'est pas venu»
Sepp Blatter

Arrivée à Landquart (GR), changement de train pour St-Moritz. Là, Blatter est interviewé par le maire de la commune, Christian Jott Jenny, lors d'une manifestation réunissant 180 seniors.

Un accueil digne de ce nom est réservé à celui qui fut l'homme le plus puissant du football mondial. Une voiture de la police municipale l'attend à la gare.

Adaptation en français: Yoann Graber

31 photos d'animaux déroutantes
1 / 33
31 photos d'animaux déroutantes
partager sur Facebookpartager sur X
Estelle Piget, profession: cascadeuse
Video: watson
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Le gardien des ZSC Lions a-t-il perdu sa magie?
Simon Hrubec est passé à côté de son match, mardi à Lausanne (2-5). Zurich a de quoi trembler: sans un portier en très grande forme, il ne sera pas champion.

Cette deuxième victoire de Lausanne à domicile marquera-t-elle le début de la fin pour les ZSC Lions? Ou n'aura-t-elle au contraire aucune conséquence sur le score final de la série? Nous aurons les premières réponses dès jeudi à Zurich, lors de l'acte V.

L’article