L'être humain passe en moyenne plus de 43 millions de minutes sur Terre. Quelques-unes de plus ou de moins, ça ne change finalement pas grand-chose, sauf quand on est footballeur et qu'on dispute en ce moment la phase finale de la Coupe du monde au Qatar. Une compétition durant laquelle la Fifa s'est mise en tête de rattraper le temps de jeu effectif perdu durant le temps règlementaire (blessures, changements, etc.) par des arrêts de jeu à rallonge.
C'est une première dans l'histoire du football et elle change énormément de choses. Il s'agit même du plus grand bouleversement dans le jeu depuis 2019 et la révision de la loi 16 (sorties au pied dans la surface de réparation). Pour vous le prouver, nous avons listé les effets concrets des interminables temps additionnels sur le déroulement d'une partie.
Disputer plusieurs minutes supplémentaires à la fin de chaque mi-temps change la manière de diriger son équipe. L'entraîneur italien Alessio Dionisi (Sassuolo), réputé moderne et ouvert à la nouveauté, cite un exemple concret:
Les changements qui interviennent en deuxième mi-temps sont aussi sources de réflexions supplémentaires. On ne fait pas entrer les mêmes joueurs quand il reste 25 ou 15 minutes. Or les entraîneurs ne peuvent jamais anticiper avec précision la durée des arrêts de jeu, celle-ci étant surtout calculée sur la base des minutes gagnées par l'équipe qui mène au score en fin de match.
Rallonger la durée des matchs, c'est solliciter les organismes. Or le calendrier des footballeurs est déjà démentiel. Les préparateurs physiques doivent donc travailler différemment avec les joueurs afin qu'ils aient assez de fraîcheur pour pouvoir peser sur la rencontre jusqu'au bout. C'est ce qu'explique José Saiz, ex-préparateur physique de Neuchâtel-Xamax en Super et Challenge League.
Pour y parvenir, le spécialiste suggère des entraînements ciblés. José Saiz: «On peut mettre les organismes sous stress physique. On pousse le joueur dans ses retranchements et, quand les jambes brûlent, on lui demande de prendre une décision avec le ballon. On l'habitue ainsi à garder sa lucidité malgré la fatigue».
Puisque les minutes supplémentaires devraient être adoptées en championnat par la suite, on peut aussi s'attendre à ce que les effectifs soient construits différemment, avec un meilleur équilibre entre titulaires et remplaçants. Dans tous les cas, les clubs avantagés seront toujours ceux qui parviennent à doubler les postes. On risque donc de voir les inégalités se creuser davantage entre les petites et les grandes équipes.
Chaque match est une histoire dont la conclusion s'écrit souvent dans les ultimes minutes. Certains, comme Pippo Inzaghi ou Ole Gunnar Solskjaer, ont fait de ces derniers chapitres les plus belles pages de leur œuvre.
Quelle aurait été le destin d'Inzaghi, de Solskjaer et de tous ces renards des surfaces capables de faire basculer une rencontre à la 90e+4 si le football avait étiré son récit jusqu'à la 100e minute de jeu, voire la 117e, comme lors du match Angleterre-Iran de lundi?
This @FIFAWorldCup has the longest additional times of any World Cup: England Vs Iran had 24 minutes of added time!
— Undercover KE (@UndercoverKe) November 22, 2022
'Each goal celebrations takes one and a half minutes...add head injuries and you have double digits,' said FIFA Ref chair, Pierluigi Collina.#LionelMessi #AIDS pic.twitter.com/MPJ1bBsqJx
Le jeu moderne ne formera plus des rageux capables de s'arracher dans les ultimes secondes quand ces secondes seront d'interminables minutes. Les «kick and rush» jubilatoires, les assauts désordonnés seront bientôt remplacés par des stratégies travaillées avec les remplaçants, et ce ne sera plus la même histoire.
C'est une des conséquences indirectes (et méconnues) des nouvelles recommandations de la Fifa sur le temps de jeu: puisque le match dure plus longtemps, cela signifie que le temps d'antenne est aussi plus conséquent. Donc que les sponsors qui s'affichent sur les panneaux publicitaires tout autour du terrain bénéficient d'une durée d'exposition plus grande. Or cette visibilité croissante doit forcément être répercutée sur le montant que versent les partenaires à l'organisateur. Allonger la durée des parties lors d'une compétition ne devrait-elle pas dès lors permettre aux organisateurs (d'une Coupe du monde) ou aux clubs (d'un championnat) de renégocier leurs contrats de sponsoring à la hausse?
«Eh bien, ce n'est pas aussi simple», explique en substance Michel Desbordes, professeur en marketing du sport à Emlyon business school et à l'Université de Paris-Saclay.
Taxer le temps d'antenne supplémentaire pourrait donc être intéressant à condition que la marque à laquelle on propose le deal ne soit pas connue du grand public. Ce qui n'est évidemment pas le cas des partenaires des grands évènements comme la Coupe du monde de football. Michel Desbordes poursuit:
Pour notre expert, le vrai argument marketing des arrêts de jeu est ailleurs. «Les organisateurs pourront dire aux annonceurs que le foot sera plus intéressant car il y aura davantage de jeu effectif et moins de cinéma. Les footballeurs se dépêcheront peut-être un peu plus lors des changements, sachant que sinon ils risquent d'en prendre pour quinze minutes à la fin du match. Le football a besoin de redorer son blason et les arrêts de jeu peuvent y participer.»