Le documentaire dure 112 minutes et c'est parce qu'il retrace la vie de Michael Schumacher qu'il s'arrête au 29 décembre 2013. Ce jour-là, l'existence du pilote allemand, en vacances sur les pistes de Meribel, s'écrase contre un rocher de la station française. Le public ne reverra plus jamais l'immense champion aux sept titres mondiaux, reclus dans l'une des 35 pièces de sa résidence de Gland et protégé par sa famille autant que par les rondes incessantes des vigiles.
Depuis huit ans, chaque fois qu'une porte s'ouvre en direction de son intimité, ses supporters guettent un signe, sinon un visage. Michael, ils le savent, n'est pas loin de Corinna Schumacher lorsque cette mater familias digne et aimante s'exprime face caméra dans le documentaire diffusé par Netflix. Et c'est moins l'épouse qu'ils observent que ce qu'ils imaginent derrière elle, dans une des pièces toute proche.
Mais qu'imaginent-ils, au juste? Les médias rapportent depuis plusieurs années que Michael Schumacher est enfermé dans un état végétatif, qu'il doit se battre pour continuer à vivre et que ce combat n'est pas gagné d'avance, en gros qu'il n'y a rien d'autre à voir qu'un homme malade, et qu'il serait peut-être préférable de privilégier les prières aux images.
Avec le temps, ce discours est devenu un rappel à l'ordre. Car la famille a toujours tout fait pour protéger la sphère privée de Michael Schumacher. Elle s'est entourée des meilleurs avocats, a transféré le pilote sous un faux-nom et sous escorte lors de plusieurs interventions dans un hôpital parisien, et a même équipé le personnel soignant de jumelles afin de débusquer les paparazzi planqués aux alentours de la vaste propriété vaudoise.
Ces mesures de protection avaient pour effet d'éloigner les curieux. Elles ont finalement produit l'exact contraire auprès du public, selon un double mécanisme humain et sociétal, comme si tout ce qui était caché était digne d'intérêt, surtout à une époque où les réseaux sociaux ne soustraient plus grand-chose aux regards.
Le droit à la vie privée a été interprété par beaucoup comme une omerta, voire un culte du secret. Une impression tenace et largement répandue, née très vite après l'accident, lorsque le clan «Schumi» a choisi de ne pas communiquer sur les circonstances exactes qui ont transformé une banale chute à skis en grave traumatisme craniocérébral. Chacun y est allé de son hypothèse pendant 10 mois, jusqu'à ce que le journaliste français Jean-Louis Moncet (spécialiste de F1) affirme détenir la vérité de Mick Schumacher, le fils du pilote.
Ces déclarations avaient été reprises par le monde entier, provoquant la chute de l'action GoPro en bourse et un semi-rétropédalage du journaliste dans les jours qui ont suivi. Par la suite, la famille n'a jamais cessé de protéger le «Baron rouge» (le surnom de Schumacher après cinq titres chez Ferrari) du monde extérieur, sélectionnant les proches en visite autant que le personnel soignant à son chevet. «La quinzaine de médecins et de thérapeutes est non seulement tenu de respecter le secret médical, mais aussi une clause de confidentialité concoctée par les meilleurs juristes», relatait L'Illustré en 2018, dans un article dont le titre («Cinq ans de souffrance, de mystère et d'omerta») disait toute la détresse du champion, de ses proches et de sa communauté.
Les informations sur la condition de Michael Schumacher sont si rares qu'elles en deviennent exceptionnelles, voire mystiques. L’archevêque allemand Georg Gänswein raconta sa visite au chevet de «Schumi» avec pas moins d'effusion que s'il avait été en pèlerinage en Terre sainte.
La dimension biblique de ce personnage alité que «le monde entier prie» (selon la manchette du Matin en 2014) sans jamais apercevoir est renforcée par le témoignage ésotérique de la porte-parole de la famille Schumacher en 2016. Sabine Kehm confia à la Süddeutsche Zeitung que, peu avant l’accident, Michael Schumacher avait eu cette funeste prémonition: «Tu n’as pas besoin de m’appeler pour l’année prochaine, je vais disparaître.»
C'est d'ailleurs par la voix de Sabine Kehm, mais aussi de quelques personnes autorisées, que le public prend des nouvelles de son idole. Jean Todt, le président français de la Fédération internationale de l’automobile, fait partie des proches de la famille. Il déclara un jour à Paris Match que lorsque Schumacher était installé face au panorama dont jouit sa propriété, il se mettait parfois à pleurer.
Aucune information ne permet cependant de connaître l'état de santé de l'Allemand, ni les terribles séquelles dont il souffre depuis sa chute. Sur Netflix, Corinna est restée sibylline.
Ils sont nombreux à réclamer davantage de précisions, sinon à essayer de les obtenir par tous les moyens. Comme ce journaliste déguisé en prêtre pour pénétrer dans la chambre d'hôpital du pilote à Grenoble, ou ce cadre de la Rega, suspecté d'avoir volé le dossier médical du champion lors de son transfert vers Lausanne en août 2014, et que la police retrouvera pendu dans sa cellule.
Mais la famille a-t-elle intérêt à tout dire et tout montrer? Et le public à tout entendre et tout voir, après plus de 5 ans de soins, une période au-delà de laquelle les neurochirurgiens n'envisagent aucune amélioration?
Le clan allemand et les fidèles du «Baron rouge» n'ont rien à espérer d'images ou de bulletins médicaux qui, une fois publiés, renverraient Michael Schumacher à sa condition d'humain en le présentant affaibli et limité, démythifié. Ils ont en revanche un souvenir à faire vivre (celui d'un immense champion de son sport avec 7 titres mondiaux et 91 victoires) et un message à transmettre:
#keepfightingmichael ❤️