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Interview

Bien-être, poids, performance: les motivations des joggeurs du dimanche

Au fond, qu'est-ce qui pousse les coureurs ordinaires à battre le pavé? Le sociologue du sport Olivier Bessy nous a fourni quelques éléments de réponses.
Au fond, qu'est-ce qui pousse les coureurs ordinaires à battre le pavé? Le sociologue du sport Olivier Bessy nous a fourni quelques éléments de réponses.image: shutterstock

Liberté, poids, beauté: après quoi courent les joggeurs du dimanche?

N'est pas marathonien ou ultra-trailer qui veut: beaucoup d'entre nous ne sont que de modestes coureurs du dimanche. Mais au fond, pour qui et pourquoi se lancer? A-t-on l'air bête quand on trottine péniblement au bord du lac? Eminent spécialiste de la course à pied, le sociologue Olivier Bessy nous a rassurés.
23.10.2022, 08:0323.10.2022, 11:02
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Olivier Bessy décroche le téléphone depuis la Réunion. Sur cette île de l'océan indien, le sociologue français et grand mordu de course à pied s'apprête à se lancer sur les traces des participants du Grand Raid: 165 kilomètres et 10 000 mètres de dénivelé. La bien nommée «Diagonale des fous» est considérée comme l'un des ultra-trails les plus difficiles du monde. Loin de viser de tels objectifs, nous avons discuté avec lui d'un tout autre type de course: le jogging du dimanche et son évolution.

Au fond, quelle est la motivation du coureur de dimanche? Le brunch? Le repenti?
OLIVIER BESSY: En France, on estime qu'il y a environ 18 millions de personnes qui courent régulièrement: joggeurs, marathoniens, ultra-trailers... Les deux tiers sont des coureurs du dimanche. Parmi ces douze millions de coureurs, les sources de motivation sont donc innombrables. Cela peut aller de l'envie de se faire du bien, de s'alléger l'esprit ou la silhouette, de se trouver dans la nature, de pratiquer une activité sportive à plusieurs. En fonction, cela va donner lieu à des courses de 20, 30, 45 minutes ou même une heure.

Pour résumer, il y a autant de courses que de coureurs?
Exact. A l’intérieur même du jogging, on assiste à une extrême diversification des modalités de course. On l’a vu pendant le confinement: beaucoup de gens qui ne couraient pas ont développé des modalités de course complètement innovantes. La course à pied n’est pas monolithique.

«Le coureur ordinaire ne répond à aucune norme»

J'ai l'impression que ce sont les néophytes de la course à pied, ceux qui «courent le moins bien», qui sont les mieux équipés. C’est vrai?
Votre constat est juste. Pourquoi, à votre avis?

Je ne sais pas... un moyen d'avoir plus de légitimité?
Précisément. C’est ce qu'on appelle l’illusion technologique: moins on est bons, plus on pense que le matériel va compenser. J'ai pu l'observer sur le Grand Raid. Pour avaler ces 165 kilomètres, on conseille un certain type de chaussures, un short ou un sac à dos comme ci, ou comme ça. Évidemment, à ce niveau, les vêtements sont importants: on vise l’ultra-légèreté et l’ultra-technicité. Les meilleurs coureurs sont très bien équipés, mais on peut voir aussi chez des gens qui ne sont pas sponsorisés, en milieu de peloton, qui présentent des équipements de même nature que les meilleurs.

On parle de coureurs qui font de l'ultra-trail. Cela vaut aussi pour les joggeurs du dimanche?
Oui. Au Salon de l’ultra-trail à Chamonix par exemple, j'ai observé des joggeurs à la condition physique assez moyenne se ruer vers toutes sortes de matos: barres énergétiques, équipements technologiques ou d'évaluation de la performance... Cela peut se comprendre quand on est à la recherche de performance, mais aussi chez les coureurs du dimanche. On peut se dire: «Je ne cours pas beaucoup, je suis ne suis pas très en forme, peut-être que si j’avais du bon matériel, ça m’aiderait. En plus, je n'ai pas envie de passer pour un zozo auprès des autres».

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C'est normal d’avoir peur de passer pour un plouc quand on court?
Bien sûr, mais ça, c'est fini! C’était il y a 20 ou 30 ans. A l'époque, quand je faisais de la compétition et que je m'entraînais dans mon petit village perdu au fond de la France, le joggeur sortait des clous. Il renvoyait une image assez négative. Au contraire, aujourd’hui, il dégage quelque chose de très positif.

Vous avouerez qu’il y a encore une certaine appréhension à dépasser pour suer comme un bœuf au milieu d’une foule.
Certainement. Cela dépend de l'âge où on s’y met, de son vécu sportif. Débuter la course à pied peut générer des angoisses, une sorte de malaise. On s’estime regardé, souvent à tort. C’est une pensée qui traverse l’esprit de beaucoup de monde, et pas seulement pour la course. Quand on questionne l’image que l’on renvoie de soi auprès d’autrui, dans toutes ses formes de loisir, c’est un rapport à soi dans l’univers. C’est quelque chose que l’on retrouve dans le mode d’existence: moins vous êtes à l’aise, plus le problème de l’image de soi va être fort.

Au point de nous décourager à nous lancer dans la course à pied?
Je discute régulièrement avec des gens qui ne courent pas pour mieux comprendre les motivations de ceux qui courent. Bon nombre d’entre eux évoquent la monotonie ou le manque de plaisir. D'autres personnes ne courent pas du tout car elles ont l’impression de mal courir. C'est particulièrement marquant chez les femmes: cela va du jogging à l’ultra-trail, où elles ne représentent que 12%. Il y a des dispositions genrées qui font que le rapport au corps, à l’effort et à la course n’est pas le même. Aujourd'hui heureusement, les choses ont évolué. Avant, pour faire de la course à pied, il fallait avoir une foulée comme ci, une foulée comme ça, avoir un certain temps… Beaucoup de coureurs ne se trouvent plus dans cette logique-là.

«La course à pied a fortement évolué dans le temps et épouse les mutations sociétales. C’est un sismographe de la société»

En quoi la pratique de la course a-t-elle changé ces dernières décennies?
Oh! J'ai combien de temps? (Rires). Plus sérieusement, la course à pied a connu trois évolutions entre les années 90 et aujourd'hui. La première a opéré dans la mouvance de mai 68: la course à pied répond à une quête de liberté et de plaisir, d’épanouissement personnel et de convivialité, en dehors des stades. C'est une période où l'on casse les codes sociaux et les codes sportifs. Durant la seconde phase, la course à pied entre dans l'hypermodernité et l’hyperconsommation: on veut aller toujours plus vite, plus haut, plus longtemps. C’est la quête de l’ultra: ultra-marathon, ultra-trail. Depuis une douzaine d’années, on se trouve dans une troisième évolution, une sorte d’hybridation entre la recherche de la performance et une course un peu plus décontractée, plus axée sur le bien-être. Certains vont jusqu'à pratiquer la méditation pendant leur course.

«On se questionne sur le sens de sa vie, et par conséquent dans la course à pied aussi»

Aujourd’hui, la norme de la mise en forme et du bien-être s’est diffusée énormément dans l’ensemble de la population occidentale. Elle touche la masse, contrairement à la pratique de l’extrême ou de l’aventure, qui ne concerne qu’une minorité.

Olivier Bessy est sociologue du sport, des loisirs et du tourisme, coureur à pied et organisateur d'événements pédestres. Professeur à l'Université de Pau et des Pays de l'Adour, il a consacré plusieurs ouvrages à sa passion. Son dernier livre, Courir sans entraves (2022, éditions Cairn) est le premier d'une série de trois tomes consacrée à l'évolution de la course entre 1968 et aujourd'hui comme phénomène de société.

Donc si je comprends bien, maintenant, on court plus pour soi que pour les autres? Ceux qui s’inquiètent de l’image qu’ils renvoient sont une minorité?
Exactement. Cette minorité existe encore, bien sûr, mais elle a beaucoup diminué. Le sport est sorti du sport, si on veut. A présent, il concerne l’ensemble de la sphère sociale. Il en va de même pour la perception du corps. Chacun commence à s’émanciper des normes corporelles auxquelles il fallait correspondre.

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