Pendant très longtemps, on m'a fait croire qu'associer des chaussettes Nike avec une paire de pompes Adidas était une grave faute de style. Pire: un crime de lèse-majesté. Entre les deux rivales, il fallait choisir son camp.
C'est ce que j'ai longtemps cru mais ça, c'était avant de me planter devant les JO de Paris. A la place d'athlètes uniformément brandés (pardon pour l'anglicisme), c'est un grand mélange de body, casquette, baskets, lunettes de marques différentes. Ici, la coureuse Alice Finot franchit une rivière en maillot bleu Adidas et baskets Nike fluo. Là, le Japonais Shota Iizuka s'élance sur le tartan en total look Asics et chaussures Mizuno. Et là, le sprinter américain Noah Lyles, haut moulant Nike et pointes Adidas. A croire qu'ils font exprès.
Moi qui croyais les pros corporate jusqu'au bout des orteils. En particulier quand ils «appartiennent» corps et muscles à leur équipementier, tel un joyau jalousement gardé.
Pour comprendre le conflit d'intérêt qui déchire la plupart des olympiens entre leur équipementier personnel et celui de leur délégation, je passe un coup de fil à Michel Desbordes. Professeur en marketing du sport à l'université de Lausanne, il me confirme qu'au niveau du maillot porté par les athlètes, pas de discussion: c'est le comité olympique qui prime.
Quel que soit son équipementier personnel, chaque sportif passe un contrat avec sa fédération. Et il n'a pas intérêt à y déroger, sous peine de se retrouver exclu de sa délégation.
Le même principe s'applique dans les ligues de football. Kylian Mbappé a beau être un athlète Nike, avec son transfert au Real Madrid, c'est un t-shirt Adidas que portera l'ancien attaquant du PSG durant ses matchs.
Devoir bomber fièrement le torse avec le logo d'une marque concurrente n'est pas sans créer quelques interférences. «Mbappé ne fera probablement pas de zèle pour la promotion du nouveau maillot du Real, contrairement à un joueur sous contrat personnel avec Adidas», concède Michel Desbordes.
S'ils n'ont guère de choix sur le haut, les contrats des sportifs leur accordent plus de liberté d'action dans celui des agréments. Les athlètes peuvent choisir leurs propres chaussures, bijoux et accessoires. La nouvelle coqueluche de la natation, le Français Léon Marchand, s'est affiché fièrement avec sa montre Omega. D'autres nageurs ont pris le chemin des bassins avec le casque de musique de leur sponsor bien en évidence.
Toutes les brands l'ont compris: il n'existe pas de meilleure vitrine que les Jeux Olympiques, qui offrent une visibilité et des retombées potentiellement gigantesques. Chaque pays se trouve ainsi sponsorisé par plusieurs marques différentes. Pour ne citer que l'exemple suisse, les vêtements de compétition et d'entraînement sont ciglés Puma, quand les tenues de cérémonie et des podium, portées au village olympique, sont de la marque zurichoise On.
Ça, c'est pour les équipes. Mais à titre individuel, les athlètes sont aussi gâtés. Rien que pour ces jeux, LVMH, dans le cadre de son parrainage, a signé cinq athlètes olympiques comme ambassadeurs, dont Léon Marchand et le rugbyman Antoine Dupont. Dior est allé encore plus loin, avec 18 athlètes.
Nouveaux chouchous incontestés des marques de luxe et de la mode, les athlètes se muent en influenceurs 2.0. Une stratégie d'autant plus efficace que les restrictions marketing ont été assouplies par le CIO depuis les Jeux de Toyko. Les participants disposent désormais d'une plus grande marge de manoeuvre pour partager du contenu, autrefois restreint, sur les réseaux sociaux.
C'est ainsi que vous avez pu découvrir les coulisses du village olympique et les «unboxings» de nombreux sportifs sur TikTok et confrères. La canoéiste américaine Evy Leibfart s'est notamment fait un plaisir de déballer ses fringues toutes neuves devant la caméra. Dans le lot? Un sac de sport Nike rempli comme une hotte de Noël d'un vaste assortiment de pantalons de survêtement, baskets, sacs à dos.
@evykayak one of the most exciting parts of the gamesss!!! #gearhaul #teamusa #paris2024 #olympicgames ♬ original sound - evy leibfarth :)
Sans oublier une seconde valise de Ralph Lauren, autre équipementier officiel de l'équipe américaine, contenant bouteilles d'eau, polos, robes preppy, pulls zippés, sweat-shirts, vestes et chapeaux. Auquel s'ajoute un sac de sport de Skims (la marque de Kim Kardashian), bourré de débardeurs moulants, bodies, t-shirts, maillots de bain - et même peignoir.
La championne de tennis Naomi Osaka s'est joint à la tendance, en dévoilant les quantités industrielles de chaussettes et de chemises Asics «Team Japan» dans sa valise.
Sous la vidéo, un commentateur avisé a toutefois relevé l'éternel conflit d'intérêt: athlète Nike, Naomi risque de ne pas pouvoir pas profiter très longtemps de ses nouvelles tenues après les Jeux. Heureusement, le petit malin a eu une idée.
De mon côté, me voilà rassurée. Si même les athlètes sponsorisés mélangent les logos n'importe comment, je ne vois pas pourquoi nous, simples mortels, ne pourrions pas en faire de même.