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Tour de France 2022: j'ai fait l'étape de Lausanne

A l'entrée de Préverenges (VD), on poursuit notre Tour de France 2022 en direction de Lausanne.
A l'entrée de Préverenges (VD), on poursuit notre Tour de France 2022 en direction de Lausanne.Image: Jérôme Caloz Photographie

On a fait l'étape du Tour en Suisse et on a rencontré des gens incroyables

On a roulé entre Les Rousses et Lausanne: 75 bornes à la rencontre du mythe cycliste et d'une amoureuse de Koblet, d'une esthéticienne, d'un couple de camping-caristes et d'une employée de voirie désabusée. Epique.
08.07.2022, 11:5910.07.2022, 10:00
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On dit souvent que certains coureurs «cochent» telle ou telle étape du Tour de France. Cela signifie qu'ils espèrent y briller, que ce jour-là leur tient à cœur, pour des raisons sportives ou sentimentales. Nous, on avait coché la huitième étape, celle de samedi entre Dole et Lausanne. Parce qu'elle arrive à la maison et parce que les organisateurs du Tour de France la présentent comme «accidentée» ce qui, avouons-le, est plutôt en adéquation avec notre physique. On a donc décidé de se lancer, d'enfourcher le vélo Trek Domane du frangin et d'avaler les 75 bornes de la partie suisse, entre la sortie des Rousses et la Pontaise.

La frontière est en violet. Le tracé longe le lac de Joux, passe le col du Mollendruz, descend sur Cossonay (VD) puis sur Préverenges et se termine à Lausanne.
La frontière est en violet. Le tracé longe le lac de Joux, passe le col du Mollendruz, descend sur Cossonay (VD) puis sur Préverenges et se termine à Lausanne.

Sitôt la frontière franchie et après une longue descente balayée par un vent latéral, comme l'indique le drapeau suisse qui flotte sur la ferme d'Hugo Dubat en bord de route, on aperçoit une vieille dame assise sur le banc de son jardin, comme perdue dans ses pensées. C'est Laurence. Elle a 86 ans et elle ne le dit pas tout de suite, mais elle adore le vélo. Elle était même un peu amoureuse d'Hugo Koblet. «On était jeunes, on trouvait qu'il était beau. Et puis, il avait cette façon si particulière de se peigner», souffle-t-elle en feignant de se recoiffer.

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Elle assistera au passage du peloton samedi malgré un handicap que l'on ne devine pas en observant ses deux jolis yeux plissés. «Je ne vois plus très bien. La DMLA, vous connaissez? C'est une dégénérescence maculaire liée à l'âge.» Elle dit qu'elle ne peut plus lire autant qu'avant. «C'est la vie», ajoute-t-elle avec un sourire en ajustant son chapeau, un bob blanc qu'elle promet de remplacer par un autre de la marque Cochonou, si la caravane du Tour lui en fait cadeau.

On le lui souhaite, puis on reprend la route en direction du Sentier. Une route large et avec très peu d'abris, ce n'est pas là qu'on attaquerait, trop de risques, d'efforts pour rien.

Au passage du Sentier, sur la droite, une enseigne nous interpelle.

Cette enseigne ⬇️

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Comme les coureurs cyclistes détestent les poils et qu'on est sur le point de devenir un cador du peloton, on se dit qu'il y a peut-être ici de quoi accélérer le processus de transformation. C'est Marie-Thérèse qui nous accueille, et elle est doublement désolée. «J'ai un accent terrible (réd: elle exagère) et je n'ai pas de place pour vous ces prochains jours (réd: ça, c'est sans doute vrai).»

Comme elle est d'humeur taquine, elle ajoute: «Je veux bien m'occuper de cyclistes, mais la technique d'épilation définitive, je vous préviens, c'est poil par poil. Je ne sais pas si les hommes supportent: ils sont un peu douillets!» Avant qu'on ait eu le temps de lui dire que Primoz Roglic s'est remis lui-même son épaule déboîtée à l'endroit l'autre jour, elle précise que ses soins coûtent 80 francs de l'heure et que pour une demi-jambe, donc jusqu'au genou, c'est environ douze heures. «Enfin, ça dépend de la taille du mollet...» On lui présente les nôtres. «Ah, mais vous avez de bons mollets de cyclistes!» Sûrement à force de mettre le scooter sur la béquille.

On repart le moral (et les mollets aussi) gonflé(s) à bloc, passant sous les petits drapeaux suspendus dans chaque village, signes rares d'un engouement timide. Avec un peu d'imagination, on peut toutefois se rêver en coureur échappé sur la huitième étape, en indécrottable baroudeur accentuant son avantage sur le peloton kilomètre après kilomètre. On sait le privilège de pouvoir emprunter le même terrain de jeu que les professionnels. Ce cadeau n'est fait dans presque aucun autre sport: imaginez que vous puissiez fouler le Centre Court de Wimbledon, la pelouse d'Old Trafford ou le parquet des Los Angeles Lakers!

La magie opère

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Ce décor de carte postale s'efface sous les coups de pédale au pied du Mollendruz. Fort heureusement, l'ascension est moins exigeante que sur l'autre versant. Sur le grand parking du sommet, on aperçoit un camping-car «Chausson Welcome 78 130 Multijet» immatriculé dans la Somme et, juste devant, sur une table de pique-nique en alu, Marc et Denise.

Avec ses oreilles légèrement écartées sur le dessus et son crâne luisant, Marc ressemble un peu à un de ses coureurs préférés: Marco Pantani. La comparaison le fait sourire.
Avec ses oreilles légèrement écartées sur le dessus et son crâne luisant, Marc ressemble un peu à un de ses coureurs préférés: Marco Pantani. La comparaison le fait sourire.

Il est 13 heures et ils viennent tout juste de terminer leur tournedos sur son lit de ratatouille niçoise. On leur demande s'ils n'ont pas peur de s'ennuyer ces deux prochains jours, en attendant l'arrivée des coureurs, mais ils assurent que non, qu'ils ont prévu de faire des balades dans la région. Ce sera rando-tournedos-dodo.

Et vélo, aussi. Marc adore. On pourrait dire qu'il en connaît un rayon. Quand il était plus jeune et qu'il se rendait sur les étapes du Tour de France, cet ancien employé de la Ville de Paris garait systématiquement sa voiture dans la descente des cols, de sorte qu'elle soit prête à repartir.

«Comme je branchais ma petite télé sur le douze volts de la voiture pour suivre l'étape, je n'avais jamais de batterie pour redémarrer!»
Marc, amoureux du vélo

Ce samedi, il prédit une étape difficile pour les sprinters qui, pense-t-il, seront lâchés bien avant le passage du col vaudois. La sélection naturelle devrait déjà s'opérer lors de la montée des Rousses (6,7 km à 5%) juste avant la frontière. Ensuite, ce sera une lutte entre candidats à la victoire finale. Elle se poursuivra dans la descente hyper technique du Mollendruz.

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Le parcours est un peu plus accidenté entre La Chaux et Bremblens (VD). C'est pile entre ces deux villages que l'on croise Christelle. Cette employée de voirie est occupée à nettoyer le bord de la route dans une combinaison orange.

Que trouve-t-elle? «Des paquets de cigarettes, des canettes de bière. Du cheni, quoi!» La jeune femme a été réquisitionnée pour le Tour de France. Elle ajoute avec une ironie non feinte: «Pour montrer la belle image de la Suisse».

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«On nous a demandé de bien nettoyer jusqu'à samedi. Nous sommes plusieurs sur ce secteur. Plus loin, c'est une autre équipe. Et plus loin encore, une autre. Et c'est comme ça jusqu'à Lausanne.» Sa mine est fatiguée, son ton las. On sent qu'elle en a marre. «En plus, je n'aime pas le vélo!»

C'est à son tour de se montrer curieuse. Elle nous demande d'où l'on vient. On lui explique la démarche, les 75 bornes entre les Rousses et Lausanne, les coups de pédales dans le vent, la montée du Mollendruz, le reportage pour watson. Elle dit qu'on est courageux, et ça fait bizarre d'entendre ce genre de remarque venant d'une jeune femme qui passe ses journées sur des routes de campagne et sous une chaleur écrasante, frôlée par des voitures à 80 km/h.

Les collègues de Christelle sont un peu plus loin, occupés à tailler tip-top une haie. On aperçoit aussi des employés municipaux hissant précautionneusement un drapeau vaudois sur un bas-côté. «La belle image de la Suisse» se dessine sous nos yeux. A intervalles réguliers, des odeurs de peinture fraîche se mêlent à celles de pelouses tondues avec soin. Il n'y a plus la moindre trace de gravier sur l'asphalte ni de terre séchée. La route n'est plus qu'un long tapis rouge déroulé aux coureurs de la plus prestigieuse course cycliste du monde.

On adore

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Image: Jérôme Caloz Photographie

C'est dans ces conditions de confort inédites pour un cyclotouriste que nous pénétrons dans Lausanne. Il s'agit alors de veiller aux voitures et aux feux de signalisation avant de débuter l'ascension jusqu'à la Pontaise.

Les montées sont sèches, nerveuses. Il faut sans cesse relancer. L'erreur serait de partir trop vite au château d'Ouchy alors que le tracé s'étire parfois de manière abrupte, surtout après Beaulieu, où un passant nous interpelle: «Eh, c'est samedi le Tour de France!» L'occasion est trop belle de souffler un peu, alors on s'arrête, on échange quelques mots et lui aussi, comme Christelle, est impressionné par la distance que nous venons de parcourir.

On passe ensuite devant la Pontaise et on franchit enfin ce qui sera la ligne d'arrivée samedi.

Il faut un peu d'imagination

C'est ici que les coureurs en termineront.
C'est ici que les coureurs en termineront.

Il n'y a certes pas de public pour nous accueillir ni de bouquet pour nous féliciter, et le seul signe qui nous est adressé à ce moment-là est un coup de klaxon d'une automobiliste que l'on ralentit lorsqu'on prend la photo ci-dessus, mais rien ne vient gâcher notre plaisir. Car si le vélo est une épopée, si l'essence même de ce sport consiste à partir d'un endroit un peu loin puis traverser des vallées, souffrir dans des montées, serpenter à travers des champs de blé et longer des lacs et des rivières, alors on aura été l'espace d'une journée un vrai coureur cycliste, peut-être même «un pédaleur de charme» (le surnom attribué à Koblet). On comprend mieux, du coup, le coup de klaxon à l'arrivée.

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