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«Je devrais être mort»: Xavier De Le Rue, skieur de l'extrême

Xavier De Le Rue of France, in action during the Men's freeride snowboard, at the Xtreme freeride contest in Verbier, Mont Gele Mountain 3023m, Switzerland, Saturday, 15 March 2008. (KEYSTONE/Jea ...
Qu'est-ce qui peut bien faire peur à Xavier De Le Rue quand il dévale ce genre de sommets?Image: KEYSTONE

«Je devrais être mort»: Xavier De Le Rue, skieur de l'extrême

L'un des meilleurs snowboardeurs du monde, papa de trois enfants, avale des pentes et des saucissons sur des sommets de 5000 mètres. Nous avons voulu savoir s'il lui arrive d'avoir la trouille, au moins un peu, avant de se jeter dans le vide. Rencontre à Mürren, à l'occasion de la dernière édition de Swatch Nines.
24.04.2023, 12:0205.05.2023, 13:05
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A première vue, le Français Xavier De Le Rue n'a peur de rien. C'est le genre de mecs qui peut vous apprendre à survivre dans votre propre igloo, survoler des crevasses mortelles et danser au sommet des montagnes sur YouTube. Et, surtout, à faire ce genre de trucs.👇

Vidéo: watson

A l'occasion de l'évènement Swatch Nines, qui rassemble la crème de la crème des freestylers sur les sommets du Schiltorn (BE), nous avons demandé au skieur et snowboardeur de 43 ans, triplement champion du monde, comment il gère la peur et les risques.

Xavier, vous qui dévalez des pentes à 180 degrés…
XAVIER DE LE RUE: 180 degrés, c’est plat. 90 degrés, non?

Très juste. 90 degrés. Bref, vous qui dévalez des pentes à 90 degrés, de quoi avez-vous peur?
La peur fait complètement partie du système. Tu ne te lèves pas le matin en regardant la pente et en te disant «OK, j’y vais!» sans réfléchir. Il y a toute une étude des conditions, un procédé qui fait que ta peur est étalée. Etre certain que la neige va tenir, qu’il ne va pas y avoir une petite plaque ou une corniche qui va casser… Lorsque tu te trouves en haut, le gros du travail est fait. Tu as validé le fait que tu peux y aller et rider. C’est de la bonne peur. Tu es concentré.

«En général, le moment où j’ai le plus peur n’est pas quand je dévale la pente»

Comment on sait que les conditions sont bonnes? C’est un sixième sens?
L’expérience préalable. Avec le temps, on développe une sorte de «process». Chaque skieur ou snowboarder aborde les choses à sa manière, avec ses propres règles, certains trucs qui lui parlent, lui plaisent ou l'effraient. En fonction de ça, on va au bout, ou on renonce. On sent tout de suite si ce que l'on ressent, c'est de la bonne peur, ou si cette peur est malsaine. Si on doit craindre pour sa vie ou si on est dans les clous, et qu'on a bien fait le job. Du moment que les conditions sont remplies, on sait exactement ce qu'on doit faire. On est conscient de ne pas avoir droit à l’erreur, mais ça passe.

Au-delà de ça, vous avez des peurs débiles? Genre, les araignées?
(Rires) Euuuuh… Je suis sûr que j’en ai tout plein. Les avalanches, c’est le pire pour moi. Je suis terrorisé. Beaucoup plus que la plupart des riders, même si on pourrait penser le contraire.

«J’ai été pris dans une énorme avalanche il y a quinze ans. Je n’aurais jamais dû survivre»

Depuis, j’ai une sorte de phobie qui m’aide et me préserve. Je prends plus de marche. Mais non, je n’ai pas peur des araignées!

Images et récit de l'avalanche: «Ce que j'ai appris»👇

Vous n’avez pas le vertige, en tout cas.
Non, heureusement!

Vous êtes papa d’une fille de 17 ans, c’est juste?
Oui. Une fille de 17, une fille de 4 et une petite âgée de 1 an et demi.

Le fait d’avoir des enfants a-t-il changé votre manière d’aborder votre pratique?
Oui, un peu. Cela me structure davantage. Le risque, tu le prends, mais tu l’analyses. On pense que l’on va «moins» faire, mais au final, on fait quand même de super trucs. On les accomplit juste de manière plus réfléchie que lorsqu’on se lance la fleur au fusil. Donc, merci les filles. Mais il est clair que quand on se trouve dans une situation tendue, d’avoir trois enfants, dont deux bébés, c’est le premier truc auquel je pense. Je ne veux pas qu’il m’arrive un truc. Même si je joue pas mal et que les gens pensent que ce que je fais est complètement dingue, dans ma tête, il n’y a pas moyen qu’il m’arrive quelque chose.

Ça fait envie. Herm.
Ça fait envie. Herm.imaGe: facebook

A quand remonte votre dernière sueur froide?
La semaine dernière (rires). J’ai senti une légère perte de contrôle sur un truc, mais c’est allé. J’avais oublié mes chaussons. J’étais au fin fond d’une île de Norvège. Du coup, je me suis fabriqué un chausson avec ma peau de phoque, un caleçon et une doudoune. J’étais dans un couloir hyper gelé et, à un moment donné, ça a un peu décroché. J’ai eu un peu peur. En fait, il y a plein de sueurs froides, à des degrés différents. Je m’en fais régulièrement.

C’est un peu le but du jeu, non?
Aussi, un peu. Il y a une certaine satisfaction à réaliser des choses qui paraissent difficiles, voire impossibles, mais qui, avec l’expérience et quelques méthodes, s'avèrent faisables. La recherche de ce moment où tu pourrais perdre le contrôle, mais tu le gardes tout du long.

Il y a encore des trucs fous que vous n'avez pas faits?
Plus jeune, j'étais constamment à la recherche de la performance pure. Je pense que j’ai un peu décroché de cette obsession de faire les sauts les plus hauts, les pentes les plus raides… Maintenant, je suis plus à la quête de faire des expériences, des émotions, des destinations. J’adore expérimenter. Par exemple, quand j’étais en Norvège, j’ai utilisé des cailles pour monter les pentes.

Pardon, mais vous m’avez perdue. C’est quoi, des cailles?

Non, rien à voir avec l'animal.
Non, rien à voir avec l'animal.Image: Stone RF

Les cailles, c'est un petit nom pour les peaux de phoque. J’ai aussi utilisé des parapentes pour accéder ou sortir des lignes… J’essaie de combiner de nouveaux éléments à chaque fois, pour changer la «routine». C’est une logique différente des jeunes athlètes, où tu dois prouver que tu es le meilleur. Désormais, mon but est de partager des émotions.

Il se passe quoi dans votre cerveau quand vous descendez? Est-ce que vous pensez seulement?
Le travail de réflexion se fait en amont. On étudie beaucoup, on visualise. Quand c’est hyper raide, tu montes avec tes piolets, tu sens la neige, tout se met en place dans ta tête. Du coup, quand tu rides, tout est automatique. Si tu as bien fait ton job, bien anticipé tout ce qui pouvait se passer, les changements de neige, ça devient automatique. Je décris ça comme un état «animal». Ta manière consciente de penser finit à la poubelle. Tout se fait tout seul. Il n’y a que l’intention. J’adore cette sensation.

Expliquez-moi, qui suis une complète néophyte: vous montez, tracez votre route mentalement, avant de redescendre?
Ça dépend. Des fois, on monte en hélico, à pied, en peau de phoque. D'autres fois, on fait le tour du sommet. Si c’est vraiment une descente technique, on monte en plein dedans. Comme ça, on sait exactement à quoi s'attendre. Il faut mémoriser, trouver les pièges. J’essaie toujours d’imaginer le pire scénario: «Si cette corniche me tombe dessus, que va-t-il se passer?» ou «Là, si la neige est dure, que puis-je faire?» A travers cela, j’essaie de prendre les décisions.

En principe, combien de temps dure une descente?
Pfiou! La montée peut durer 30 minutes pour 30 secondes de descente, comme dix heures de montée et quatre heures de descente. Ça varie énormément.

Vous prenez quelque chose à manger avec vous?
Là encore, ça dépend. En général, plutôt pas. Seulement de l’eau. Mais si on monte longtemps, c’est sûr qu’il faut quelque chose à grignoter.

Et c’est quoi?
(Rires.) J’aime bien avoir un petit saucisson, en haut de la pente.

Il y a donc un moment où vous vous asseyez au sommet, en mode «Je suis le roi du monde»?
Oui, oui, évidemment, tu profites! Surtout si tu as la tête qui va dans tous les sens. Tu essaies de souffler, de revenir à un côté pratique, de visualiser, avant de te dire: «Ok, c’est bon, je peux y aller» et hop, c'est parti!

Vous êtes tenté, parfois, de vous enfiler un petit shot avant de descendre?
Haha! L’alcool, c’est compliqué. Cela pourrait se faire dans des conditions ultra safe, mais… non.

«Ce serait plutôt une toute petite peuf de weed»

Pas suffisamment pour vraiment la sentir, mais juste avoir le petit coup qui permet d'écarter les pensées parasites. J’ai toujours évité. Il faut bien être là, quand tu fais tout ça.

Des fois vous hésitez à ne pas y aller? Ne pas vous lancer dans le vide?
Hyper souvent. Je ne saurais dire si c’est 30% ou 50% du temps. Cela dépend des destinations. Si tu as marché, mis beaucoup d’énergie, que tout est parfait... C’est hyper difficile. Une pente où il n’y a pas de trace, c'est trop beau, tu as juste envie d’y aller. Il faut être capable d'accepter de faire demi-tour.

Vous avez rebroussé chemin récemment?
Oui, oui, c’est très courant. Chaque hiver, il y a des périodes très stables où tout va bien se passer, d’autres plus instables où tu ne vas faire que renoncer. C'est le jeu!

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