D'habitude, c'est après une défaite de l'équipe de Suisse que David Lemos a un petit pincement au coeur. Cette fois, c'est un peu différent: le commentateur de la Nati a perdu son consultant Steve von Bergen, devenu coach-assistant du nouvel entraîneur des Young Boys, et il le regrette déjà. «Steve est une personne exceptionnelle. On avait su créer une belle complicité ensemble. C'est difficile de se dire qu'il va falloir trouver un remplaçant, et espérer une même alchimie, pour la Coupe du monde au Qatar.»
Le temps presse. Le Mondial commence dans neuf mois. Or un duo de commentateurs (journaliste + consultant) ne se construit pas aussi facilement qu'un mur sur coup-franc. «L'habitude vient avec le temps. J'avais mis une bonne année avant d'être à l'aise au micro avec Philippe von Burg», rembobine Alexandre Comisetti, 11 ans de binôme sur la chaîne publique.
La RTS s'est déjà mise en quête du successeur de Steve von Bergen. «L'idéal serait que mon nouveau coéquipier soit avec moi dès le mois de juin, pour les quatre matches de la Ligue des Nations, reprend David Lemos. On aurait alors du temps pour créer des automatismes en vue de la Coupe du monde.»
A quoi doit ressembler le candidat idéal? «Il doit être crédible et avoir une maîtrise formelle de l'outil télé», synthétise Massimo Lorenzi, rédacteur en chef des sports de la RTS. «La personne parfaite aurait également un vécu en équipe de Suisse, ce qui la rendrait de facto indiscutable puisque le public l'associerait à la Nati», ajoute David Lemos. Un avis partagé par Alex Comisetti: «Un passé en sélection est précieux, car il te permet en certaines circonstances de pouvoir évoquer l'enjeu des compétitions, le poids du maillot ou de l'hymne. Etre international, ce n'est pas pareil qu'être joueur de club.»
Tous les trois sont toutefois conscients que «le réservoir des ex-internationaux romands disponibles pour le poste, et prêts à réserver du temps et l'engagement nécessaire, n'est pas gigantesque» (David Lemos). Et qu'un bon footballeur ne fait pas toujours un bon consultant.
Le futur consultant de la RTS doit-il forcément être Romand? Pourrait-on imaginer un Alémanique parfaitement bilingue et au verbe haut, type Alexander Frei?
Nos trois interlocuteurs ne sont pas contre. «L'avantage du Romand se situe uniquement sur le plan de la sensibilité identitaire, estime le rédacteur en chef des sports. Le Romand connaît les Romands, qui lisent et ressentent le football avec leur spécificité. Mais si un ancien footballeur alémanique s'exprime parfaitement et de manière fluide en français, nous l'accueillerions avec plaisir. Quand l'équipe nationale joue, on est Suisse avant d'être Romand.»
Steve von Bergen était défenseur, Alexandre Comisetti attaquant. Le poste de consultant pourrait-il s'ouvrir à un ancien gardien?
Steve von Bergen avait un avantage rare: il connaissait la plupart des joueurs de l'équipe nationale pour les avoir côtoyés sur le terrain. «Si notre consultant a arrêté sa carrière il y a peu, ce serait incontestablement un plus, souligne Massimo Lorenzi. Il doit être capable de suivre la tendance, pouvoir parler au coach, aux joueurs. C'est un énorme avantage.»
David Lemos espère aussi «quelqu'un qui, en âge, serait suffisamment proche de la génération actuelle, qui comprendrait le foot de ces dernières années.» Alexandre Comisetti se disqualifie tout seul en riant: «Je représentais une certaine génération, celle des années 2000. Maintenant, je suis has been!»
La porte est toutefois ouverte à une catégorie d'experts que l'âge bonifie: les entraîneurs. «Si Alain Geiger quitte Servette par exemple, il peut tout à fait être crédible comme consultant, estime Massimo Lorenzi. Car même s'il a arrêté sa carrière de joueur il y a longtemps, il est resté dans le milieu du football.»
La fonction de consultant exige des disponibilités souvent incompatibles avec un travail à temps plein: il faut pouvoir se libérer en semaine pour accompagner l'équipe de Suisse à domicile ou à l'étranger, et prendre plusieurs semaines de vacances lors de chaque grande compétition.
Dans ce contexte, un tournus serait-il envisageable? La RTS aurait deux ou trois consultants qui interviendraient chacun leur tour, selon les matches et leurs disponibilités.
Un mode opératoire qui ne convainc aucun de nos trois intervenants. «Le binôme est important, trouve David Lemos. Le public a besoin de retrouver un duo auquel il est habitué et, dans le meilleur des cas, qu'il apprécie. Tous les exemples, que ce soit en Suisse ou à l'étranger, montrent que c'est une formule qui marche.»
La cohabitation permet aussi de «travailler les automatismes», selon la formule consacrée. «Par le passé, on a toujours eu des tandems qui ont plutôt bien fonctionné car les deux se comprenaient, se connaissaient, insiste Massimo Lorenzi. C'est un exercice qui n'est pas simple: il ne faut pas parler au mauvais moment, se glisser dans la narration du commentateur.» «Un consultant qui fait du commentaire, ce n'est pas bon; tout comme un journaliste qui essaie d'être dans l'empathie avec les joueurs ou de se concentrer sur le plan technique, relève Alexandre Comisetti. Il faut réussir à trouver un juste milieu. Or il ne s'acquiert qu'avec l'expérience à deux.»
La RTS sait très bien ce qu'elle veut, quelles personnalités pourraient répondre à ses exigences, et à ce que Massimo Lorenzi appelle «le feeling». «Il faut le sentir en amont. Pouvoir se dire: avec lui, ça peut le faire.» Mais avec qui?
Tous ceux que nous avons imaginés ont déjà une expérience télévisuelle, mais ils ne sont pas tous disponibles: Ludovic Magnin et Alexander Frei sont encore entraîneurs, le premier à Altach (Autriche), le second à Winterthur. Johan Djourou brille déjà comme consultant sur RMC Sport, et Gelson Fernandes occupe le poste de vice-président du FC Sion.
C'est différent pour Johann Vogel et Stéphane Henchoz, toujours dans le milieu du football, mais dont les mandats actuels ne seraient pas incompatibles avec un rôle de consultant. Ou pour Stéphane Grichting et Léonard Thurre, qui ont changé de voie, mais demeurent des personnalités hautement qualifiées.