Belinda Bencic a quelque chose de spécial. Quelque chose que l'on n'enseigne pas sur les courts ou dans les manuels de dépassement de soi, avec des mantras de grenadiers de montagne: elle aime la compétition. Profondément. Viscéralement.
Et il fallait aimer la compétition, cette semaine, pour batailler au rythme de deux matches par jour, emmener Viktorija Golubic en finale du double (ce matin à 8 h en Suisse) et devenir championne olympique en solo, comme une vraie grande, au terme d'un duel harassant face à Marketa Vondrousova (7-5 2-6 6-3).
On peut partir du postulat que les champions aiment la compétition (encore que...) mais Belinda Bencic y a développé une conception très personnelle du bonheur, en une succession de petites quêtes essentielles, bien au-delà des victoires éventuelles.
Ainsi expliquait-elle aux médias internationaux, à l'US Open 2019, qu'elle aspirait aux clameurs, à une certaine effervescence, et qu'elle ne deviendrait jamais une chanteuse de salle de bains:
«C’est vrai, j’ai besoin de ce feu; surtout s’il vient du public et peu importe si c’est contre moi. Même quand je regarde du sport à la télévision, et que la foule hurle ou chante, j’en ai la chair de poule. Je n’aime pas les atmosphères molles ou neutres; c’est pourquoi j’adore jouer sur les grands courts. J’attends la même chose de mon staff: si je le vois vautré sur sa chaise, ça ne me plaît pas.»
Cette envie de monter sur scène est assortie d’une aversion profonde pour les répétitions. Il fut un temps où, pour éviter l'entraînement, Belinda Bencic s'inscrivait à un tournoi chaque semaine, et ce fut sans doute la cause de quelque fatigue ou blessure à répétition.
Elle aime gagner, dit-elle volontiers, et elle n'a jamais caché son ambition de devenir numéro une mondiale. Mais cette ambition se distingue du «successful» anglo-saxon par une démarche qui, si elle prétend à la validation statistique, ne se départit jamais de l'idéal stylistique.
A des qualités innées de touché et de jugeote, Belinda Bencic a ajouté, sous la tutelle de Mélanie Molitor, une volonté impérieuse de dicter le jeu (prise de balle précoce, appuis ouverts, changements de rythmes et de trajectoires) dont elle semble tirer autant de bénéfices que de malins plaisirs.
Ce n'est pas une posture galante, pour la beauté du geste, et encore moins une coquetterie d’esthète. Il s'agit au final de gagner. Mais c'en est presque un acte de résistance dans un tennis féminin où, depuis bientôt quinze ans, des combattantes surentraînées mènent une guerre d'usure, embusquées derrière leur ligne de f(r)ont.
La main de Bencic distribue le jeu comme d’autres les coups. Il y a là l'idée d'une activité sensorielle plus que d'une force de frappe; mais ça n'en reste pas moins une tentative d'intimidation.
Elle se revendique consciencieuse, parfois pinailleuse et, en cela, profondément suissesse. «Dans notre pays, les gens respectent les règles, expliquait-elle aux journalistes étrangers. Ce n’est pas un cliché. Ailleurs, il n’y a pas de problème si quelque chose ne fonctionne pas bien. Moi, j'aime que tout fonctionne. En ce sens, je suis très suissesse. On se moque de mon respect des règles mais j’aime ça.»
Le sport lui permet de canaliser ses énergies, de leur donner un sens. Ce n'est pas un hasard si, à Tokyo, malgré un emploi du temps chargé (deux matches par jour), Belinda Bencic ne montre aucun signe de lassitude ou de fatigue. Tout est maîtrisé. Assumé.
Ses parents ont décidé qu’elle baignerait dans la compétition alors qu’elles barbotait encore dans le placenta, et lui ont appris le service à la cuillère dès sa première compote de pomme. A 7 ans, elle avait déjà une société de management à son nom et un mécène.
Belinda Bencic est le fruit d'un désir cupide mais elle a su se ré-approprier sa carrière, s'émanciper de son destin de championne-éprouvette, sans craindre les colères d'un père qu'elle continue de chérir, ni les jugements d'un pays qu'elle ne manque jamais de servir.
«BB» cultive sa différence jusque sur le court où, au mépris de la doxa utilitaire et des préceptes psychorigides, elle évolue dans un état d'excitation permanente, sans rien cacher de ses sentiments, quitte à assumer une perte d’énergie, de temps, et de contrôle – mais quand on aime autant la compétition, on ne compte pas ses pertes.