Sport
Hockey sur glace

Un joueur est-il meilleur quand il pense être détesté de tous?

Un joueur est-il meilleur quand il pense être détesté de tous?
Cette citation est inscrite à la Vaudoise aréna, dans les locaux du LHC. Image: AP PA

Un joueur est-il meilleur quand il pense que tout le monde le déteste?

«Les gens vont te haïr, te juger, te casser», dit une citation dans les locaux du LHC. Comme beaucoup d'autres, le club vaudois utilise un vieux ressort de la psychologie sportive: le sentiment de persécution. Un outil aussi efficace que dangereux.
19.10.2022, 18:5819.10.2022, 18:58

C'est une citation dont plusieurs athlètes revendiquent la paternité et que les anciens attribuent à LeBron James. Elle promet déshonneur et fracas aux joueurs du Lausanne Hockey Club: «Les gens vont te haïr, te juger, te secouer, te casser. Mais c'est ce qui te rendra fort et unique.» Chouette programme...

Idéalement, le LHC aurait préféré que cette inscription reste secrète. Un photographe de 24 Heures l'a capturée sur un mur de la Vaudoise aréna, «dans un secteur très privé de l'équipe», relève Petr Svoboda, directeur des opérations hockey.

La citation peut paraître étrange pour un club aussi trendy, éminemment populaire, voire follement aimé, certes soumis au dépit amoureux de ses fans dans des (dis)proportions équivalentes, mais que les Vaudois se contentent généralement de bouder ou de gronder (tout gentiment, comme ils disent).

Les supporters lausannois accueillent les joueurs du LHC, en rouge, avec une banderole "Abattus ou blesses, jamais vous n'abdiquerez, reagissez avec honneur et fierte" lors du match du  ...
Les supporters font des phrases plus longues.Image: KEYSTONE

Petr Svoboda insiste sur le but de la démarche: son équipe ne se sent absolument pas détestée. «C'est notre volonté au LHC de donner des messages de motivation et de force. Cette citation-là n'est pas liée au public mais à l'adversité que chacun peut rencontrer dans la vie, à tous les niveaux. Nos joueurs peuvent, doivent l'interpréter en fonction de leur "actualité".»

Petr Svoboda précise que cette maxime est «à usage strictement interne: nous sommes les seuls à la voir car elle est inscrite dans des lieux "sacrés" du LHC, inaccessibles au public et aux adversaires». Sauf quand un petit oiseau passe par là.

Dépecer un animal
pour en avoir moins peur

De nationalité tchèque, Petr Svoboda n'est pas moins imprégné de la culture américaine, en particulier sa littérature de vestiaire: presque tous les stades US sont tapissés de citations célèbres qui, avec une écriture soignée, exhortent au sacrifice et à la cruauté. Dans ces sous-sols acres où les humeurs macèrent, une âme en peine ne manque jamais de lecture.

«Ces maximes sont très répandues en NHL, confirme Romain Ducret, coach mental de nombreux hockeyeurs. En Suisse, nous avons surtout des rituels. Gottéron, par exemple, a dépecé un ours en peluche avant de défier le rival bernois en 2003. Il n'a pas gagné mais je crois savoir que ça l'a aidé.»

C'était l'idée.

La théorie du complot est plus universelle, à la portée de tous les conspirateurs débutants. «Le hockey, d'une certaine façon, est un sport de combat, éclaire Fabian Guignard, ancien capitaine du LHC. Un entraîneur peut avoir la tentation de fédérer son groupe autour d'un ennemi extérieur, fut-il imaginaire, et le galvaniser en mode "seul contre tous". Ce sont des outils faciles à manipuler.»

Sur le fond, Fabian Guignard «aime l'idée. Pour motiver, tous les coachs brandissent la phrase condescendante d'un adversaire ou la critique sévère d'un journaliste. Ces discours portent. A titre personnel, je serais moins attentif à une phrase peinte sur un mur. Je finirais par passer devant sans la regarder».

C'est là toutes les limites des saintes écritures: pour les voir, il faut y croire. «D'expérience, je sais que ces phrases ont un effet à court terme, poursuit Fabien Guignard, qui a également coaché. Il ne faut pas en abuser. Et puis, la cohérence du message est importante. Le LHC prépare son équipe à une vague de détestation massive. Soit. Mais dans le même temps, son slogan officiel est «l'union fait la force». Tandis que ses supporters répètent depuis 30 ans: "Tu ne marcheras jamais seul". A première vue, ce sont des concepts relativement éloignés...»

Historiquement, le sentiment de persécution est un vieux ressort de la psychologie sportive dont les entraîneurs usent à l'envi, pour rebondir ou élever le niveau d'intensité. Aimé Jacquet l'a érigé au rang de stratégie en 1998: dans son château de Clairefontaine, l'équipe de France a entretenu l'apparence d'une noblesse assiégée, comme une contestation populaire qui monterait aux portes du domaine, bardée de gilets jaunes et armée de vuvuzelas, pour faire couler du sang Bleu. Marie-Antoinette est déjà passée par là.

Sous Jacquet, la France fut une troupe d'élite qui se moque des critiques comme de son premier 0-0; un bataillon de millionnaires en cuissettes face à 65 millions de renégats. Le mécanisme est limpide: il consiste à unir des individus plutôt égoïstes autour d’un front commun, dans l'intimité d'une retraite obscure - les sous-sols de la Vaudoise aréna, au hasard.

Le caractère totalement privé que défend Svoboda ajoute à l’isolement, réel ou fantasmé, que recherche la méthode. Dans un deuxième temps, le message vise à être percutant, effrayant. Il est des phrases que personne n'aime croiser seul dans un couloir. «Ces maximes sont parfois extrêmement simplistes», note Romain Ducret.« Il faut des phrases que tout le monde comprenne», avance Fabian Guignard avec un léger deuxième degré.

Berns PostFinance Topscorer Christopher DiDomenico kurz vor Spielbeginn, im Eishockey Meisterschaftsspiel der National League zwischen dem SC Bern und Geneve-Servette HC, am Freitag, 14. Oktober 2022  ...
Avant chaque match, Chris DiDomenico (Berne) se met en condition pour combattre.Image: KEYSTONE

Et d'ajouter: «Des joueurs sont réceptifs aux messages de motivation, d'autres pas. C'est propre à chacun. Des gars comme Chris DiDomenico ont besoin d'une certaine animosité pour donner le meilleur d'eux-même: plus les gens le sifflent, plus ils lui jettent des briquets sur la tronche, plus il devient bon. A l'inverse, d'autres joueurs ont besoin qu'on les dorlote.»

Toute figure de réthorique devrait au moins conserver un caractère amical. «En général, on cherche plutôt à induire une pression positive, conseille Romain Ducret. En tout cas, je n'instaurerais pas un climat de paranoïa pendant toute une saison.»

Comme Fabian Guignard, le coach mental pense que «les messages écrits n'apportent pas grand chose. On obtient de bien meilleurs résultats par la prise de conscience et l'autodétermination, lorsqu'un joueur énonce lui même des objectifs concrets, précis et personnels»; plutôt que récupérer les slogans bons marchés du prêt-à-penser.

Un discours légendaire

Herb Brooks avant la finale des Jeux de Lake Placid, lorsque les Etats-Unis ont vaincu l'invincible URSS dans ce que l'on a appelé «The miracle on ice». Vidéo: YouTube/Tom Kellis

Fabian Guignard approuve: «Les messages négatifs finissent toujours par produire une agressivité négative. Sur une saison de 70 matchs, il faut savoir renouveler le discours et développer de bonnes énergies. Un joueur ne peut pas entendre pendant huit mois que tout le monde le hait.» «Avec le temps, une pensée devient mécanique et l'effet s'amenuise», valide Romain Ducret.

Un ancien hockeyeur suisse de NHL raconte anonymement, un peu honteux, comment il a nourri ses propres délires paranoïaques: «J'ai commencé à me persuader que j'étais nul, que j'étais faible, que j'étais une m... Avant chaque match, j'entrais dans ce "raisonnement" où je devais dépasser mes limites pour survivre dans ce milieu. Au début, c'était inconscient. Puis j'ai réalisé le piège que j'avais moi-même créé... mais je n'ai pas voulu arrêter car ça fonctionnait: j'étais bien meilleur. Le problème, c'est que je me suis grillé. J'ai ingéré tellement de pensées négatives que je me suis détruit mentalement.»

C'est aussi le risque qu'a pris Stan Wawrinka, dont un tatouage fait l'apologie de l'échec: «Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Echoue encore. Mais échoue un peu moins.» Empruntée à Beckett, cette formule incantatoire a rendu Wawrinka unique et fort. Mais la magie n'opère pas toujours, ou pas si vite - le LHC est dixième.

Plus d'articles sur le sport
La Suisse a un excellent souvenir d'un stade du Mondial où elle jouera
La Suisse a un excellent souvenir d'un stade du Mondial où elle jouera
de Ralf Meile
Mohamed Salah pousse un grand coup de gueule
Mohamed Salah pousse un grand coup de gueule
de David Digili
Le jour où McLaren a laissé filer le titre au dernier Grand Prix
Le jour où McLaren a laissé filer le titre au dernier Grand Prix
de Romuald Cachod
Trois absurdités se cachent derrière le «prix de la paix Fifa» de Trump
3
Trois absurdités se cachent derrière le «prix de la paix Fifa» de Trump
de Jan Schultz
Le hockey suisse n'a pas besoin des ultras
Le hockey suisse n'a pas besoin des ultras
de Klaus Zaugg
Tout sauf la première place serait un échec pour la Nati
Tout sauf la première place serait un échec pour la Nati
de Ralf Meile
«Le relais de la flamme olympique est né à Berlin»
«Le relais de la flamme olympique est né à Berlin»
de Julien Caloz
La Nati a eu de la chance au tirage au sort du Mondial 2026
La Nati a eu de la chance au tirage au sort du Mondial 2026
Ce tournoi est la «Swiss League» du hockey européen
Ce tournoi est la «Swiss League» du hockey européen
de Klaus Zaugg
Les gauchers devraient éviter de jouer au tennis à des heures précises
Les gauchers devraient éviter de jouer au tennis à des heures précises
de Yoann Graber
Daniel Albrecht: «Je ne me souvenais pas de mon nom»
Daniel Albrecht: «Je ne me souvenais pas de mon nom»
de Dominik Widmer, Jasmin Steiger
Constantin a une drôle d'idée pour le nouveau stade du FC Sion
Constantin a une drôle d'idée pour le nouveau stade du FC Sion
de Stefan Wyss
Tous les scénarios pour le titre de champion du monde de F1
Tous les scénarios pour le titre de champion du monde de F1
de Romuald Cachod
Cet Yverdonnois a eu un geste roublard pour battre Lausanne
Cet Yverdonnois a eu un geste roublard pour battre Lausanne
de Yoann Graber
Pourquoi les stars du tennis vont presque toutes en vacances aux Maldives
Pourquoi les stars du tennis vont presque toutes en vacances aux Maldives
de Yoann Graber
Le nouveau coach de la Nati est l’anti-Patrick Fischer
Le nouveau coach de la Nati est l’anti-Patrick Fischer
de Klaus Zaugg
La FIFA veut transformer la VAR pour la Coupe du monde
La FIFA veut transformer la VAR pour la Coupe du monde
de Romuald Cachod
Le tirage du Mondial pourrait bien se transformer en «show Trump»
Le tirage du Mondial pourrait bien se transformer en «show Trump»
de Ralf Meile
Le nouveau maillot de la Nati porte une technologie cachée
Le nouveau maillot de la Nati porte une technologie cachée
La patinoire des JO de Milan-Cortina inquiète
La patinoire des JO de Milan-Cortina inquiète
de Romuald Cachod
Le coach du CP Berne est victime d'une malédiction
Le coach du CP Berne est victime d'une malédiction
de Klaus Zaugg
La Nati est mal barrée
La Nati est mal barrée
Djokovic a un nouvel outil pour reconstruire son corps
Djokovic a un nouvel outil pour reconstruire son corps
de Yoann Graber
Ce Suisse de NHL est expulsé pour une raison à peine croyable
Ce Suisse de NHL est expulsé pour une raison à peine croyable
de Yoann Graber
Cette badiste a une méthode insolite pour battre ses rivales
Cette badiste a une méthode insolite pour battre ses rivales
de Yoann Graber
Le nouveau rival de Marco Odermatt a rompu la malédiction
Le nouveau rival de Marco Odermatt a rompu la malédiction
de Romuald Cachod
Le Tour du monde à l’envers devient un duel franco-suisse
Le Tour du monde à l’envers devient un duel franco-suisse
Shaqiri pourrait perdre un privilège
Shaqiri pourrait perdre un privilège
de Yoann Graber
Les hooligans plombent le foot suisse dans ce classement UEFA caché
2
Les hooligans plombent le foot suisse dans ce classement UEFA caché
de Stefan Wyss
Les ZSC Lions ont un dilemme avec leur coach
Les ZSC Lions ont un dilemme avec leur coach
de Klaus Zaugg
Red Bull provoque ses adversaires en F1 avec une blague malicieuse
1
Red Bull provoque ses adversaires en F1 avec une blague malicieuse
de Lisa Slomka
Ce tennisman suisse fait une révélation aussi rare que courageuse
Ce tennisman suisse fait une révélation aussi rare que courageuse
de Yoann Graber
Ce club a réussi ce que Thoune rêve de faire
Ce club a réussi ce que Thoune rêve de faire
de Romuald Cachod
Shaqiri: «Je ne me sens pas assez protégé sur le terrain»
Shaqiri: «Je ne me sens pas assez protégé sur le terrain»
de Christoph Kieslich, Céline Feller
Comment Verstappen a réussi son improbable retour et rêve de titre
1
Comment Verstappen a réussi son improbable retour et rêve de titre
de Jasmin Steiger
Le coach de Gottéron a imposé un changement radical à ses joueurs
1
Le coach de Gottéron a imposé un changement radical à ses joueurs
de Ralf Meile
«Je suis confiant»: Hakan Yakin veut retrouver un banc
«Je suis confiant»: Hakan Yakin veut retrouver un banc
de Daniel Wyrsch
Des manifestations, en Iran et ailleurs
1 / 11
Des manifestations, en Iran et ailleurs
Des Iraniennes tiennent des photos de Mahsa Amini, les mains peintes en rouge, lors d'une manifestation devant le consulat d'Iran suite à la mort de Mahsa Amini, à Istanbul, en Turquie, le 17 octobre 2022.
source: epa / sedat suna
partager sur Facebookpartager sur X
Un grimpeur se fait attaquer par un ours et se défend grâce au karaté
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
Avez-vous quelque chose à nous dire ?
Avez-vous une remarque ou avez-vous découvert une erreur ? Vous pouvez nous transmettre votre message via le formulaire.
0 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
Constantin a une drôle d'idée pour le nouveau stade du FC Sion
Le président du club valaisan – qui défie Aarau ce jeudi à 20h30, en 8e de finale de Coupe de Suisse – se livre dans une grande interview, où il parle notamment d'un projet insolite pour sa nouvelle arène.
Vous dormez comment en ce moment?
Christian Constantin: Peu, mais bien, comme toujours. Pourquoi cette question?
L’article