L’arbitrage vidéo n’a pas sa place en lutte suisse
Les erreurs d’arbitrage font partie du charme de la lutte suisse. L'athlète a-t-il vraiment été plaqué sur le dos ou pas? La note maximale de 10 est-elle appropriée? Ces débats animent la discipline depuis plus d’un siècle.
Un seul lutteur n’a jamais prêté à discussion: le légendaire Hans Stucki. En 1969, lors de la finale de la Fête fédérale (perdue face à Ruedi Hunsperger), il était déjà quintuple lauréat de la grande Fête fédérale et vainqueur de 16 fêtes à couronnes. Sourd-muet, Stucki écrasait ses adversaires sans pitié dans la sciure. Il ne lâchait sa prise que lorsque l’arbitre lui signifiait enfin sa victoire d’une vigoureuse tape dans le dos. Avec lui, aucun triomphe n’était jamais volé.
Chaque combat est jugé par trois arbitres: l’un suit l’action de près, directement dans le cercle de sciure, tandis que les deux autres sont assis à la table situé en bordure de ring. Ensemble, ce trio décide si la chute est valable (dos au sol ou non) et attribue les notes. Leurs décisions sont des jugements de fait.
Pendant plus d’un siècle, les débats autour des décisions arbitrales et de l’attribution des notes se limitaient aux gradins, à la cantine de fête ou au restaurant. Les enregistrements filmés ou vidéo étaient rares, et les premières retransmissions en direct dans les salons n’ont commencé qu’en 1995. Une couverture complète n’est même apparue qu’au XXIᵉ siècle.
Aujourd’hui, la lutte suisse est plus populaire que jamais en Suisse alémanique et s’est imposée comme un sport télévisé. Tous les grands tournois sont retransmis en direct. Les erreurs arbitrales, y compris dans la notation, sont désormais visibles de tous, parfois mises en évidence par les ralentis. Avec la multiplication des caméras autour du cercle de sciure, la discipline a perdu une part de son innocence, et les arbitres se retrouvent exposés aux mêmes critiques et polémiques que les juges du football ou du hockey sur glace.
Il n’est donc pas surprenant que certains réclament désormais un VAR (Video Assistant Referee). Dans la lutte suisse, on parlerait alors d’un VAK – un arbitre-assistant vidéo. Rolf Gasser, directeur de longue date de la fédération, connaît parfaitement le sujet. Et il est catégorique:
Il part du principe que cela ne changera pas.
Les arguments contre l’arbitrage vidéo:
Premier argument: l’égalité des chances doit primer. Cela impliquerait que chaque combat soit filmé. Dans l'arène de Mollis, par exemple, il faudrait au minimum trois caméras supplémentaires par cercle de sciure. Avec ses sept ronds, cela représenterait 21 caméras en plus des 14 déjà installées. Et si toutes les fêtes ne pouvaient pas se dérouler avec assistance vidéo, il faudrait, par souci de transparence, distinguer les palmarès: un signe «+» pour les couronnes et victoires obtenues avec VAK, et une «*» pour celles sans VAK.
Deuxième argument: les critiques ne disparaîtraient pas, elles se déplaceraient simplement du cercle de sciure au bureau du VAK. Très vite, on entendrait des reproches du type: «Le VAK était bernois», ou alors uranais, ou encore saint-gallois. De plus, l’attribution des notes n’est pas une science exacte; elle ne peut pas être tranchée par la vidéo comme la question de savoir si un ballon ou un palet a franchi la ligne de but.
Troisième argument: comme le montrent le football et le hockey sur glace, même l’assistance vidéo ou d’autres technologies ne garantissent jamais une justice absolue.
Quatrième argument: les arbitres de lutte, parfaitement formés par la fédération, sont considérés comme les meilleurs officiels du sport mondial. À Mollis, 21 arbitres (plus cinq remplaçants) surveillent près de 900 combats en deux jours. Leur taux d’erreur est au moins cent fois inférieur à celui des arbitres de football ou de hockey.
Le règlement de la lutte suisse a fait ses preuves depuis plus de cent ans, si bien que les lutteurs peuvent très bien se passer d’un VAK pour les cent prochaines années.
