Champion du monde, Dominique Aegerter l'était déjà. Il avait remporté la saison dernière le titre en Supersport et il y a de bonnes chances qu'il le défende encore cette année. Une année particulière puisqu'il a aussi participé à la Coupe du monde MotoE. Il n'y a certes pas de titre de champion du monde pour celui qui parvient à dompter ces «mastodontes à batterie» (ils sont plus lourds que les machines infernales de la catégorie reine MotoGP). Il s'agit «seulement» d'une Coupe du monde. Et pourtant, celui qui remporte le concours général de ces courses de sprint est véritablement un champion du monde.
Particularité de cette compétition: une entreprise italienne équipe l'ensemble des participants avec les mêmes machines. Le géant espagnol de la télévision Dorna a tout intérêt à donner à cette épreuve «verte» le plus grand rayonnement international possible. On ajoute des guillemets à «verte» car pour fournir l'électricité nécessaire à la recharge des batteries, des générateurs tournent sur le circuit. Ils consomment plus de diesel que les trois catégories à moteur à combustion (Moto3, Moto2, MotoGP) ne consomment de carburant en un week-end de course.
2️⃣0️⃣2️⃣2️⃣ #MotoE World Cup Winner 🏆🥇 pic.twitter.com/GG99Uve8kS
— Dominique Aegerter (@DomiAegerter77) September 3, 2022
Un vainqueur issu du petit marché suisse n'est pas un vainqueur rêvé. Il y a un an, Dominique Aegerter avait remporté la dernière course à Misano et donc la Coupe du monde électronique. Mais seulement pour quelques minutes. Sa victoire lui avait été retirée en raison d'une manœuvre de dépassement prétendument trop risquée dans le dernier tour et c'est l'Espagnol Jordi Torres qui avait remporté le titre. N'ayons pas peur des mots: il s'agissait de la décision la plus scandaleuse de la part d'une autorité de compétition dans l'histoire des courses de moto sur route. Mais elle ne concernait «que» la compétition MotoE et «seulement» un Suisse. L'indignation avait fait l'effet d'une tempête dans un verre d'eau helvétique.
La décision s'est cette année encore faite à Misano. Dominique Aegerter a donc remporté le titre là où il avait été trompé il y a un an. Une douce vengeance. Une deuxième place a suffi, car Eric Granado (26 ans), son poursuivant au classement général, a chuté. Le Brésilien, très talentueux et sensible, est aussi fragile mentalement qu'un jouet en plastique bon marché. Une fois de plus, il s'avère que la vengeance est un plat qui se mange froid dans le sport automobile: aussi motivé et impatient que Dominique Aegerter ait pu être, il a su garder la tête sur les épaules et un degré de concentration idéal.
Le Suisse avait pourtant à peu près tout le monde contre lui dans la phase finale: Eric Granado, son dernier challenger, court pour une équipe italienne. Le peloton compte six Italiens et deux d'entre eux (Mattia Casadei et Matteo Ferrari) sont suffisamment bons pour rester dans le sillage de Dominique Aegerter. Le fournisseur de motos est une entreprise italienne et les deux dernières courses de la saison se déroulaient en Italie (Misano près de Rimini).
Avec un penchant pour la polémique, on peut dire qu'Aegerter était seul contre la mafia des motos. Toutes les machines sont certes égales. Mais elles ne sont pas attribuées par tirage au sort. Les plaintes concernant la faible puissance des batteries de la moto du Suisse montrent que dans cette série de courses, plutôt insignifiante à l'échelle mondiale, on cherche à prendre l'avantage par tous les moyens.
Avec Dominique Aegerter, c'est de loin le meilleur pilote, parce que le plus complet et le plus expérimenté, qui a triomphé. Outre le Suisse, il n'y a qu'un seul ancien vainqueur de GP parmi les «héros de la batterie»: le pilote britannique Bradley Smith, qui a subi une fracture. Rien qu'en termes d'expérience, Dominique Aegerter est un cran au-dessus de ses concurrents. Et c'est de loin celui qui a le plus de classe de pilotage, qui commet le moins d'erreurs, qui est le plus sûr de son instinct et le plus robuste mentalement. C'est pourquoi il a réussi, contre vents et marées, à décrocher le titre qui lui avait été volé il y a un an.
Sur le marché international des pilotes, ce triomphe n'a toutefois aucune valeur: un retour dans le circuit des GP (Moto2 ou même MotoGP) n'est plus d'actualité depuis longtemps, vainqueur de la Coupe du monde électronique ou non. Mais la valeur sur le marché publicitaire national est énorme: la joie est grande dans le cercle de ses bailleurs de fonds historiques et rien ne fait plus plaisir à l'âme du sport automobile qu'un triomphe «écolo».
Dominique Aegerter a encore trois ou quatre très bonnes années devant lui. En tant que vainqueur de MotoE et star de la scène Supersport, il ne gagne certes plus autant que lors de ses meilleures années en GP (2013 à 2018), lorsqu'il percevait parfois plus d'un demi-million par saison. Mais il peut toujours gagner six chiffres par an. La prolongation de son contrat avec son équipe de batterie allemande n'est plus qu'une formalité. Dominique Aegerter est et reste, après le retrait de Tom Lüthi, la mesure de toute chose dans le sport motocycliste sur route suisse.
Adaptation en français: Julien Caloz
