Rien, mais alors absolument rien, ne prédestinait les supporters du Paris Saint-Germain à s’égosiller sur la légendaire chanson Go West. Primo, parce qu'elle provient des Etats-Unis, qui ne sont pas franchement un terrain fertile pour les innovations footballistiques, et encore moins les chants de fans.
Ensuite, et surtout, parce que ce tube disco du groupe Village People, sorti en 1979, est un hymne homosexuel. Or, les stades de foot sont tout sauf gay friendly, que ce soit en tribunes ou sur le terrain. Les insultes homophobes y sont légion, et le Parc des Princes ne fait pas exception. Conséquence de ce climat hostile: les footballeurs pros qui ont fait leur coming-out se comptent sur les doigts d’une seule main.
Pourtant, c’est donc bien Go West que crachent les enceintes de l'arène du PSG à chaque match. A force, la chanson est devenue un véritable hymne du club. Ce hit-même, dont les paroles encouragent les jeunes homosexuels américains de la fin des seventies à partir s’émanciper à l’Ouest du pays, dans la San Francisco libérale où, là-bas, ils pourront assumer pleinement cette identité.
Les premiers fans de foot à s'être approprié le tube, dans les années 1990, ne l’ont pas fait à cause d’une propension particulière à l’ouverture d’esprit. Ils y ont simplement vu l’occasion de faire un clin d’œil à leur équipe de cœur. Et pour cause: celle-ci s’appelle West Bromwich Albion, en Angleterre. Les paroles? «Go West, West Bromwich Albion». Basique. Efficace.
«Mais c'est à partir de 1993 que Go West va véritablement contaminer le monde du football», situe L'Equipe. Cette année-là, le duo anglais Pet Shop Boys, figure de proue de la synthpop (de la pop qui fait la part belle aux synthétiseurs et sons électroniques) sort une reprise du tube des Village People. Elle cartonne en Europe (en tête des charts en Allemagne et en Irlande, numéro deux au Royaume-Uni) et se retrouve rapidement dans les playlists des stades et les bouches des fans à travers tout le continent.
Malgré des arrangements retouchés, la version des Pet Shop Boys garde la même mélodie et les mêmes paroles que l'originale. Elle demeure un hymne gay (les Pet Shop Boys sont un duo musical emblématique de la communauté LGBT), mais une nouvelle interprétation du texte vient éclipser le sens initial. De quoi rendre la chanson davantage chantable pour les tribunes.
Deux ans plus tôt, l'Union soviétique s'écroulait, le «Go West» prenant alors le sens d'une ouverture de la Russie sur l'Occident capitaliste. D'ailleurs, le clip du duo londonien multiplie les allusions à l'URSS et son antagonisme avec les Etats-Unis.
Comme très souvent chez les supporters d’équipes sportives, l’adoption d’une chanson se fait par mimétisme. Il suffit de faire un petit tour des stades, en Suisse notamment, pour se rendre compte que les ultras des différents clubs utilisent régulièrement les mêmes mélodies que leurs adversaires. Go West ne déroge pas à la règle.
Après l'Angleterre, le hit envahit les tribunes allemandes, notamment celles de Schalke 04 et du Borussia Dortmund. Il devient un hymne chez les «jaune et noir» – utilisé encore aujourd'hui comme musique de goal –, avec les paroles «Olé, jetzt kommt der BVB», qui viennent se calquer sur le refrain. Il y a quelques années, le speaker de Terre Sainte, actuel pensionnaire de deuxième ligue interrégionale basé à Coppet (VD), nous confiait fièrement, au moment de passer Go West pour l'entrée des équipes: «C'est la même chanson qu'à Dortmund!»
A 500 km du village de la Côte vaudoise, la mythique chanson retentit aussi depuis le milieu des années 1990 dans le stade du Paris Saint-Germain. «C'est sans doute au Parc des Princes que la mélodie de Go West a résonné le plus souvent», ose même L'Equipe. Bruno Barbier, responsable du marketing du club de 1991 à 1996, raconte dans le quotidien sportif français:
Au fil des années et des diffusions, les fans du PSG se sont de plus en plus identifiés à la chanson. Au point que celle-ci est devenue, comme à Dortmund, un véritable hymne. Le club francilien en a, du reste, enregistré plusieurs versions. La dernière date de 2012. «Les dirigeants qatariens nous avaient contactés pour réaliser un nouvel hymne du club, sur l'air de Go West», se souvient dans L'Equipe Anthony Belolo, directeur du label Scorpio Music.
Elle a abouti sur un clip qui montre tous les joueurs de l'époque – Guillaume Hoarau, Javier Pastore et Jérémy Ménez, entre autres – ainsi que le coach Carlo Ancelotti chanter Go West en studio (avec des paroles revisitées, en l'honneur du club et en français).
Fait cocasse: c'est principalement la version originale des Village People, celle qui est pourtant la plus déconnectée du football, qui résonne aujourd'hui dans le Parc des Princes. Mais ça ne vexe certainement pas Chris Lowe, l'un des membres des Pet Shop Boys, qui déclarait en 2001:
Les Parisiens, eux, rêvent désormais de quelque chose de nouveau à l'Ouest: un premier sacre en Ligue des champions. Mais pour l'obtenir, c'est le Nord qu'ils ne devront surtout pas perdre le 31 mai à Munich, en finale face à l'Inter Milan.