Pia Sundhage, quelles sont les observations que vous avez faites en un an et demi en Suisse?
Au début, je pensais que la Suisse était semblable à la Suède. Maintenant, je peux dire qu'elle ne l'est pas (rires).
Pour quelle raison?
Laissez-moi vous donner un exemple: si vous voulez faire quelque chose en Suisse, il faut d'abord remplir trois documents. Ensuite, il y a deux réunions, et à la fin, peut-être encore une conférence téléphonique. Donc, entre l'idée et le moment où une décision est prise, c'est souvent un long processus. Quand j'étais au Brésil, je pensais que je devais être patiente. En Suisse, c'est encore une autre étape (rires).
Constatez-vous également ce trait de caractère sur le terrain?
Quand j'ai commencé en Suisse, j'ai essayé de trouver ce qui caractérisait les joueuses suisses, mais ce n'était pas si facile de compléter le transparent sur lequel j'avais écrit "identité suisse" par des mots-clés appropriés.
En raison d'une caractéristique suisse répandue, la réserve?
Exactement. J'ai demandé aux joueuses ce qui les caractérisait physiquement, mentalement, techniquement, tactiquement, et il s'est avéré que les joueuses suisses sont bonnes dans tous les domaines, mais n'excellent dans aucun.
Et alors?
J'ai trouvé cela intéressant. Aux Etats-Unis, j'étais dans un environnement où toutes étaient convaincues d'être les meilleures et de vouloir en tirer le meilleur. Et si, à leurs yeux, elles n'étaient pas encore les meilleures du monde dans un domaine, elles continueraient jusqu'à ce qu'elles y parviennent. Et les Brésiliennes dansaient beaucoup et trouvaient toujours le moyen d'être joyeuses, quoi qu'il se passe sur le terrain. Les Suissesses sont beaucoup plus réservées et sobres.
Comment gérez-vous cela?
J'essaie de faire comprendre aux joueuses qu'elles doivent être à l'aise pour oser faire des choses, elles doivent sortir de leur zone de confort, faire des erreurs. La plus grande erreur que l'on puisse faire, c'est de ne pas essayer du tout.
Vos joueuses défieront la Norvège dans un Parc Saint-Jacques à guichets fermés pour leur entrée dans l'Euro, le 2 juillet prochain. Or elles n'ont pas gagné depuis huit matches. Cette longue disette ne vous inquiète-t-elle pas du tout?
Nous ne marquons pas de buts, c'est un problème. Nous n'avons pas de véritables buteuses dans l'équipe. Mais je pense que nous avons de dix joueuses qui ont marqué deux fois. On peut soit considérer que nous n'avons pas de joueuse qui marque beaucoup, soit considérer que nous avons une équipe équilibrée dans laquelle beaucoup de joueuses peuvent marquer. Il y a toujours plusieurs perspectives.
Vous connaissez très bien le football pour y avoir joué à très haut niveau. Comment êtes-vous venue à ce sport?
J'ai grandi dans le petit village de Marbäck, dans le sud de la Suède, où ne vivaient qu'environ 250 personnes. Et personne ne s'intéressait au football, sauf moi. À cette époque, les idées étaient fixes: seuls les garçons devaient pouvoir taper dans un ballon, les filles devaient le lancer. Mais je trouvais cela ennuyeux, alors je tapais aussi dans le ballon. Cela m'amusait beaucoup. Mes parents m'ont offert un ballon que je tapais contre la porte du garage à la maison. Parfois, une vitre se brisait. Mais mes parents nous ont toujours soutenus, mes cinq frères et sœurs et moi, même si nous étions très différents.
Mais ce n'est pas en tapant dans la porte du garage que vous êtes devenue une joueuse de l'équipe nationale suédoise...
Non. Un jour, un entraîneur junior s'est approché de moi et m'a demandé si je voulais jouer un vrai match de football, un vrai, avec des buts, des filets, des maillots et un arbitre. J'ai répondu que oui, bien sûr, et il m'a répondu: "Alors, tu devras tricher un peu"»
Dans quel sens?
Nous avons changé mon nom, la fille Pia est devenue le garçon Pelle. Au bout d'un moment, j'ai eu l'impression qu'on m'appelait "Pelé" (rires).
Comment cela s'est-il passé pour vous?
J'ai toujours été différente des autres enfants. On me regardait comme un garçon et je m'en fichais, parce que mon meilleur ami a toujours été le foot.
Avez-vous toujours dû cacher votre féminité?
A l'école, les garçons ont une fois dit aux enseignants que je jouais au football. Je n'avais pas osé dire quoi que ce soit, j'ai toujours été très timide. C'est seulement le football qui m'a rendue plus sociable. Les professeurs m'ont alors demandé si je préférais jouer au football pendant 40 minutes avec les garçons plutôt que de faire de la gymnastique. J'ai trouvé ça fantastique. Ensuite, j'allais toujours à vélo dans le village voisin pour jouer au football. A l'âge de 11 ans, j'ai alors joué pour la première fois dans une équipe féminine, le maillot était bleu et blanc.
Suiviez-vous le football autrement, ou ne faisiez-vous que jouer vous-même?
A l'époque, il y avait deux chaînes à la télévision: Channel 1 et Channel 2, toutes deux en noir et blanc. Nous ne pouvions pas nous permettre d'avoir un téléviseur couleur. Tous les samedis à 16 heures, ils diffusaient alors les matches d'Angleterre. Et donc, j'étais toujours assise devant l'écran, même si la qualité de l'image était mauvaise.
En 1984, vous avez remporté avec la Suède le tout premier championnat d'Europe féminin. Lors de la finale retour contre l'Angleterre à Luton, environ 2500 fans étaient présents dans le stade lorsque vous avez transformé le penalty décisif. Le tournoi se déroule maintenant en Suisse. De nombreux matches se joueront à guichets fermés. Auriez-vous pensé il y a 40 ans que le football féminin se développerait ainsi?
Nous nous sommes toutes battues pour cela. Lorsque j'ai dit un jour, à l'âge de 13 ans, que je voulais devenir footballeuse professionnelle, on m'a répondu: "tu sais que tu es une fille?" C'est pourquoi je me réjouis que nous en soyons aujourd'hui à un autre stade. A l'époque, nous devions nous entraîner à 21 heures, car le terrain était occupé avant. Aujourd'hui, de nombreuses joueuses peuvent être professionnelles et travailler chaque jour sur leurs capacités avec des coachs. Et la finale de 1984 n'aurait plus jamais lieu de la même manière. Le terrain était difficilement praticable. Mais à l'époque, cela nous était égal, car nous étions tout simplement heureuses de pouvoir participer.
Au fait, y a-t-il eu une grande réception à Stockholm après votre titre européen?
Quelqu'un de la fédération était là pour nous féliciter, mais il n'y avait pas grand-chose d'autre. Dans un journal, il y avait toutefois deux pages imprimées sur nous. Deux pages, avec une photo. Nous avons d'abord pensé qu'ils se moquaient de nous, mais ils ont vraiment écrit sur nous.