C'est un mariage inespéré, né d'une rencontre comme il en arrive peu dans une vie; une opportunité rare qu'Yverdon et la sélection nationale de basket ont su concrétiser en séduisant deux experts du tableau blanc:
Il y a un décalage, parfaitement lisible, entre le degré d'expertises de ces deux entraîneurs et l'environnement dans lequel ils évoluent désormais. Sont-ils pour autant «surqualifiés pour le poste», comme on dit en ressources humaines?
Le nouveau guide d'Yverdon-Sport ne le croit pas. «On ne peut jamais être trop qualifié en sport. Parce qu'être entraîneur, c'est difficile et intéressant partout, peu importe la division. Même si tu entraînes Grandson, il y a des problèmes à résoudre, des choses à construire, une équipe à former.»
La pression de la compétition, le fait de se remettre en jeu chaque week-end, cet éternel recommencement éviterait-il aux techniciens de se laisser glisser dans cette «zone de confort» tant redoutée par les recruteurs? Ce n'est pas aussi simple. Si Ilias Papatheodorou reconnaît vouloir «toujours gagner», il admet ne pas ressentir de stress particulier à l'idée de diriger l'équipe de Suisse.
En résumé: il en a vu d'autres. «Mais cela ne signifie pas qu'il en fera moins que par le passé, intervient Bernard Houche, directeur général de «OK Job», un bureau de placement et de conseil en personnel. Car à ce niveau, chaque individu est sa propre entreprise.»
Garder la même exigence dans une plus petite division, avec forcément moins de visibilité et moins d'enjeu, nécessite un double travail, collectif et individuel.
Pour être totalement impliqué, un coach surqualifié doit être inscrit au coeur d'un projet de grande envergure. Il doit être engagé comme entraîneur, mais perçu comme la cheville ouvrière d'une croissance à tous les niveaux du club. C'est ce que les dirigeants nord-vaudois ont essayé de faire comprendre à Uli Forte, par la parole mais aussi par le geste, en lui proposant 2 ans de contrat. «Pour un entraîneur, c'est du long terme», sourit le manager général Marco Degennaro, qui a longtemps oeuvré au FC Sion, et qui espère désormais que son club puisse suivre Uli Forte. «On espère grandir avec lui, pour ne pas qu'il se demande ce qu'il est venu faire ici.»
Swiss Basket a aussi choisi M. Papatheodorou pour ses qualités de formateur, le technicien ayant dirigé les Grecs champions d’Europe M18 et M20. La Fédération espère que ses jeunes talents auront le temps de progresser sous ses ordres.
Mais pour que la magie opère entre les deux parties, les dirigeants du foot et du basket devront toutefois veiller à ce que «le terme de l'objectif ne soit pas trop éloigné de son point de départ, prévient Bernard Houche. Si la direction ne met pas les forces financières ou humaines pour atteindre son objectif à court ou moyen terme, l'employé risque de s'ennuyer».
Mais le raisonnement est aussi individuel. Le projet peut être grandiose et stimulant, un entraîneur habitué aux stades pleins, aux salles de presse surchauffées et aux enjeux du très haut niveau, doit faire le deuil de son ancien environnement. Uli Forte l'a fait sans peine. Il s'en explique.
Le coach yverdonnois sait aussi qu'un beau parcours en Challenge League peut le ramener sous la lumière des grands stades. «Si je bosse bien ici, tout sera possible ensuite. Le foot est ainsi fait. C'est du court terme permanent. Prenez Maurizio Jacobacci: il s'est retrouvé avec les M21 de Sion en 2017. Il a bien travaillé et il a eu sa chance en équipe première, qu'il a sauvée. Il a fait ensuite du super travail à Lugano, et le voici à Grenoble!»
Yverdon-Sport sait très bien qu'il ne pourra pas retenir son technicien si un club plus prestigieux le réclame. «Nous en avons déjà parlé. Nous trouverons une solution le cas échéant, assure Marco Degennaro. On préférera toujours le laisser partir plutôt que de le garder malheureux avec nous.»
Ce retour au sommet, Swiss Basketball l'a aussi anticipé pour son coach. La Fédération encourage même Ilias Papatheodorou à trouver un club, sachant que son mandat de sélectionneur est compatible avec la gestion d'une équipe au quotidien.
Le Grec peut ainsi envisager son expérience en Suisse comme un gain de visibilité. «Je sais que le niveau n’est pas aussi élevé que ce que j’ai connu jusqu’ici, mais peu importe. Quand tu aimes ton sport et ton métier, chaque opportunité est intéressante.»
Vraiment? On devine quand même un risque, pour un entraîneur réputé, de se confronter au niveau inférieur: celui de l'échec cuisant. La tâche sur le smoking, la rature sur le CV. Mais Bernard Houche, notre interlocuteur spécialisé en ressources humaines, ne voit pas les choses ainsi.
«Il ne s'agira pas d'un échec de l'entraîneur, souligne-t-il. La combinaison entre ses objectifs et ses capacités n'aura pas fonctionné, voilà tout. Et de toute manière, il nous arrive à tous, un jour ou l'autre, de ne pas réussir. Celui qui ne s'est jamais planté, c'est un menteur!»